À l’attention de :
Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité
Johannes Hahn, Commissaire européen à l’élargissement et à la politique européenne de voisinage
Chefs de mission des États membres de l’UE à Tel-Aviv
Madame la Haute Représentante Federica Mogherini, Monsieur le Commissaire Johannes Hahn, Vos excellences,
Aujourd’hui, le 7 juin 2016, le « projet de loi sur la transparence des ONG » est susceptible d’être soumis à une dernière lecture devant le parlement israélien. Il ne s’agit que d’une mesure parmi tant d’autres prises à l’encontre des droits humains et des organisations de la société civile en Israël et dans les territoires palestiniens occupés (TPO). Ce projet progresse alors que se multiplient des attaques troublantes contre des organisations de droits humains ainsi que des initiatives visant à réduire les dissidents au silence. Des organisations de droits humains locales ont documenté la forte augmentation d’arrestations arbitraires et le recours excessif à la force contre des manifestants palestiniens aussi bien dans les TPO qu’en Israël.
Alors que la Knesset s’apprête à procéder au vote final de ce projet de loi, EuroMed Droits et ses organisations membres ainsi que l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (partenariat FIDH-OMCT) lancent un appel à l’Union européenne afin qu’elle publie une déclaration ferme et sans équivoque afin de défendre les « valeurs partagées » assurant ses relations avec Israël ainsi que la société civile en tant que partenaire essentiel dans la promotion de ces valeurs.
Le 8 février 2016, le « projet de loi sur la transparence des ONG » a passé le premier des trois lectures à la Knesset. Cette loi vise les ONG qui reçoivent plus de 50 % de leur financement de sources publiques étrangères, dont l’UE, des États membres de l’UE et l’ONU. Elle obligerait ces ONG à s’enregistrer en tant qu’« agents étrangers » et à indiquer leurs sources de financement sur l’ensemble de leurs publications et annonces, lors de chaque réunion et dans leur correspondance avec des représentants publics. Cette loi aurait des conséquences disproportionnées sur les ONG de droits humains qui conduisent un travail de suivi et qui font rapport de leurs activités :25 des 27 ONG concernées seraient des ONG de droits humains. Parmi elles se trouvent de nombreux membres d’EuroMed Droits, de la FIDH et de l’OMCT qui sont financés par l’UE et ses États membres, collaborent avec ces derniers, et dont les activités sont déjà soumises à des exigences rigoureuses en matière de transparence.
Dans le même temps, le gouvernement israélien a rejeté de façon expliciteles propositions visant à appliquer des exigences similaires en termes de transparence aux organisations qui reçoivent leur financement de sources privées, y compris de sources privées étrangères ou de l’État israélien. De ce fait, bon nombre d’organisations d’extrême droite qui, en raison de la nature même de leurs activités, ne sont généralement pas admissibles à un financement de l’UE ou d’un État membre de l’UE, se trouvent dispensées de ces exigences. Loin de renforcer la transparence, cette loi ne fera que soutenir davantage d’organisations à financement privé, moins transparentes, tout en s’efforçant de stigmatiser des organisations qui promeuvent la démocratie, l’État de droit et le respect des droits humains.
Outre les efforts législatifs visant à entraver le travail de ces ONG, des campagnes de diffamation sans précédent et d’autres formes de harcèlement ciblent des défenseurs des droits humains depuis quelques mois. En qualifiant les défenseurs des droits humains israéliens d’« agents étrangers » et de « traitres », des groupes de colons et des organisations d’extrême droite ont lancé des campagnes de diffamation publiques et infiltré des ONG, notamment, paraît-il, par le biais d’agences de détectives privés. Bien que non gouvernementales, ces organisations d’extrême droite et leurs activités sont souvent explicitement soutenues par des ministres du gouvernement israélien [1].
En effet, plutôt que de condamner ces activités, les représentants publics tiennent des propos tout aussi incendiaires, ce qui contribue à aggraver l’hostilité générale contre les défenseurs des droits humains. Les déclarations de la ministre israélienne de la Justice, Ayelet Shaked ainsi que d’autres membres de la Knesset, renforcent régulièrement le sentiment que le financement par l’UE des ONG de droits humains équivaut à une « intervention étrangère » illégitime.
Les ONG sont contraintes d’employer le temps et les ressources nécessaires à la lutte contre les violations des droits humains, leur première préoccupation, à se défendre contre de fausses accusations et à garantir la sécurité de leur personnel.
