L’Observatoire : Contribution à la 51ème session ordinaire de la CADHP

27/04/2012
Appel urgent

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, expriment leur vive préoccupation par rapport aux mesures de harcèlement et de représailles que continuent de subir les défenseurs des droits de l’Homme en Afrique en raison de leurs actions pacifiques de promotion et de protection des droits de tous sur le continent.

INTERVENTION ECRITE - L’OBSERVATOIRE

COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES

51ème session ordinaire

Banjul, République de Gambie

18 avril - 2 mai 2012

Contribution de

la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)

et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT)

Dans le cadre de leur programme conjoint,

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme

Sous le point de l’ordre du jour :

“Situation des défenseurs des droits de l’Homme”

Ces six derniers mois, l’Observatoire a de nouveau pu constater que les contextes politiques, sécuritaires et juridiques dans lesquels les défenseurs évoluent restent particulièrement hostiles et ont souvent justifié aux yeux des autorités des mesures répressives : contextes électoraux, conflits armés, mouvements de protestation sociale émaillés de graves violations des droits de l’Homme et de répression ciblée des défenseurs des droits de l’Homme, lois liberticides, etc.

Par ailleurs, loin de reconnaître les défenseurs des droits de l’Homme comme les acteurs essentiels du changement et les garants d’une société libre, les gouvernements continuent de contrôler toutes les actions de la société civile et des défenseurs, en multipliant les obstacles voire les poursuites contre leurs actions légitimes. De nombreux défenseurs des droits de l’Homme en Afrique se heurtent ainsi encore à de nombreux obstacles de nature légale, judiciaire ou administrative visant à entraver leurs activités de défense des droits de l’Homme.

Les défenseurs sont également victimes d’agressions, de harcèlement ou de menaces de toutes sortes. S’ils sont souvent la cible d’agents non étatiques, la violence à leur encontre est bien souvent été tolérée, encouragée ou directement perpétrée par des agents étatiques, au premier rang desquels les forces de sécurité censées les protéger. L’impunité des auteurs de violations des droits de l’Homme qui a continué de prévaloir dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne contribue à alimenter le cycle de la violence contre les défenseurs.

Que les violations à leur encontre visent leur intégrité physique ou psychologique (disparition, assassinats, menaces, agressions, diffamation) ou leur liberté (arrestation, détention arbitraire, harcèlement judiciaire), elles s’inscrivent en violation directe avec les normes internationales de protection des droits de l’Homme. En outre, certaines catégories de défenseurs, en raison de la nature des droits qu’ils défendent, sont des cibles privilégiés de la répression.

Enfin, l’Observatoire tient à rappeler que la coopération entre les organisations nationales et internationales constitue une pierre angulaire du système international de protection des droits de l’Homme. Le 15 mars 2012, à la Rapporteure spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme associée aux Rapporteurs de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) et de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) ont appelé, par une déclaration conjointe, l’ensemble des États à mettre fin à toute forme de menaces ou de harcèlements contre les individus ou les organisations engageant un dialogue direct avec ces institutions.

Criminalisation de la défense des droits de l’Homme

Dans certains pays du continent africain, le système judiciaire est utilisé, manipulé par les autorités afin de sanctionner l’action des défenseurs en matière de droits de l’Homme. Cela se traduit généralement par des poursuites judiciaires arbitraires qui aboutissent parfois à des condamnations abusives. En parallèle subsiste, voire se développe, un cadre législatif criminalisant l’action de certains défenseurs. Les poursuites ainsi engagées peuvent durer de longues années mettant à rude épreuve la volonté des défenseurs à mener à bien leurs activités. La nature de ces phénomènes est très inquiétante en ce qu’ils constituent des attaques institutionnalisées et légalisées en violation avec les nomes internationales les plus élémentaires de protection des droits de l’Homme.

a) Criminalisation des défenseurs des droits de l’Homme qui luttent contre l’impunité

Sur le continent, les défenseurs qui luttent contre l’impunité et dénoncent des violations, y compris les crimes internationaux les plus graves, sont la cible de tentatives de criminaliser leurs actions. Cette criminalisation est le plus souvent rendue possible par un système judiciaire déficient voire corrompu.

En Algérie, M. Mohamed Smain risque une arrestation imminente pour exécuter une peine de deux mois de prison après avoir fait l’objet d’un harcèlement judiciaire ininterrompu pendant plus de dix ans. En 2001, M. Smain avait alerté la presse algérienne de la découverte et l’exhumation de charniers par les services de gendarmerie et la milice de M. Hadj Fergane, ancien maire de Relizane. Plus généralement ce sont les activités de Mohamed Smaïn à Oran et Relizane en faveur des familles de disparus et son action pour que la vérité soit faite sur les violations perpétrées en Algérie, particulièrement pendant le conflit civil qui a ravagé le pays dans les années 90, qui lui valent d’être la cible des autorités politiques et judiciaires. Condamné en première instance et en appel, la Cour suprême d’Alger, par une décision du 27 octobre 2011, a reconnu la culpabilité de M. Smaïn pour “dénonciation calomnieuse” et “dénonciation de crimes imaginaires”, le condamnant à deux mois de prison ferme, 50 000 dinars algériens d’amende (environ 510 €) et 10 000 dinars algériens (environ 101 €) de dédommagement en faveur de chacun des plaignants. Fin février 2012, en application de cette décision, les forces de police ont été sommées de procéder à l’arrestation de M. Smain par le procureur général de Relizane.

Pendant la période examinée, plusieurs défenseurs ont également été soumis à des détentions arbitraires et des procédures judiciaires iniques mais ont pu bénéficier d’une libération d’un acquittement ou d’un non lieu, parfois suite au travail indépendant de la justice.

