République de Guinée : Nouvelle détention arbitraire de M. Oumar Sylla

Nouvelles informations
GIN 002 / 0420 / OBS 039.3
Détention arbitraire
République de Guinée
1er octobre 2020

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, un partenariat de la FIDH et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a reçu de nouvelles informations et vous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante en République de Guinée.

Nouvelles informations :

L’Observatoire a été informé de sources fiables de la détention arbitraire de M. Oumar Sylla, alias Foniké Mengué, coordinateur national adjoint de Tournons La Page - Guinée[1] et responsable de la mobilisation et des antennes du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC)[2].

Selon les informations reçues, le 29 septembre 2020, M. Oumar Sylla a été arrêté par des hommes en civil à Matoto (commune de Conakry), alors qu’il s’apprêtait à participer à une manifestation organisée par le FNDC pour protester contre la candidature du Président Alpha Condé à un troisième mandat. Cette manifestation avait été interdite par les autorités guinéennes au motif qu’en période de campagne électorale, « toute autre manifestation à objet politique ne saurait être autorisée ». Après son arrestation violente, au cours de laquelle il a été blessé à la main et ses habits et son masque ont été déchirés, M. Oumar Sylla a été transféré à la direction nationale de la police judiciaire (DPJ) de Conakry. Là-bas, il a été interrogé sans que ses avocats ne soient présents, ceux-ci s’étant vu refuser l’accès à leur client. Ce n’est que lorsqu’il a été transféré au parquet quelques heures plus tard qu’à sa demande, le substitut du procureur a appelé ses avocats. M. Oumar Sylla a ensuite été placé sous mandat de dépôt pour « attroupement illégal », « trouble à l’ordre public », « atteinte à la sûreté de l’Etat » et « destruction de bien public » et est actuellement détenu à la prison centrale de Conakry.

L’Observatoire rappelle que M. Oumar Sylla avait été libéré de la prison centrale de Conakry le 27 août 2020 après avoir été acquitté par le Tribunal de première instance de Dixinn des charges de « diffusion de fausses informations » (voir rappel des faits). Le Procureur auprès du Tribunal de première instance de Dixinn a interjeté appel de cette décision et la première audience devant la Cour d’appel de Conakry avait été fixée au 30 septembre 2020. En raison de la nouvelle arrestation de Mr. Oumar Sylla, cette audience n’a pas pu se tenir et a été reportée à une date encore inconnue au moment de la publication de cet appel urgent.

L’Observatoire dénonce la nouvelle détention arbitraire de M. Oumar Sylla, qui ne semble viser qu’à sanctionner ses activités légitimes de défense des droits humains.

L’Observatoire appelle les autorités guinéennes à procéder à sa libération immédiate et inconditionnelle, et à mettre un terme à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à son encontre ainsi qu’à celle de l’ensemble des défenseurs des droits humains dans le pays et à veiller à ce qu’ils puissent exercer leurs activités sans entraves ni peur de représailles.

Rappel des faits :

Le 17 avril 2020, en début d’après-midi, des agents de police ont arrêté M. Oumar Sylla à son domicile de Commandanya, dans la banlieue de Conakry sans mandat d’arrêt. Il a été conduit à la Villa 40, le siège des renseignements généraux guinéens à Conakry, où il a passé la nuit, sans accès à un avocat ni à sa famille.

L’arrestation de M. Oumar Sylla est survenue une heure après son passage dans l’émission « Les Grandes Gueules » sur la radio Espace FM, au cours de laquelle il a dénoncé les violences de N’zérékoré qui ont fait de nombreux morts et blessés[3], ainsi que les arrestations arbitraires et le harcèlement judiciaire à l’encontre des leaders et membres du FNDC.

Le 18 avril 2020, M. Oumar Sylla a été transféré par la brigade de répression du banditisme (BRB) à la direction centrale de la police judiciaire, toujours sans accès à son avocat. Il y a reçu une visite de son épouse, venue lui apporter de la nourriture, et qui a rapporté que M. Oumar Sylla n’avait reçu à manger que des pommes en plus de 24 heures de détention.

Le 24 avril 2020, le Tribunal de première instance de Dixinn à Conakry a inculpé M. Oumar Sylla de « diffusion de fausses informations » (article 519 du Code pénal). D’autres accusations présentées par la direction de la police judiciaire, à savoir « participation à un mouvement insurrectionnel » et « tentative de déstabilisation du régime en place », ont été rejetées par le procureur de la République. M. Oumar Sylla a été placé sous mandat de dépôt à la prison centrale de Conakry suite à son audience. Il encourrait entre six mois et un an de prison.

Le 11 mai 2020, la Cour d’appel de Conakry a rejeté la demande de libération provisoire de M. Oumar Sylla, le maintenant en détention malgré la situation sanitaire dégradée au sein de la prison centrale de Conakry suite à la contamination d’une dizaine de détenus et aux décès de certains d’entre eux dus au Covid-19.

Le 13 août 2020, lors de la seconde audience de son procès, le Tribunal de première instance de Dixinn a refusé la demande de libération provisoire de M. Oumar Sylla au motif que celle-ci risquerait de provoquer des troubles à l’ordre public.

Le 20 août 2020, le Procureur a requis deux ans de prison contre M. Oumar Sylla.

Le 27 août 2020, M. Oumar Sylla a été libéré de la prison centrale de Conakry, où il était détenu depuis plus de quatre mois, après que la chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de Dixinn a jugé que le délit dont il était accusé n’était pas constitué.

L’Observatoire rappelle que de nombreux autres membres du FNDC font, depuis avril 2019, l’objet de menaces, d’arrestations arbitraires et de harcèlement judiciaire en raison de leur protestation pacifique contre la réforme constitutionnelle adoptée lors des élections législatives et référendaires de mars 2020, qui permettrait au Président Alpha Condé de se présenter pour un troisième mandat présidentiel consécutif en 2020. Parmi eux, MM. Abdourahamane Sanoh, Mamadou Baïlo Barry, Alpha Soumah, Abdoulaye Oumou Sow, Mamadou Bobo Bah[4], ainsi qu’Ibrahima Diallo, et Sékou Koudouno, qui restent tous deux sous contrôle judiciaire depuis le 13 mars 2020[5].

Actions requises :
 
L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités guinéennes en leur demandant de :

i. Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique de M. Oumar Sylla et de l’ensemble des défenseurs des droits humains en République de Guinée ;

ii. Procéder à la libération immédiate et inconditionnelle M. Oumar Sylla et de l’ensemble des défenseurs des droits humains arbitrairement détenus en République de Guinée ;

iii. Garantir à M. Oumar Sylla un accès immédiat et inconditionnel à un avocat de son choix ;

iv. Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontre de M. Oumar Sylla et de l’ensemble des défenseurs des droits humains en République de Guinée ;

v. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement aux articles 1 et 12.2 ;

vi. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la République de Guinée.

Adresses :

• M. Alpha Condé, Président de la République de Guinée, Twitter : @President_GN @Sekhoutoureya
• M. Ibrahima Kassory Fofana, Premier Ministre, chef du Gouvernement, Twitter : @IbrahimaKFofana @PrimatureGN
• M. Mamadou Lamine Fofana, Ministre de la Justice par intérim, Garde des sceaux, Email : contact@justice.gov.gn
• M. Mouctar Diallo, Ministre de la Jeunesse et de l’emploi jeune, Email : info@jeunesse.gouv.gn
• M. N’Famara Camara, Secrétaire général du Ministère de l’Unité nationale et de la citoyenneté, Email : jpfamara@gmail.com
• M. Ousmane Sylla, Ambassadeur de la République de Guinée à Bruxelles, Email : ambaguibruxelles@mae.gov.gn / ambaguinee.bruxelles@yahoo.fr
• Représentation permanente de la République de Guinée auprès des Nations unies à Genève, Suisse, Eail : consulat.guineegeneve@gmail.com / mission.guinea@ties.itu.int

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de la République de Guinée dans vos pays respectifs. 

***
Paris-Genève, le 1er octobre 2020

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, partenariat de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. La FIDH et l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseurs des droits de l’Homme mis en œuvre par la société civile internationale.

Pour contacter l’Observatoire, appeler la ligne d’urgence :
• E-mail : Appeals@fidh-omct.org
• Tel FIDH : 33 1 43 55 25 18
• Tel OMCT : + 41 22 809 49 39


[1] Tournons La Page (TLP) est un mouvement réunissant des acteurs des sociétés civiles africaines dont l’objectif est la promotion de l’alternance démocratique en Afrique, en menant des actions pacifiques et non partisanes. Le mouvement est aujourd’hui actif dans 10 pays africains (Burundi, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Niger, RDC, Tchad, Togo).
[2] Le FNDC désigne une série de manifestations sporadiques qui ont lieu depuis le 14 octobre 2019 en Guinée pour protester dans un premier temps contre la modification ou l’adoption d’une nouvelle constitution qui pourrait conduire le président Alpha Condé à un troisième mandat, puis contre l’arrestation et la condamnation des leaders du FNDC.
[3] Dans le cadre des élections législatives et référendaires du 22 mars 2020, des violences ont éclaté à N’Zérékoré, dans le sud-est du pays, opposant partisans et détracteurs de la nouvelle Constitution.
[4] Cf. appel urgent de l’Observatoire GIN 001 / 1019 / OBS 084, publié le 24 octobre 2019.
[5] Cf. appel urgent de l’Observatoire GIN 001 / 0320 / OBS 024, publié le 19 mars 2020.

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