Contribution à la 54ème session de la CADHP sur la situation des défenseurs en Afrique

05/11/2013
Appel urgent

Madame la Présidente,

Madame la Rapporteure spéciale sur les défenseurs des droits de l’Homme,

Mesdames et Messieurs les commissaires,

Mesdames et Messieurs les délégués,

L’OMCT et la FIDH, dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, expriment une nouvelle fois leurs graves préoccupations concernant la situation des défenseurs en Afrique.

Depuis la dernière session de cette Commission en avril 2013, l’Observatoire a documenté avec inquiétude de multiples violations des droits et des libertés des défenseurs des droits de l’Homme sur l’ensemble du continent, et en particulier en Angola, au Cameroun, en Egypte, en Mauritanie, en République démocratique du Congo (RDC), au Rwanda, au Sénégal et en Tunisie.

Des défenseurs des droits de l’Homme ont été attaqués, ont reçu des menaces ou ont été calomniés au Sénégal, en RDC et en Tunisie. Dans certains cas, ils ont même été tués, comme en RDC et au Cameroun, dans un climat d’impunité. Des défenseurs, et en particulier des défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels, ont également continué de faire l’objet d’arrestations arbitraires et de harcèlement judiciaire en Angola, au Cameroun, en Egypte, en Mauritanie, en RDC et en Tunisie. Des entraves à la liberté d’association ont également été enregistrées, comme par exemple en Angola, en Egypte et au Rwanda.

Les défenseurs qui ont vu leurs droits violés sont, entre autres, des membres d’organisations non-gouvernementales (ONG), des avocats, des journalistes, des défenseures des droits des femmes, des juges et des organisations de la société civile qui défendent le droit aux libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique, dénoncent les violations des droits de l’Homme commises par des acteurs étatiques ou des entreprises puissantes et qui luttent pour le respect des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) et des libertés fondamentales de manière générale.

1. Poursuite des actes de violence à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme sur le continent africain

a) Assassinat de défenseurs des droits de l’Homme en RDC et au Cameroun

Sur l’ensemble du continent, des défenseurs des droits humains ont de nouveau été victimes d’agressions violentes et dans certains cas, pire, d’assassinat. Cette forme la plus extrême d’attaque à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme et de leur travail doit être condamnée dans les termes les plus forts. L’impunité des auteurs de ces actes horribles, qui reste trop souvent la règle, est un signe de faiblesse et de l’échec des Etats dans leurs obligations de protéger les défenseurs, ce qui ne peut qu’encourager les auteurs de commettre d’autres actes de violence contre des militants des droits de l’Homme.

Depuis la dernière session de la CADHP, trois cas d’assassinats de défenseurs des droits de l’Homme ont été dénoncés par l’Observatoire.

En RDC, M. Rocksy Tshimpaka a été tué le 19 septembre 2013, après avoir dénoncé lors d’une émission télévisée les actes de torture et l’assassinat d’un citoyen congolais par des éléments des forces de l’ordre en 2012.

Le 7 août 2013, des membres de groupes rebelles ont sauvagement assassiné M. Godefroid Mutombo, membre de l’ONG Libertas qui avait dénoncé plusieurs violations des droits de l’Homme dans lesquelles des milices et des militaires congolais auraient été impliqués.

L’Observatoire reste aussi particulièrement préoccupé par l’impunité qui perdure au sujet de l’assassinat en juin 2010 de MM. Floribert Chebeya Bazire, directeur exécutif de la Voix des sans voix (VSV) et membre de l’Assemblée générale de l’OMCT, et Fidèle Bazana, membre de la VSV. Alors que la plainte des veuves des deux défenseurs est restée sans suite depuis plus de trois ans, il est urgent que le Général John Numbi soit traduit devant une juridiction impartiale et indépendante, afin qu’il réponde de sa responsabilité dans l’assassinat de leurs époux.

L’Observatoire a également été choqué et attristé par le meurtre de M. Eric Ohena Lembembe, directeur exécutif de la Fondation camerounaise pour le sida (Cameroonian Foundation for AIDS - CAMFAIDS), sauvagement agressé et tué en juillet 2013 suite à une recrudescence des menaces à l’encontre des militants, des avocats et des organisations engagées dans la défense des droits des personnes lesbiennes, homosexuelles, bisexuelles et transgenres (LGBT) au Cameroun au cours des mois précédents. Le Gouvernement du Cameroun n’a pas condamné publiquement ce meurtre, et les enquêtes de police n’ont pas été concluantes.

b) Menaces et campagnes de diffamation à l’encontre de défenseurs des droits de l’Homme

A plusieurs reprises, des défenseurs des droits de l’Homme ont été victimes de menaces ou de campagnes de diffamation dans le but de les intimider et de les réduire au silence. De tels actes ont été commis soit directement par des agents de l’Etat soit par des acteurs non étatiques avec le silence complice des autorités, encourageant par conséquent les actes de violence à l’encontre des défenseurs.

Ainsi, en RDC, plusieurs défenseurs et avocats représentant les parties civiles dans le cadre du procès relatif à l’assassinat de MM. Floribert Chebeya et Fidèle Bazana ont fait l’objet de menaces et de pressions à la veille du procès en appel qui a repris en avril devant la Haute cour militaire. Dans la nuit du 29 au 30 mai 2013 par exemple, le cabinet de Me Jean-Marie Kabengele Ilunga a été saccagé par des inconnus. Un sac contenant des conclusions et des notes de plaidoiries relatives au procès a été dérobé à cette occasion.

Toujours en RDC, en juin 2013, des collaborateurs du Gouverneur de la Province orientale ont lancé une campagne de diffamation à l’encontre de M. Dismas Kitenge, président du Groupe Lotus et vice président de la FIDH, l’accusant d’être « une marionnette des occidentaux » et l’avertissant qu’il serait « corrigé ». Ils ont également demandé à la population de ne pas suivre « les messages de distraction, de division et de nostalgie » des défenseurs des droits de l’Homme. Par la suite, un groupe d’individus non identifiés a jeté des pierres sur le domicile de M. Kitenge, en promettant de s’attaquer à quiconque tenterait de saboter les actions de développement du Gouverneur.

En mai 2013, le directeur exécutif de la section d’Amnesty International au Sénégal, M. Seydi Gassama, a été publiquement diffamé et menacé d’arrestation par de hauts représentants du Parlement et de Gouvernement suite à la présentation d’un rapport qui dénonçait la persistance de violations des droits de l’Homme dans le pays, depuis la prise de fonction du nouveau gouvernement en 2012. L’Observatoire dénonce ces accusations publiques qui visent à décrédibiliser et, de manière plus générale, à museler les défenseurs des droits de l’Homme dans le pays en tentant de les assimiler à des membres de l’opposition.

En Tunisie, l’Observatoire s’est inquiété des menaces de mort qui ont été proférées en mai 2013 à l’encontre de Mme Kalthoum Kennou, présidente de l’Association des magistrats tunisiens (AMT) et juge à la Cour de cassation, en raison de son combat mené pour l’indépendance de la justice dans le pays, en ce qu’elles sont révélatrices des entraves posées au bon fonctionnement de la justice par le biais d’actes d’intimidation contre des magistrats exerçant leur activité de manière impartiale et indépendante.

2. Harcèlement judiciaire de défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels en Afrique

Dans de nombreux pays du continent, les autorités continuent d’utiliser le système judiciaire afin de sanctionner les activités des défenseurs des droits de l’Homme. Tel a été le cas en Angola, au Cameroun, en Egypte, en Mauritanie, en RDC et en Tunisie, où l’Observatoire a notamment enregistré des actes de harcèlement judiciaire à l’encontre des défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels.

En Angola, le journaliste et défenseur des droits humains M. Rafael Marques de Morais fait actuellement l’objet de poursuites pénales pour diffamation, en lien avec la publication de son livre-enquête documentant les violations des droits de l’Homme et les questions de corruption liées aux industries diamantifères dans la région de Lunda.

Les arrestations et les détentions arbitraires sont également restées fréquentes sur le continent.

En Tunisie, la militante féministe Mme Amina Sboui a été détenue arbitrairement du 19 mai au 1er août 2013, en raison de ses activités en faveur des droits des femmes. La procédure pénale à son encontre a été entachée d’irrégularités et d’incohérences.

En Mauritanie, le 6 octobre 2013, 25 membres de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA-Mauritanie), qui manifestaient pacifiquement depuis le 9 septembre 2013 afin de protester contre l’inaction des autorités de Boutilimit à la suite de la dénonciation d’un cas d’esclavage, ont été arrêtés avant d’être libérés sans charge le jour même. Le sit-in a été violemment dispersé par la police. Le 30 septembre 2013, cinq militants de l’IRA-Mauritanie avaient déjà été arrêtés dans ce cadre et inculpés le 1er octobre pour « rassemblement non autorisé » et « appartenance à une organisation non reconnue ». Deux d’entre eux, MM. Abdallahi Ould Hemdy et Slama Ould Seyidi, sont toujours détenus à la prison de Rosso.

En Egypte, M. Hassan Mustafa, un défenseur des droits économiques et dénonçant les violences policières, reste détenu arbitrairement depuis le 21 janvier 2013 pour avoir demandé des informations sur la situation de manifestants arrêtés deux jours plus tôt. Le 15 juin 2013, il a été condamné en appel à un an de prison pour "diffamation" à l’encontre d’un membre du personnel du bureau du procureur d’Alexandrie, ce qu’il réfute. Sa détention arbitraire et sa condamnation en appel est un autre signe de la faiblesse des institutions égyptiennes censées protéger et garantir les activités des défenseurs de droits de l’Homme dans le pays.

Au Cameroun, plusieurs membres de l’Association pour le développement social et culturel des Mbororo (Mbororo Social and Cultural Development Association - MBOSCUDA), une organisation de défense des droits des pasteurs Mbororo au nord-ouest du Cameroun, ont été victime d’actes de harcèlement judiciaire sur la base d’une plainte déposée par un influent propriétaire terrien local, en relation avec une affaire pénale sur la tentative d’assassinat de M. Jeidoh Duni, juriste à MBOSCUDA, le 1er juillet 2012. Ces actes de harcèlement ont augmenté après que MBOSCUDA et ses membres ont soumis un rapport début mai 2013 dans le cadre de l’Examen périodique universel (EPU) du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies du Cameroun à Genève, détaillant les différents obstacles rencontrés par la communauté Mbororo.

Par ailleurs, en plus des poursuites judiciaires elles-mêmes, les dénis de justice et des retards injustifiables dans les procédures judiciaires continuent d’être un moyen fréquent de sanctionner les défenseurs des droits de l’Homme. Par exemple, en RDC, neuf membres de l’Association pour la défense des intérêts de la ville de Bandundu (ADIVB) restent détenus à la prison de Bandundu ville après avoir été condamnés en avril 2013 pour "outrage à l’autorité publique", après avoir appelé la population à participer à une manifestation pacifique afin de protester contre la majoration des factures de consommation d’énergie électrique et d’eau. Le 26 août 2013, les avocats de ces neuf défenseurs ont déposé une requête de demande de liberté provisoire devant la Cour suprême de justice de Kinshasa. Cependant, à ce jour, la décision de la Cour n’a toujours pas été rendue publique, en contradiction avec la loi congolaise.

3. Obstacles à la liberté d’association dans les pays africains

Depuis la dernière session de la CADHP, l’Observatoire a également continué d’enregistrer des obstacles à la liberté d’association, notamment en Angola, en Egypte et au Rwanda.

En Angola, les activités des ONG de défense des droits de l’Homme sont confrontées à des obstacles structurels. Le processus d’enregistrement des ONG reste complexe, coûteux et opaque et le secteur des ONG est paralysé par un manque de ressources humaines et de viabilité financière.