Par exemple, au Tchad, le 30 décembre 2011, M. Daniel Deuzombé Passalet, président de l’organisation de défense des droits de l’Homme “Droits de l’Homme sans frontières” (DHSF), a été reconnu non coupable “au bénéfice du doute” après une détention provisoire de 11 jours. Ces poursuites faisaient suite à sa déclaration du 18 décembre 2011, sur Radio France internationale (RFI), relative à l’enlèvement de l’épouse d’un défunt chef du village Mata-Léré. Au cours de l’interview, M. Deuzoumbé Passalet avait dénoncé le blocage de l’instruction dans l’assassinat de ce chef de village en septembre 2011 et le fait que l’épouse de ce dernier aurait été enlevée par les forces de sécurité afin de l’empêcher de retirer une plainte pour “fausse accusation” qu’elle avait déposée contre le dirigeant de l’opposition et membre du Parlement Saleh Kebzabo, en relation avec l’assassinat de son mari. Le procureur avait donc décidé de le poursuivre pour “dénonciations calomnieuses”. Alors que cette décision de la justice doit être saluée, néanmoins cette procédure témoigne du harcèlement judiciaire auxquels les défenseurs sont soumis lorsque leurs prises de position ne plaisent pas à des personnalités du pouvoir local ou national.

En Egypte, les bloggeurs Alaa Abdel-Fatah et Bahaa Saber ont été arrêtés le 30 octobre 2011 pour avoir dénoncé la répression violente d’une manifestation au Caire, ayant conduit à la mort de 27 personnes et accusés d’“incitation à la violence contre les forces armées” et “agression à l’encontre de militaires” . Si M. Saber a été relâché le jour même, M. Abdel-Fatah est resté détenu jusqu’au 25 décembre 2011. De même, ce n’est que le 24 janvier 2012 que le bloggeur Maikel Nabil a été libéré, suite à une amnistie du le Conseil suprême des forces armées à l’occasion du premier anniversaire de la révolution égyptienne. Il avait été arrêté le 28 mars 2011 pour “insulte à l’encontre de l’armée” et “dissémination de fausses informations”, après avoir dénoncé les violations des droits de l’Homme ayant eu lieu pendant la révolution égyptienne, et condamné le 10 avril 2011 à deux ans de prison.

En Guinée, cinq membres de l’organisation “Mêmes droits pour tous” (MDT), spécialisée dans la défense des droits des prisonniers, ont été placés en garde à vue puis relâchés le 3 novembre 2011. Il s’agit de Me Foromo Frédéric Loua, président, M. Tossa Montcho, coordinateur, M. Pierre Camara, chargé de programme, ainsi que de M. Boniface Loua et Mlle Fatouma Bangoura, assistants de protection. Ils s’étaient rendus à la maison centrale de Conakry, afin d’accompagner la libération, ordonnée le 2 novembre par l’avocat général près la Cour d’appel, de deux individus emprisonnés sans jugement depuis 2001 et 2005. Maintenus en détention au cours de l’après-midi et de la soirée, ils ont été longuement entendus à propos des cas qu’ils avaient soulevés et des activités de MDT. Suite à leur détention arbitraire les cinq défenseurs ont porté plainte. Le 30 novembre 2011, le Tribunal de première instance de Conakry a reconnu coupable le gouverneur de la capitale, le commandant Sékou Resco Camara, d’immixtion dans les affaires judiciaires et l’a condamné à verser une amende d’un million de francs guinéens (108 euros) au président de MDT et un franc symbolique aux quatre autres membres. L’Observatoire salue cette décision judiciaire qui, malgré sa portée essentiellement symbolique, constitue un premier pas encourageant pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme contre les entraves, intimidations ou menaces qu’ils rencontrent dans l’exercice de leurs fonctions, et plus généralement pour l’indépendance du système judiciaire guinéen. Toutefois, l’Observatoire déplore les menaces subies par le MDT et les conditions dans lesquelles se sont tenus les débats. En effet, la salle d’audience a été systématiquement envahie par des partisans du gouverneur, parmi lesquels de nombreux policiers en civil et en uniforme. Ceux-ci ont continuellement manifesté leur soutien au gouverneur, par des interventions bruyantes et des acclamations répétées lors des prises de parole de ce dernier. De plus, les membres de MDT ainsi que leurs avocats ont fait l’objet de nombreuses menaces verbales et d’intimidations physiques. Il leur a ainsi été reproché, par des policiers, d’être “des bandits ne méritant pas la vie”, et promis que le “dernier mot” reviendrait aux policiers. Certains policiers ont également déclaré que, maintenant qu’ils connaissaient MM. Frédéric Loua et Tossa Montcho, “ils allaient leur montrer que le pays était gouverné”. En outre, à l’issue de l’audience du 23 novembre 2011, un important cortège de policiers et de militaires, entourant le véhicule du gouverneur, s’est dirigé jusqu’au pied de l’immeuble abritant les locaux de MDT, en scandant le slogan “Ennemis : zéro ! ONG : zéro !” et en montrant du doigt l’étage occupé par l’organisation.

Au Zimbabwe, M. Joel Hita, directeur régional de l’Association des droits de l’Homme du Zimbabwe (Zimbabwe Human Rights Association - ZimRights) à Masvingo, a été acquitté le 23 janvier 2012 par le juge Mwanisa de la juridiction de Masvingo, après un peu moins de deux ans de harcèlement judiciaire. En effet, il était poursuivi depuis le 26 avril 2010 pour avoir organisé une exposition dans le cadre d’un programme visant à faire réfléchir sur la violence politique de 2008, en violation de la Loi sur l’ordre public et la sécurité (Public Order and Security Act - POSA).

Les journalistes indépendants qui publient des informations sur des violations des droits de l’Homme ou les dénoncent de par la nature même de leur profession font également l’objet de tentative de musellement afin de les empêcher de dénoncer librement les exactions commises par les autorités étatiques.

