Journée internationale des droits des femmes : la Pologne veut encore durcir sa législation sur l’avortement

Piotr Lapinski / NurPhoto / NurPhoto via AFP

8 Mars 2023. Trois ans après la décision de l’actuel tribunal constitutionnel polonais d’interdire quasi-totalement l’avortement, les femmes du pays luttent pour accéder aux droits sexuels et reproductifs fondamentaux. L’accès à la contraception en Pologne est le pire d’Europe selon le dernier Atlas européen de la contraception. Dans le même temps, les femmes qui aident d’autres femmes à obtenir un avortement sûr continuent d’être poursuivies. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, la FIDH expose la situation autour de l’avortement dans le pays, désormais également confronté à la tragédie des réfugiées qui ont subi des violences sexuelles liées à la guerre.

Après la décision de 2020 du Tribunal constitutionnel polonais concernant l’interdiction de l’avortement dans les cas où le fœtus est présumé non viable après la naissance ou génétiquement handicapé, la réalité des femmes en Pologne est passée de mauvaise à pire scénario possible. En outre, la lutte pour le maintien des droits sexuels et reproductifs - tels que le droit d’accès à l’information sur l’avortement - reste sous le feu des activistes anti-avortement. Un nouveau projet de loi propose de sanctionner ce type d’activité par une peine d’emprisonnement réelle. La première audition sur le projet de loi est prévue le 8 mars 2023 - La journée internationale des droits des femmes.

Il n’est pas surprenant que les militant⋅es anti-avortement poursuivent leur campagne contre les droits des femmes en s’attaquant à l’un des derniers moyens officiels par lesquels la société civile et les femmes elles-mêmes continuent à soutenir celles qui ont besoin d’accéder à l’avortement - l’entretien de canaux d’information sur le sujet. L’acte même d’aide à l’avortement, c’est-à-dire le fait de fournir des pilules abortives ou d’aider (y compris financièrement) à les obtenir, est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement, conformément aux dispositions actuelles du code pénal polonais. Toutefois, le don d’informations sur les possibilités d’accès à ces services de santé ne l’est pas - pour l’instant.

Kaja Godek, l’une des plus éminentes dirigeantes du mouvement anti-avortement polonais, en partie responsable de l’interdiction de l’avortement en raison de l’organisation d’une pression sociale radicale sur les acteur⋅trices politiques en 2020, a soumis un nouveau projet de loi à la Diète polonaise le 28 décembre 2022. Il stipule que "la production, l’enregistrement, l’importation, l’achat, la création, l’utilisation, la présentation, le transfert ou l’envoi d’imprimés, de copies ou d’autres supports de données" contenant des informations sur l’accès à l’avortement, ainsi que le fait d’informer publiquement sur les possibilités d’obtenir ces informations, seront punis par la loi - avec une sanction pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement.

Le nouveau projet de loi sera examiné par le Sejm polonais (chambre basse du Parlement) le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. Bien que la coalition au pouvoir ait déclaré son intention de rejeter la nouvelle idée, les défenseur⋅es des droits humains gardent un œil attentif sur les débats.

La pénalisation de l’accès à l’information sur leur santé et leurs droits sexuels n’est pas le seul "cadeau" que les femmes polonaises ont reçu des autorités polonaises à l’approche de leur journée de célébration cette année. À Szczecin, l’une des plus grandes villes de Pologne, située en bord de mer et à proximité de la frontière allemande, des agent⋅es de l’Agence centrale anticorruption ont pris possession de l’ensemble de la base de données des documents médicaux des 30 dernières années dans l’un des cabinets de gynécologie. Le procureur qui a signé la décision mène une enquête sur un avortement pharmaceutique qui devait avoir lieu en violation de la loi actuelle, qui ne prévoit que deux exceptions : lorsque la vie ou la santé de la femme enceinte est menacée et lorsque la grossesse est le résultat d’un crime. Cependant, les dossiers qui ont été saisis ne concernaient pas un seul cas, mais tous les dossiers de patientes rassemblés par le gynécologue en question - dr Maria Kubisa. Cela signifie que pas moins de toutes les données personnelles et de santé les plus sensibles de toutes les patientes qui se sont présentées au cours des 30 dernières années auraient pu être examinées par les procureur⋅es. Ce n’est qu’après un tollé de la part des médias que la documentation a été restituée au bureau. Les patientes organisées ont déclarée qu’elles remettraient en question le jugement du procureur devant les tribunaux et qu’ils étaient prêts à aller aussi loin que possible, même devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Enfin, on ne peut passer sous silence le précédent malheureux et récent de Justyna Wydrzyńska, qui reste accusée d’avoir aidé à un avortement illégal en fournissant des pilules abortives à une tierce personne - une femme cherchant à avorter en raison de ses conditions de vie difficiles. Justyna, bien que soutenue par les défenseurs des droits humains dans le monde, continue d’être jugée et risque jusqu’à trois ans de prison.

Bien que les autorités polonaises continuent d’affirmer que dans certains cas l’avortement peut avoir lieu dans les hôpitaux polonais, les statistiques montrent à quel point une telle affirmation peut être manipulée. Pour une population d’environ 9 millions de femmes et de jeunes filles en âge de procréer, selon les données du gouvernement, seuls 107 avortements ont eu lieu dans les hôpitaux en 2021. Pour mettre ces chiffres en perspective, en 2021, la police a engagé 2 257 procédures contre des cas de viol. 1081 d’entre elles ont été confirmées conformément aux dispositions applicables du code pénal polonais. Toutefois, en 2021, aucun avortement n’a été pratiqué parce que la grossesse était le résultat d’un crime.

La conclusion inquiétante de tout ce qui précède est que la loi ne protège plus les femmes et leur droit d’obtenir - même légalement - un avortement en Pologne. Les procureur⋅es n’ont plus aucune indépendance : lié⋅es par des décisions politiquement influencées par un ministre de la justice en même temps procureur général avec le pouvoir de donner des instructions contraignantes. En outre, la dégradation de l’État de droit dans le pays a largement contribué à la mise en place de l’interdiction de l’avortement. Le remplacement illégal de la majorité du Tribunal constitutionnel par des personnes plus proches de l’agenda idéologique du parti au pouvoir a été un tournant. Au final la décision prise dans l’affaire de l’avortement a été bouleversante, mais pas surprenante.

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