L’Observatoire est particulièrement préoccupé par les restrictions alarmantes et la criminalisation des activités de la société civile en Egypte. Nous avons été particulièrement consternés par la décision prononcée par le Tribunal correctionnel du nord du Caire le 4 juin 2013, condamnant 43 membres égyptiens et étrangers de cinq organisations de la société civile étrangères à des peines allant de un à cinq ans de prison pour « gestion de sections non autorisées » de leurs organisations, « organisation de recherches, formations politiques, études, et ateliers sans autorisation », « formation de partis et de groupes politiques » et « réception illégale de financements étrangers ». Le Tribunal a également ordonné la confiscation des fonds et la fermeture des sections égyptiennes de Freedom House, de l’Institut républicain international (International Republican Institute), de l’Institut démocratique national (National Democratic Institute), du Centre international pour les journalistes (International Centre for Journalists - ICFJ) et de la Fondation Konrad Adenauer. Cette condamnation est intervenue alors qu’un projet de nouvelle Loi sur les associations était discuté devant le Conseil de la Choura, visant à imposer un contrôle strict sur l’établissement des ONG, leur financement, leurs activités quotidiennes, leurs décisions et fonctionnement internes.

Au Rwanda, le conseil d’administration de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (LIPRODHOR), l’une des rares organisations de défense des droits humains indépendantes dans le pays, a été démis le 21 juillet 2013 par un petit nombre de membres, et remplacé par des gens soupçonnés être favorables au Gouvernement. Quelques jours plus tard, le Conseil de gouvernance du Rwanda (Rwanda Governance Board - organe étatique en charge de l’enregistrement des associations) a reconnu de façon expéditive le nouveau conseil d’administration. Cette prise de contrôle d’une ONG indépendante a eu lieu suite à la décision de la LIPRODHOR de se retirer d’une plateforme d’organisations de défense des droits de l’Homme rwandaises. Le 24 juillet, les comptes bancaires de la LIPRODHOR ont été gelés et la police a annulé un atelier de formation organisé par la LIPRODHOR sur la soumission d’informations dans le cadre de l’EPU des Nations unies. La police aurait également menacé d’arrêter les membres du personnel de la LIPRODHOR s’ils ne coopèrent pas avec le nouveau conseil d’administration.

Recommandations :

Compte tenu des éléments mentionnés ci-dessus, l’Observatoire rappelle aux Etats parties leur obligation de respecter toutes les dispositions de la Charte africaine, en particulier celles relatives à la protection des défenseurs des droits de l’Homme. Par conséquent, l’Observatoire appelle la CADHP à demander à tous les Etats de :

· Mettre en œuvre toutes les dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, notamment en garantissant en toute circonstance leur intégrité physique et psychologique et leur capacité à réaliser leurs activités dans un environnement favorable ;

· Libérer tous les défenseurs qui sont détenus uniquement pour avoir exercé leur droit aux libertés fondamentales, en particulier les libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association ;

· Mettre un terme à tous les actes de harcèlement - y compris judiciaire - à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme ;

· Mener sans délais une enquête exhaustive et transparente quant aux allégations de violations des droits des défenseurs, afin d’identifier les responsables, de les traduire devant un tribunal indépendant, et d’appliquer les sanctions prévues par la loi ;

· Ne pas adopter, abroger et réviser toutes dispositions non conformes aux normes internationales et africaines relatives au droit à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association ;

· Adresser une invitation permanente aux Rapporteures spéciales sur les défenseurs des droits de l’Homme de la CADHP et des Nations unies et faciliter leur visite.

L’Observatoire appelle également la CADHP à :

· Adopter les Lignes directrices sur les droits à la liberté d’association et de réunion pacifique élaborées par le Groupe d’étude sur la liberté d’association en Afrique ;

· Adopter une résolution sur le droit fondamental à la liberté d’association, y compris le droit des ONG à accéder au financement.

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Banjul, 22 octobre - 5 novembre 2013

Pour contacter l’Observatoire :

· Email : Appeals@fidh-omct.org

· Tel et fax OMCT : + 41 22 809 49 39 / + 41 22 809 49 29

· Tel et fax FIDH : + 33 1 43 55 25 18 / +33 1 43 55 18 80

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