Ainsi, au Burundi, le 14 novembre 2011, MM. Bob Rugurika et Bonfils Niyongere, journalistes pour la Radio publique africaine (RPA), ont passé la journée au parquet de Bujumbura et n’ont été relâchés qu’après environ douze heures d’interrogatoire. Cet incident serait directement lié à la diffusion par la RPA d’informations relatives au massacre de Gatumba, qui a fait 39 morts et 40 blessés, le 18 septembre 2011, dans la commune de Mutumbuzi. La veille, le rédacteur-en-chef de la radio Isanganiro, M. Patrick Mitabaro, avait lui aussi été convoqué. Le 8 novembre, MM. Bob Rugurika et Patrick Nduwimana, rédacteur-en-chef de la radio Bonesha FM, avaient dû se présenter devant le parquet de Bujumbura. Le procureur a reproché aux radios d’avoir diffusé certaines informations sur le massacre de Gatumba, dont un témoignage du principal accusé, M. Innocent Ngendakuriyo, alias Nzarabu, recueilli par téléphone depuis la prison de Bubanza. Ces éléments auraient filtré en dépit du communiqué gouvernemental du 21 septembre interdisant aux médias toute forme de commentaire sur l’enquête et alors même que le rapport d’enquête n’avait pas été rendu public. Le 10 novembre, trois directeurs de radios privées ont été convoqués : MM. Patrick Nduwimana, Eric Manirakiza, directeur de la RPA, et Vincent Nkeshimana, directeur de la radio Isanganiro, ont été sommés de fournir au procureur des documents relatifs à leurs statuts, leurs règlements intérieurs et les preuves de financement de leur radios. Tous ont refusé d’accéder à la demande du parquet qui n’a donné aucune justification pour cette convocation et cette requête. En outre, les intimidations visant à empêcher les journalistes d’exercer librement leur profession viennent, parfois, des plus hautes sphères gouvernementales. Le 16 novembre 2011, la ministre en charge de la Communication, Mme Concilie Nibigira, a ainsi déclaré dans une lettre, faisant référence aux enquêtes sur le massacre de Gatumba, que toute personne qui publie dans les médias ou par d’autres voies des éléments sur un dossier encore en phase pré-juridictionnelle s’expose à des poursuites prévues par l’article 11 de la Loi du 27 novembre 2003 régissant la presse au Burundi (portant sur les exceptions à la liberté de diffuser ou de publier des documents). La ministre a conclu sa lettre en appelant la presse à éviter l’escalade, faute de quoi ils seraient “tenus d’en assumer les conséquences conformément aux dispositions pertinentes du Code pénal”.

b) Criminalisation des défenseurs qui exercent le droit au rassemblement pacifique

Dans de nombreux pays, les réunions et rassemblements organisés par les défenseurs sont utilisés comme autant de prétextes pour entraver l’action des défenseurs des droits de l’Homme. Lors des rassemblements, les femmes défenseurs sont particulièrement sujettes à des violences sexo-spéciques. Les actions de protestation liées à des réformes démocratiques, au droit à des élections libres et transparentes, des revendications économiques ou sociales, y compris un meilleur respect du droit des travailleurs font souvent l’objet de répression malgré leur caractère pacifique. Les défenseurs, membres d’ONG, syndicalistes, journalistes, dirigeants du mouvement étudiant, peuvent ainsi être particulièrement visés pour leur participation ou leur surveillance de la bonne tenue de ces rassemblements. Sur la période couverte, plusieurs défenseurs ont ainsi été accusés de “troubles à l’ordre public” ou de “participation à un mouvement insurrectionnel”.

A Djibouti, les membres de la Ligue djiboutienne des droits humains (LDDH) sont constamment harcelés lorsqu’une action de protestation est organisée par la population ou en lien avec des manifestations passées. Ainsi, le 1er février 2012, M. Farah Abadid Heldid, membre de la LDDH et journaliste pour La Voix de Djibouti, a été arrêté par des gendarmes de la Section des recherches et de la documentation (SRD). Libéré dans un terrain vague le lendemain, après avoir subi des traitements particulièrement dégradants (torture, nudité forcée,...), il a été menacé de mort au cours de sa détention du fait de ses activités de militant des droits de l’Homme. M. Farah Abadid Heldid avait déjà été arrêté le 5 février 2011, suite à une manifestation organisée le jour même par des étudiants et des lycéens contre la politique d’éducation du Gouvernement, avant d’être placé en liberté provisoire le 23 juin 2011. Au 13 avril 2012, M. Jean-Paul Noël Abdi, président de la LDDH, restait poursuivi pour “participation à un mouvement insurrectionnel” sur la base des articles 145 et 146.4 du Code pénal, qui prévoit jusqu’à quinze ans de réclusion criminelle et une amende de 7 000 000 francs djiboutiens (environ 27 222 euros). Des charges similaires restent pendantes contre M. Abadid Heldid. Ces accusations font suite à la manifestation du 5 février 2011.

Au Cameroun, sept syndicalistes ont subi près d’un an et demi de harcèlement judiciaire après un sit-in. Ainsi, M. Jean-Marc Bikoko, président de la Centrale syndicale du secteur public (CSP), M. Maurice Angelo Phouet Foe, secrétaire général du Syndicat national autonome de l’éducation et la formation (SNAEF), M. Théodore Mbassi Ondoa, secrétaire exécutif de la Fédération camerounaise des syndicats de l’éducation (FECASE), M. Joseph Ze, secrétaire général du Syndicat national unitaire des instituteurs et professeurs des écoles normales (SNUIPEN), M. Eric Nla’a, comptable à la CSP, et MM. Nkili Effoa et Claude Charles Felein, membres du SNUIPEN, étaient poursuivis pour “organisation de manifestation illégale” et “trouble à l’ordre public”. Ces poursuites faisaient suite à leur arrestation le 11 novembre 2010 au cours d’un sit-in organisé à l’appel de la CSP devant la primature, à Yaoundé, visant à remettre au Premier Ministre, M. Philémon Yang, un mémorandum des travailleurs des services publics à l’attention du Chef de l’État, M. Paul Biya, portant notamment sur l’amélioration des conditions des travailleurs au Cameroun. Or la CSP avait notifié les autorités de son intention d’organiser une manifestation, comme prévu par l’article 6 de la Loi n°990/055 du 19 décembre 1990 relative au régime des réunions et des manifestations. Le 8 novembre 2010, le sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé III avait émis une lettre interdisant la manifestation sous prétexte que “les manifestations publiques à caractère vindicatif et/ou revendicatif sont et demeurent interdites sur toute l’étendue du département du Mfoundi”. Toutefois, selon l’article 8 de cette même loi, une manifestation ne peut être interdite que par arrêté du préfet, le sous-préfet n’ayant pas qualité pour le faire. L’Observatoire salue la décision du Tribunal de première instance de Yaoundé du 5 mars 2012, qui a déclaré un non lieu en faveur des sept syndicalistes.