Les campagnes d’intimidation, les menaces et les agressions physiques contre les défenseurs des droits humains par des colons, des acteurs non étatiques et peut-être même par les autorités israéliennes sont encore plus inquiétantes. Ces derniers mois, l’organisation Al-Haq et le Centre Al Mezan pour les droits de l’Homme, tous deux membres d’EuroMed Droits, de la FIDH et de l’OMCT, ont reçu plusieurs courriels et appels téléphoniques anonymes ainsi que des publications sur Facebook visant à saper leur travail, leurs sources de financement et leur crédibilité au sein de leurs communautés. Ces tactiques se sont terminées par des actes de harcèlement à l’encontre des membres du personnel de ces organisations, ainsi que de leurs proches, et par des menaces de mort. Ces dernières sont explicitement liées au travail de ces organisations avec la Cour pénale internationale et émaneraient du gouvernement israélien ou de ses partisans.
En Janvier 2016, Nasser Nawajah, chercheur de terrain à B’Tselem, a été arrêté par la police israélienne après qu’une émission de télévision populaire en Israël eut déclaré que Nawajah et deux autres défenseurs des droits humains étaient prétendument impliqués dans des « activités sans scrupules ». Ces allégations se sont basées sur des informations fournies par l’organisation d’extrême droite, Ad Kan, ayant eu recours à des personnes « infiltrées » pour surveiller le travail de ces défenseurs des droits humains. Une semaine plus tard, Nawajah fut libéré par un juge militaire critiquant la police pour avoir omis de fournir preuve du fait que Nawajah soit soupçonné d’avoir commis un crime.
Le 28 mars, le ministre israélien Yisrael Katz a appelé Israël à s’engager dans des « éliminations civiles ciblées » de chefs du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), dont Omar Barghouti. Les autorités israéliennes décrivent ce dernier comme une menace pour la sécurité et ont refusé de renouveler son titre de voyage, l’empêchant ainsi de quitter Israël. Il aurait également été informé que son statut de résident permanent en Israël est actuellement examiné par le ministre de l’Intérieur. Ces actes et tentatives similaires visant à criminaliser les activités de BDS en Europe bafouent le droit d’exprimer des opinions non violentes et de promouvoir le changement. Comme l’ont déjà déclaré l’UE et, dernièrement les Pays-Bas, l’Irlande et la Suède, ce type d’activité est protégé par le droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion.
Alors que l’UE s’apprête à renégocier ses priorités de partenariat avec Israël, il demeure essentiel qu’une société civile dynamique continue de soutenir les valeurs des droits humains pour instaurer la paix et la stabilité dans la région pour les Israéliens comme pour les Palestiniens. Conformément aux engagements pris dans le plan d’action de l’UE en faveur des droits de l’homme et de la démocratie pour la période 2015-2019, EuroMed Droits appelle l’UE et ses États membres à :
– Demander à Israël de retirer son « projet de loi sur la transparence des ONG » et d’arrêter l’introduction et l’adoption d’une législation dont l’objectif est de limiter la marge de manœuvre de la société civile ;
– Condamner l’ensemble des menaces et attaques à l’encontre des défenseurs des droits humains dans leurs démarches et déclarations publiques et veiller à la présentation de rapports réguliers par les chefs de mission de l’UE sur la situation des défenseurs des droits humains en Israël et dans les TPO, en formulant des recommandations quant aux actions devant être menées par l’UE conformément aux Orientations de l’Union européenne concernant les Défenseurs des Droits de l’Homme ;
– Exhorter les autorités israéliennes à s’abstenir d’émettre, d’inciter ou de soutenir des menaces et/ou attaques contre des défenseurs de droits humains et demander à ce qu’une enquête rapide et approfondie soit ouverte pour chacune des affaires et que des poursuites pénales soient engagées s’il y a lieu ;
– Demander à Israël d’émettre une invitation permanente et d’accepter les demandes de visites de pays de l’ensemble des Procédures spéciales de l’ONU, y compris le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression, le Rapporteur spécial sur le droit à la liberté de rassemblement et d’association et le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés ainsi que d’autres visites par des parlementaires européens et des ONG internationales ;
– Réaffirmer la position antérieure de l’UE selon laquelle les manifestations pacifiques et les opinions politiques non violentes sont protégées par le droit à la liberté d’expression, de parole et de réunion.
En vous remerciant par avance de l’intérêt que vous réserverez au présent courrier, nous vous prions d’agréer l’expression de notre haute considération.
Michel Tubiana, Président d’EuroMed Droits
Karim Lahidji, Président de la FIDH, Karim Lahidji, Président de la FIDH, dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme
Gerald Staberock, Secrétaire Général de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme