Cameroun: Libération et poursuite du harcèlement judiciaire de M. Franklin Mowha

04/08/2015
Urgent Appeal

L’Observatoire a été informé par le Réseau des Défenseurs des Droits Humains en Afrique Centrale (REDHAC) de la libération et de la poursuite du harcèlement judiciaire de M. Franklin Mowha, président de Frontline Fighters For Citizens Interests (FFCI), une association de défense des droits humains opérant dans la région Ouest du Cameroun[1].

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a reçu de nouvelles informations et vous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante au Cameroun.

Nouvelles informations :

Selon les informations reçues, le 7 juillet 2015, M. Franklin Mowha a été libéré de la prison centrale de Bangangté, après dix-neuf mois de détention provisoire, durant lesquels des allégations de mauvais traitements ont été rapportées sans qu’aucune enquête n’ait été diligentée. Accusé de « destruction de biens publics » et « outrage à fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions », M. Mowha était détenu depuis le 4 décembre 2013 (voir le rappel des faits).

Le 26 juin 2015, le Tribunal militaire de Bafoussam a condamné M. Mowha à dix-huit mois de prison. Ayant déjà passé dix-neuf mois en détention provisoire, ce dernier a par conséquent été libéré peu après.

Selon les mêmes informations, la décision du 26 juin a également condamné M. Mohwa au paiement d’une amende de 800 000 francs CFA (environ 1 305 euros) dans un délai de douze mois. Si M. Mowha ne paie pas cette amende, un nouveau mandat d’incarcération sera émis à son encontre. M. Mowha a fait appel de la décision.

L’Observatoire se félicite pour la libération de M. Mowha, mais dénonce sa condamnation par un tribunal militaire ainsi que l’amende prononcée à son encontre, qui semblent n’avoir pour but que de sanctionner ses activités de défense des droits humains. L’Observatoire s’inquiète particulièrement de l’utilisation abusive de la justice militaire à l’encontre d’un civil, de surcroît défenseur des droits humains, afin de nier ses droits les plus élémentaires.

L’Observatoire dénonce plus généralement l’utilisation régulière d’accusations fallacieuses telles que « destruction de biens publics » et « outrage à fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions » par les autorités camerounaises, afin de sanctionner les défenseurs des droits humains.

L’Observatoire appelle ainsi les autorités du Cameroun à cesser immédiatement toute forme de harcèlement – y compris au niveau judiciaire - à l’encontre de M. Mowha et plus généralement de l’ensemble des défenseurs des droits humains au Cameroun.

Rappel des faits :

Le 4 décembre 2013, M. Franklin Mowha a été arrêté alors qu’il se trouvait à la Brigade Ter de la Gendarmerie de Bangangté, Chef lieu du département du Ndé, afin de rendre visite à M. Nouyep Serge, membre du Mouvement des paysans du Cameroun (M-PAC), gardé à vue en raison d’un litige inter-communautaire.

Le jour même de son arrestation, M. Franklin Mowha a été publiquement passé à tabac dans la cour de la Brigade Ter par les gendarmes de cette unité, qui auraient agi sur les ordres des autorités administratives de la brigade Ter de la Gendarmerie et du Chef supérieur de Bangangté. M. Mowha a subi des blessures au nez et aux côtes, et se trouvait encore sous perfusion lors d’une visite rendue par le REDHAC le 23 juin 2014.

M. Franklin Mowha a été initialement déféré le 6 décembre 2013 à 7h30 devant le procureur de la République de Bangangté, qui n’a retenu aucune charge à son encontre. Les gendarmes de la Brigade Ter l’ont ensuite ramené en cellule avant de le déférer le même jour devant le procureur du Tribunal militaire de Bafoussam (Ouest-Cameroun), et ce bien que cette affaire devrait relever des juridictions pénales de droit commun, en contradiction totale avec les principes généraux du droit voulant qu’une juridiction militaire ne jugent que des militaires.

Suite à sa comparution devant le procureur du Tribunal militaire le 6 décembre 2013, M. Mowha a été transféré à la prison centrale de Bafoussam.

Le 21 mai 2015, M. Mowha a été transféré à la Prison centrale de Bangangté.

Le 22 mai 2015, le procès initié par le Ministère de la Défense contre M. Mowha s’est ouvert devant le Tribunalmilitaire de Bafoussam qui s’est déporté à Bangangté en audience foraine. Le Tribunal militaire a ouvert les débats en présence de l’avocat de M. Franklin Mowha. Le procureur a requis trois ans de prison ferme et plus de 2 000 000 FCFA d’amende (environ 3 000 Euros). L’avocat de M. Mowha a plaidé la relaxe de son client et a demandé la mise en délibéré de l’audience pour le 26 juin 2015 afin de lui permettre de déposer ses conclusions auprès du tribunal.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités camerounaisesen leur demandant de :

i.Mettre un terme à toute forme de harcèlement – y compris judiciaire - à l’encontre deM. Mowha Franklinainsi que de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme au Cameroun ;

ii.Mener sans délai une enquête exhaustive, indépendante, effective, rigoureuse, impartiale et transparente quant aux allégations de mauvais traitement décrits ci-dessus, afin d’identifier les responsables, de les traduire devant un tribunal indépendant, compétent et impartial conformément aux instruments internationaux et régionaux de protection des droits humains, et d’appliquer les sanctions pénales, civiles et/ou administratives prévues par la loi

iii.Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologique de M. FranklinMowha et del’ensemble des défenseurs des droits humains au Cameroun ;

iv.Se conformer à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui stipule que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent », et à l’observation générale n° 32 du Comité des droits de l’Homme, qui souligne par ailleurs que « le jugement de civils par des tribunaux militaires ou d’exception peut soulever de graves problèmes s’agissant du caractère équitable, impartial et indépendant de l’administration de la justice » (para. 22) ;

v.Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement

 son article 1 qui stipule que “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentales aux niveaux national et international” ;

 son article 6 qui stipule que “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres: a) De détenir, rechercher, obtenir, recevoir et conserver des informations sur tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales en ayant notamment accès à l’information quant à la manière dont il est donné effet à ces droits et libertés dans le système législatif, judiciaire ou administratif national ; b) Conformément aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et autres instruments internationaux applicables, de publier, communiquer à autrui ou diffuser librement des idées, informations et connaissances sur tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales ; c) D’étudier, discuter, apprécier et évaluer le respect, tant en droit qu’en pratique, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales et, par ces moyens et autres moyens appropriés, d’appeler l’attention du public sur la question” ;

 et son article 12.2 qui prévoit que “l’Etat prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration” ;

vi.Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par le Cameroun.

Adresses :

· M. Paul Biya, Président de la République, Présidence de la République, Palais de l’Unité, 1000 Yaoundé, Cameroun, Fax +237 222 08 70
· M. Philémon Yang, Premier ministre et Chef du gouvernement, Primature du Cameroun, Fax : +237 22 23 57 35 et courriel : spm@spm.gov.cm
· M. Laurent Esso, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Ministère de la Justice, 1000 Yaoundé‚ Cameroun, Fax : + 237 223 00 05
· M. Alain Edgard Mebe Ngo’o, Ministre Délégué à la Présidence de la République chargée de la Défense B.P1000 Yaoundé‚ Cameroun, Fax +237 223 59 71
· M. SADI René Emmanuel, Ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Fax : + 237 222 37 35
· Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés (CNDHL), Tel : +237 222 61 17, Fax : +237 222 60 82, E-mail : cndhl@iccnet.cm
· Mission permanente de la République du Cameroun auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, rue du Nant 6, 1207 Genève, Suisse, Fax : + 41 22 736 21 65, Email : mission.cameroun@bluewin.ch
· Ambassade de la République du Cameroun à Bruxelles, 131 av. Brugmann, 1190 Forest, Belgium, Tel : + 32 2 345 18 70 ; Fax : + 32 2 344 57 35 ; Email : ambassade.cameroun@skynet.be

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques du Cameroun dans vos pays respectifs.

***
Paris-Genève, le 4 août 2015

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, programme de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible.


[1] Depuis sa création en 2010, FFCI est engagé dans la défense des droits des peuples autochtones dans la région de l’Ouest du Cameroun. FFCI dénonce notamment l’expropriation et la marginalisation des Bororo, avec la complicité et le mutisme des autorités traditionnelles et administratives de cette région.

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