En Algérie, malgré la levée de l’état d’urgence, les syndicalistes continuent d’être l’objet d’une répression intense visant à limiter leurs libertés d’expression et de manifestation. Ainsi, le 26 février 2012, 40 membres du Comité national des travailleurs du pré-emploi et filet social, affilié au Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (SNAPAP), ont été arrêtés arbitrairement au cours d’une manifestation devant la maison de la presse d’Alger. Parmi eux se trouvaient Mme Malika Fallil, présidente du Comité des travailleurs du pré-emplois et filet social, et M. Tahar Belabès, porte-parole de la Coordination nationale de défense des droits des chômeurs (CNDDC). Relâchés quelques heures après, ces arrestations sont désormais récurrentes en Algérie où les syndicalistes sont soumis à une pression policière et judiciaire quasi perpétuelle. Ainsi, Mme Malika Fallil et M. Tahar Belabès avaient déjà été arrêtés le 22 février lors d’un rassemblement devant le palais des expositions d’Alger, où ils avaient tenté d’interpeller le ministre du Travail et le représentant du Président de la République M. Belkadem Abdelaziz sur les droits des chômeurs et des travailleurs précaires. Ils avaient déjà fait l’objet de plusieurs arrestations de ce type en 2011, de même que d’autres militants syndicalistes. Par ailleurs, M. Hadj Aïssa Abbas et M. Mohamed Bouamer représentants de la CNDDC de Laghouat (400 km au sud d’Alger), ont été condamnés le 18 janvier 2012 en première instance à une année de prison ferme pour “attroupement sur la voie publique”, après avoir pris part à une manifestation pacifique revendiquant les droits des chômeurs en août 2011 à Laghouat. La décision a été rendue par le Tribunal de Laghouat en l’absence des accusés, qui n’avaient reçu aucune convocation et ont fait appel de ce jugement. Ces condamnations très lourdes constituent un message aussi clair qu’inquiétant envoyé aux syndicalistes et défenseurs des droits de l’Homme qui réclament le droit à des conditions dignes de vie et de travail.

Au Sénégal, M. Alioune Tine, coordonnateur du Mouvement des Forces vives de la nation du 23 juin (M23) et président de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (RADDHO), a été arrêté le 28 janvier 2012 en réponse à la tenue d’une manifestation dénonçant l’annonce de la candidature du président sortant à un troisième mandat. En marge de ces manifestations, un auxiliaire de police avait trouvé la mort. Il a finalement été libéré le 31 janvier 2012 sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre lui.

Au Zimbabwe, les membres de l’association WOZA (Women and Men for Zimbabwe Arise), une organisation engagée dans la défense des droits et libertés des femmes, sont l’objet d’un harcèlement judiciaire et policier constant. Le 19 janvier 2012, 17 membres de WOZA, dont 16 femmes, ont été arrêtés et brutalisés par la police à Bulawayo. Des policiers ont même menacé “d’enlever les culottes et de donner la fessée” aux militantes. Le 7 février 2012, dix membres de l’association, dont Mme Jennifer Williams, coordinatrice nationale, ont été arrêtés au cours d’une manifestation pacifique à Bulawayo commémorant le 10ème anniversaire de l’association. Initialement accusés d’avoir organisé la manifestation sans en notifier préalablement les autorités (article 25 de la POSA), ils ont finalement été inculpés pour “nuisance criminelle” au titre de l’article 46 de la loi pénale (Criminal Law (codification and reform) Act). Finalement relâchés sous caution en attente du procès, ils ont dénoncé les violences physiques qu’ils avaient subies au cours de cette détention provisoire. Leurs avocats ont déposé une demande de renvoi devant la Cour suprême, qui doit faire l’objet d’une décision le 27 avril 2012. En parallèle, Mme Jennifer Williams et Mme Magodonga Mahlangu sont poursuivies depuis décembre 2011 pour des faits d’“enlèvement” et de “vol” suite à une manifestation organisée le 21 septembre 2011. En dépit du manque de preuves et de contradictions dans les témoignages à charge, les accusations à leur encontre n’ont jamais été abandonnées. La prochaine audience doit se tenir le 26 avril 2012.

En Tanzanie, seize militants des droits de l’Homme ont été arrêtés le 9 février 2012 suite à un “regroupement illégal”. Parmi eux se trouvaient le Dr. Helen Kijo Bisimba, directrice exécutive du Centre juridique et des droits de l’Homme (Legal and Human Rights Centre - LHRC), des salariés du LHRC, M. Marcus Albany, Mme Anna Migila et l’avocat Godfrey Mpandikizi, une stagiaire du Barreau canadien, Mme Erin Riley, la directrice exécutive de l’Association des femmes journalistes de Tanzanie (Tanzania Media Women’s Association - TAMWA), Mme Ananilea Nkya, le directeur exécutif de SIKIKA, M. Irenei Kiria, et Mme Anna Kikwa. Ils ont tous été arrêtés alors qu’ils arrivaient à l’hôpital national (MUHIMBILI) où le premier ministre, M. Mizengo Pinda, devait s’adresser au personnel médical suite à une grève nationale des médecins. Finalement libérés sous caution, au 12 avril 2012 les charges à leur encontre n’avaient pas pour autant été abandonnées, engendrant un risque permanent d’arrestation à leur encontre.

En Mauritanie, M. Bakary Bathily, secrétaire général du Syndicat national des étudiants de Mauritanie, a disparu le 2 février 2012, lorsque les autorités ont violemment dispersé à coups de matraques et de grenades lacrymogènes un sit-in organisé par plusieurs étudiants devant l’Université de Nouakchott afin de réclamer l’amélioration de leurs conditions d’études. Treize étudiants ont par ailleurs été arrêtés et interrogés sur la localisation de M. Bakary Bathily, bien que celui-ci n’ait pas participé au sit-in, avant d’être libérés sans charge le 9 février. Au 16 avril 2012, aucune information n’avait pu être obtenue quant à la localisation de M. Bathily.

c) Représailles à l’encontre des avocats défenseurs des droits de l’Homme

Dans certains pays, l’exercice de la profession d’avocat se trouve entravé par les autorités. En effet, qu’ils assistent juridiquement des défenseurs ou qu’ils défendent eux mêmes directement des victimes de violations des droits de l’Homme, ils peuvent faire l’objet de représailles liées à leurs activités professionnelles.

Par exemple, en Gambie, M. Lamin K. Mboge, avocat et ancien magistrat, également impliqué dans la défense de deux militantes des droits de l’Homme, a été condamné le 21 février 2012 pour “production de faux sans autorité”, “faux serment” et “signature de faux documents” à deux ans de prison et de travail forcé par le Tribunal de Banjul.

Au Zimbabwe, M. Alec Muchadehama, avocat qui a représenté plusieurs victimes d’enlèvements et de tortures, qui avait été acquitté le 10 décembre 2009 suite à des accusations infondées qui pesaient contre lui depuis le 6 mai 2009, reste soumis à un harcèlement judiciaire. Il est ainsi accusé d’avoir nui à la réputation d’un tribunal et de la justice après avoir permis la libération sous caution de ses clients. Le 15 février 2012, la Cour suprême a renvoyé sine die sa décision d’autoriser le ministère public représenté par l’avocat général Johannes Tomana de faire appel de l’acquittement du 10 décembre 2009. L’avocat général a ainsi motivé son retard à interjeter appel par ses problèmes familiaux.

La liberté d’association : un droit à respecter, protéger et garantir !

En dehors des menaces individuelles susceptibles de peser sur les défenseurs, ce sont les structures mêmes auxquelles ils appartiennent qui sont visées par des entraves, et parfois des dispositions légales liberticides, notamment par rapport à l’exercice du droit à la liberté d’association. Ce cadre législatif dissuasif se traduit par des restrictions à différents niveaux :

 D’une part, les textes de loi réglementant l’enregistrement des organisations de la société civile susceptibles, dans leur mise en œuvre, d’affecter aussi bien l’autonomie que l’indépendance des organisations. Ainsi, les règles relatives aux procédures d’enregistrement des ONG ont parfois été utilisées à des fins de harcèlement judiciaire ou encore pour refuser ou retirer l’agrément d’organisations ou de syndicats jugés gênants.

En Gambie par exemple, l’enregistrement des ONG se fait en deux temps : tout d’abord en tant qu’association caritative auprès du cabinet du procureur général, qui leur permet de fonctionner en tant que personnes morales bénéficiant de façon limitée de certains droits ; puis en tant qu’ONG auprès de l’Agence chargé des affaires des ONG (NGO Affairs Agency - NGOAA), qui les soumet à un Code de conduite et à un Protocole qu’elles doivent signer avec les autorités. En conséquence, afin d’éviter des représailles des autorités, les ONG préfèrent concentrer leurs activités dans des domaines réputés non sensibles dans lesquels le Gouvernement accomplit des progrès, notamment celui des droits des femmes et des enfants. Aucune ONG ne peut dans ce cas, assurer le suivi des violations des droits de l’Homme.

En Egypte, de nombreuses organisations, pourtant réputées, continuent également de se voir refuser, sans motivation précise, tout enregistrement officiel.

 D’autre part, l’encadrement législatif des ressources financières des ONG. Le gel des avoirs a par ailleurs été utilisé pour réduire à néant la capacité d’action de certaines organisations.

En Ethiopie par exemple, depuis la Loi de 2009 sur les sociétés et associations caritatives, les ONG recevant plus de 10 % de fonds étrangers, y compris de la part de ressortissants éthiopiens vivant à l’étranger, restent officiellement sous le coup d’une interdiction d’exercer des activités relatives, entre autres, aux droits de l’Homme et à la démocratie. C’est dans ce contexte que, le 24 octobre 2011, la Haute cour fédérale a confirmé la décision de l’Agence sur les sociétés et les associations caritatives de geler les avoirs du Conseil des droits de l’Homme éthiopien (Human Rights Council - HRCO). HRCO a fait appel devant la Cour suprême.

En Egypte, plusieurs perquisitions ont été menées dans les bureaux d’ONG nationales et internationales le 29 décembre 2011 et des interrogatoires ont été menés visant le personnel de ces organisations ainsi qu’à l’application de différentes restrictions financières en vue de restreindre la capacité de ces ONG à remplir leurs mission. Suite à ces perquisitions, 43 employés d’ONG américaines et allemande ont été assignés en justice le 26 février 2012, accusés d’avoir illégalement ouvert des bureaux en Égypte et reçu des fonds de l’étranger. Au-delà de ces fondations, ce sont les ONG de défense des droits de l’Homme en général qui sont visées par ces intimidations, visant à mettre un frein à leurs activités.

En Gambie, les lois pénales sont parfois détournées pour accuser à tort des défenseurs et entraver le bon fonctionnement de leurs associations. Ainsi, Dr. Isatou Touray et Mme Amie Bojang-Sissoho, respectivement directrice exécutive et coordinatrice de programmes du Comité gambien sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants (Gambia Committee on Traditional Practices Affecting the Health of Women and Children - GAMCOTRAP), une organisation qui milite en faveur de la santé sexuelle et reproductive des femmes, de leurs droits fondamentaux et de ceux des enfants, sont poursuivies pour “vol” depuis novembre 2010, accusées à tort d’avoir détourné 30 000 euros, une somme envoyée en 2009 par “Yolocamba Solidaridad”, une ONG espagnole de développement qui apporte son aide aux groupes locaux de la société civile. Le 11 janvier 2012 a ainsi marqué la 41ème audience de ce procès. Au cours de la procédure, le procureur a explicitement dénoncé les activités de GAMCOTRAP en matière de mutilation sexuelle. Au 16 avril 2012, les audiences se poursuivaient avec l’audition de Dr. Isatou Touray par le procureur.

Législations répressives visant spécifiquement les défenseurs des droits des minorités sexuelles

Les défenseurs des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT), tout comme les personnes qu’ils défendent, demeurent confrontés dans de nombreux États d’Afrique subsaharienne à tout type de préjugés, et à des actes d’intimidation. Les lois ou projets de loi criminalisant les minorités sexuelles dans de nombreux pays entravent également le travail des défenseurs.

En Ouganda, une loi criminalisant l’homosexualité a de nouveau été soumise au Parlement, le 7 février 2012. Cette disposition, si adoptée, réintroduirait dans le Code pénal ougandais la notion de “crime d’homosexualité”. Les peines encourues iraient de cinq ans de prison pour “promotion de l’homosexualité” à la possibilité de condamnation à la prison à vie voire à la peine de mort en cas “d’homosexualité aggravée”. Elle vise directement l’action des défenseurs en ce qu’elle prévoit que toute ONG violant ces dispositions verrait son autorisation d’exercer annulée. Il faut rappeler que l’homosexualité est déjà sévèrement condamnée par le Code pénal ougandais en ce qu’il prévoit un emprisonnement à vie pour quiconque accusé de relations homosexuelles. Le projet de loi soumis au Parlement contribuerait à élargir et à renforcer cette répression se traduisant par des arrestations arbitraires, des violences physiques et psychologiques et une marginalisation croissante des membres de la communauté LGBT à travers le pays. Rappelons qu’en 2011, M. David Kato, militant pour les droits LGBT, avait été assassiné suite à la parution de son nom et sa photo dans les médias ougandais.

Impunité et poursuite des agressions subies par les défenseurs des droits de l’Homme

En parallèle des menaces législatives et judiciaires pesant sur les activités militantes, les défenseurs subissent d’autres formes d’intimidation, en dehors “des voies légales” : menaces, campagnes de diffamation, agressions voire assassinats. Le climat d’impunité qui règne dans plusieurs pays du continent contribue en outre à renforcer ce cycle de la violence.

a) Poursuite de l’impunité des assassinats de plusieurs défenseurs des droits de l’Homme

Sur le continent, les assassinats et autres atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique des défenseurs des droits de l’Homme demeurent une réalité insupportable, d’autant qu’ils restent en général impunis. Le manque d’indépendance de certains systèmes judiciaires nationaux empêche les victimes et les organisations des droits de l’Homme les représentant d’obtenir justice et de rompre le cycle de la violence, incitant ainsi à la commission de nouveaux actes de violence.

Ainsi, l’entière chaîne des responsabilités pénales n’a notamment toujours pas été établie suite aux assassinats :

- en République démocratique du Congo (RDC), en 2010, de M. Floribert Chebeya Bazire, président de la Voix des sans voix (VSV) et membre de l’Assemblée générale de l’OMCT, et de M. Fidèle Bazana, membre de la VSV, ainsi que, en 2005, de M. Pascal Kabungulu Kibembi, secrétaire exécutif de l’ONG Héritiers de la justice, en 2005 ;

- au Burundi, en 2009, de M. Ernest Manirumva, vice-président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME) ;

- en Ouganda, en janvier 2011, de M. David Kato, chargé de plaidoyer au sein de l’organisation Minorités sexuelles d’Ouganda (Sexual Minorities Uganda - SMUG) ;

- au Kenya, en 2009, de MM. Oscar Kamau King’ara, avocat et directeur de la Clinique d’aide juridique gratuite de la Fondation Oscar au Kenya (Oscar Foundation Free Legal Aid Clinic Kenya - OFFLACK), et John Paul Oulu, chargé de la communication et de la promotion à OFFLACK ;

- en Gambie, en 2004, du journaliste Deyda Hydara, ainsi que dans la disparition forcée du journaliste Ebrima Manneh depuis 2006.

b) Poursuite des menaces et actes de violence à l’encontre des défenseurs

Sur la période couverte, de nouveaux actes de violence ont été commis à l’encontre des défenseurs.

Ainsi, en RDC, M. Mbatswe Mushunju, membre du “Noyau de légitimité” de Kibati du Centre de recherche sur l’environnement, la démocratie et les droits de l’Homme (CREDDHO) et chef coutumier du groupement de Kibati, dans la province du Nord-Kivu, a été assassiné le 15 mars 2012. M. Mushunju s’attachait à dénoncer et à documenter les différentes violations des droits de l’Homme commises par, entre autres, les militaires des Forces armées de la RDC (FARDC) dans une région frontalière du Rwanda. Menacé à de nombreuses reprises au cours de l’année 2011, il avait déjà été enlevé par des membres des FARDC entre le 15 décembre 2011 et le 5 janvier 2012.

En RDC également, Mme Justine Masika Bihamba, coordinatrice de la Synergie des femmes pour les victimes des violences sexuelles (SFVS) et vice-présidente de la Société civile du Nord Kivu, a été menacée le 15 mars 2012. Ces menaces ont fait suite à un entretien qu’elle avait accordé la veille à la radio BBC au cours de laquelle elle avait salué le verdict que venait de rendre le jour même la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre de Thomas Lubanga Dyilo, déclaré coupable des crimes de guerre de recrutement, enrôlement et utilisation d’enfants soldats en Ituri. Elle avait, à la même occasion, demandé à la CPI et au gouvernement congolais de mettre à exécution les mandats d’arrêt prononcés contre les autres auteurs présumés de crimes graves commis à l’est de la RDC, en particulier le général Bosco Ntaganda. Suite à cette interview, le général Bosco Ntaganda et certains colonels des FARDC auraient planifié des “actions” visant à réduire cette dernière au silence. Par ailleurs, le 27 mars 2012, Mme Masika Bihamba a reçu un message de menaces anonyme sur son téléphone en ces termes : “Justine Masika arrête de te mêler de ce qui ne te regarde pas”.

En Algérie, M. Noureddine Belmouhoub, porte-parole du Comité de défense des ex-internés des camps de sûreté (CDICS), a été enlevé le 23 octobre 2011 dans la rue à Alger puis séquestré pendant trois jours dans un lieu inconnu par des membres des services de sécurité, avant d’être libéré le 26 octobre 2011. Durant cette période, il a subi des insultes et des pressions de la part des personnes qui le retenaient et qui lui ont reproché d’avoir déposé en 2001 une plainte contre le général Khaled Nezzar, ancien ministre de la défense nationale entre 1991 et 1993. Ces mêmes personnes ont tenté de lui faire signer une déclaration sur l’honneur afin qu’il retire sa plainte. A ce jour, la justice algérienne n’a donné aucune suite à cette plainte pour torture.

En Tunisie, Me Najet Laabidi, avocate membre de l’organisation de défense des droits de l’Homme Liberté et équité, qui défend plusieurs victimes de torture dans le cadre de l’affaire dite de Baraket Essehel, a été violemment prise à partie le 8 novembre 2011 par les proches de MM. Abdallah Kallel, ancien ministre de l’Intérieur, et Mohamed Ali Ganzouï, ancien patron de la sûreté nationale, qui l’on notamment insultée, et ce n’est que sous protection de la police militaire qu’elle a finalement pu quitter le tribunal. Précédemment, Me Laabidi avait été informée du fait que les familles des accusés avaient contacté les plaignants afin de les inciter à retirer leurs plaintes dans le cadre de l’affaire de Baraket Essehel.

Par ailleurs, dans des contextes électoraux tendus, les autorités et les organes de presse proches du pouvoir stigmatisent le rôle joué par les défenseurs, renforçant ainsi leur insécurité.

Ainsi dans un contexte particulier de dénonciation de fraudes électorales en RDC, les défenseurs ont été la cible de menaces et de campagnes de diffamation publique en vue de mettre à mal leurs tentatives de dénonciation des manœuvres politiques frauduleuses mises en œuvre dans ce contexte.

Par exemple, M. Zacharie Bababaswe, journaliste à la Radio télévision nationale congolaise (RTNC) et candidat membre de la majorité présidentielle à la députation nationale dans la ville de Kinshasa, dans son émission intitulée “Vert Vert Toleka”, le 7 janvier 2012, a nié la qualité de défenseur des droits de l’Homme à M. Dismas Kitenge Senga, président du Groupe Lotus (GL) et vice-président de la FIDH, et l’a assimilé “aux opposants politiques qui mijoteraient un complot contre le gouvernement et la nation congolaise”. Il a ajouté que “Dismas Kitenge, [le GL et la FIDH] sont à la solde des puissances occultes qui nuisent aux intérêts de la RDC” et que ce dernier serait “en train de mener une campagne pour obtenir un statut de réfugié en Occident”. Ce même journaliste avait, en décembre 2011, directement visé la FIDH en affirmant que “(...) La communauté internationale à travers la FIDH s’est résolu de faire couler le sang en RDC et aurait donné des armes à la population pour que cette dernière attaque les policiers déversés dans tout les coins de la ville de Kinshasa...” dans le cadre d’une interview accordée à la RTNC à Kinshasa. Au cours de cette émission, il a nommément visé M. Jean-Claude Katende, président national de l’Association africaine de défense des droits de l’Homme (ASADHO), et M. Paul Nsapu, président de la Ligue des électeurs et secrétaire général de la FIDH, en les accusant d’être manipulés et de recevoir de l’argent de la FIDH.

En parallèle, le domicile de M. Dismas Kitenge Senga a été incendié le 5 janvier 2012. Un véhicule anti incendie n’est arrivé que trois heures après le début de l’incendie malgré les alertes immédiates de la famille et du voisinage. Bien qu’aucun membre de la famille n’ait été blessé, l’ensemble des biens et de l’habitation a été réduit en cendres. En outre, malgré la plainte déposée par M. Kitenge, aucune enquête n’a été diligemment menée quant aux causes de l’incendie. Cet incident s’est produit peu après les déclarations publiques opérées par M. Kitenge dénonçant certaines irrégularités électorales, la non-indépendance de la justice lors des contentieux électoraux, le manque de volonté des autorités congolaises à lutter contre l’impunité et à indemniser les victimes de violations graves des droits de l’Homme.

Recommandations :

1) Au regard de la persistance des violations des droits de l’Homme commises à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme dans les États parties à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP), l’Observatoire appelle les États à mettre en œuvre les dispositions de la Charte relatives à la protection des défenseurs en s’engageant à :

Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologique de tous les défenseurs des droits de l’Homme ainsi que de leur familles conformément à l’article 4 de la CADHP reconnaissant l’inviolabilité de la personne humaine ;

Libérer les défenseurs des droits de l’Homme arbitrairement détenus et mettre fin au harcèlement judiciaire à leur encontre en accord avec l’article 6 de la CADHP prohibant toute forme d’arrestation ou de détention arbitraire et l’article 7 de la CADHP sur le droit à un recours judiciaire effectif ;

Assurer en toutes circonstances aux défenseurs le libre exercice des droits garantis par la CADHP tels que la liberté de réunion (article 8), la liberté d’association (article 10), la liberté de circulation (article 12) et la liberté d’expression et d’opinion (article 9) ;

S’engager dans une lutte efficace contre l’impunité des responsables, étatiques ou non étatiques, de violations des droits des défenseurs ; en particulier, assurer que les assassinats et autres violations à l’encontre des défenseurs fassent l’objet d’enquêtes effectives et impartiales de la part des autorités policières et judiciaires conformément à l’article 4 et l’article 7 de la CADHP ;

Prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité des défenseurs des droits de l’Homme et de leurs organisations, conformément à leur obligation de respecter et de protéger les droits des défenseurs conformément à l’article 4 de la CADHP. Cette protection devrait être notamment assurée par des agents étatiques formés et sensibilisés à la question particulière des droits de l’Homme.

Mettre en place des mécanismes nationaux de protection des défenseurs des droits de l’Homme, en coopération avec les défenseurs et la Rapporteure spéciale de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples sur la situation des défenseurs en Afrique conformément à l’article 4 de la CADHP. Ces mécanismes peuvent se traduire par la mise en place concertée d’un programme de protection défini par la loi et accompagnés d’une sensibilisation renforcée des représentants étatiques et policiers en matière de droits humains.

Reconnaître le rôle primordial et légitime des défenseurs des droits de l’Homme dans la mise en œuvre de la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations unies et des autres instruments relatifs aux droits de l’Homme, dont la CADHP, ainsi que dans la prévention des conflits, l’avènement de l’État de droit et de la démocratie ;

Se conformer à l’ensemble des dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, de la CADHP, et aux instruments internationaux et régionaux de protection des droits de l’Homme ; Fournir des informations précises sur les initiatives engagées au niveau individuel ou national pour prévenir les atteintes aux droits et libertés des défenseurs en conformité avec ces textes ; Engager des processus de réforme législative substantielle en vue de cette adaptation du droit positif national aux normes internationales.

Faciliter le mandat de la Rapporteure spéciale de la CADHP sur les défenseurs des droits de l’Homme en Afrique, en lui adressant une invitation permanente afin qu’elle puisse effectuer des visites officielles dans leurs pays et, en mettant à sa disposition des moyens financiers et humains suffisants en vue du bon accomplissement de son mandat ;

Faciliter le mandat de la Rapporteure spéciale des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, notamment en lui adressant une invitation permanente afin qu’elle puisse effectuer des visites officielles dans les Etats parties ; répondre de manière satisfaisante aux observations adressées par la Rapporteure dans le cadre de son mandat.

2) L’Observatoire appelle en outre la Rapporteure spéciale de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples sur la situation des défenseurs en Afrique à :

Continuer à mettre pleinement en œuvre son mandat, dans un souci de protection des défenseurs des droits de l’Homme et de la société civile indépendante et de promotion de leurs activités ;

Mettre en place un système d’alerte précoce afin de prévenir toute violation à l’encontre de défenseurs en prenant en considération les situations de risque d’escalade de la violence tels que les contextes de protestation sociale, de période électorale, de crises politiques et de conflits armés internes ;

Offrir son assistance technique aux Etats parties dans l’élaboration de mécanismes nationaux de protection des défenseurs des droits de l’Homme ;

Communiquer davantage sur les cas de défenseurs harcelés et attaqués, notamment par voie de communiqués de presse et de déclarations publiques ;

Appeler les Etats parties à prendre toutes les mesures nécessaires afin de lutter contre l’impunité des auteurs d’assassinats de défenseurs des droits de l’Homme ;

Rendre public et assurer une large diffusion du rapport sur la mise en œuvre de son mandat ;

Contribuer à la finalisation de l’étude de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples sur les lois et pratiques relatives à la liberté d’association, telle que prévue par la résolution CADHP/Res.151(XLVI)09, notamment au travers d’une consultation des défenseurs et organisations de défense des droits de l’Homme.

3) L’Observatoire appelle également la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples à :

Aborder la situation des défenseurs des droits de l’Homme de manière systématique lors de l’examen des rapports périodiques des Etats parties à la CADHP ainsi qu’à l’occasion de toutes visites conduites dans un Etat partie ;

S’assurer de la mise en œuvre effective de ses observations conclusives afin d’assurer à tous, y compris aux défenseurs des droits de l’Homme, la jouissance effective de tous les droits et libertés reconnus par la CADHP et la Déclaration universelle des droits de l’Homme ;

Garantir lors de l’examen des demandes de statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, un traitement équitable à toutes les ONG y compris aux ONG travaillant sur les minorités sexuelles et les droits des LGBT, conformément aux critères d’octroi et de jouissance du statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples de 1999 ainsi que du droit à la non-discrimination dans la jouissance des droits de la Charte tel que consacré en son article 2 ;

Renforcer les moyens de la Rapporteure spéciale de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples sur la situation des défenseurs en Afrique afin de l’aider à poursuivre ses actions de promotion et de protection des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique ;

Poursuivre et approfondir la collaboration avec la Rapporteure spéciale des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, ainsi qu’avec les autres mécanismes régionaux de protection des défenseurs des droits de l’Homme ;

Établir un programme d’action régional s’inspirant des bonnes pratiques répertoriées dans le Commentaire de la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’Homme relatif à la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de l’Homme universellement reconnus et les libertés fondamentales.

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Banjul, avril-mai 2012

Pour contacter l’Observatoire :

Email : Appeals@fidh-omct.org
Tel and fax FIDH : + 33 1 43 55 25 18 / +33 1 43 55 18 80
Tel and fax OMCT : + 41 22 809 49 39 / + 41 22 809 49 29

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