Burundi : Les ONG visées par une stratégie de reprise en main du pouvoir

05/10/2018
Communiqué

Genève-Paris, le 5 octobre 2018 - Le 2 octobre, le ministère de l’Intérieur burundais a annoncé que les ONG internationales opérant au Burundi avaient toutes étaient radiées et interdites de travailler jusqu’à ce qu’elles obtiennent à nouveau leur accréditation. Ces mesures liberticides sans précédent dans le pays appellent une réaction forte de la communauté internationale.

Le 2 octobre 2018 s’est tenue une réunion entre le ministre de l’Intérieur, Pascal Barandagiye, et les ONG internationales (OING) opérant au Burundi dont les activités ont été suspendues le 28 septembre par le Conseil national de sécurité (CNS). Au cours de cette réunion, le Ministre a annoncé que les OING avaient été radiées de la liste des organisations autorisées à travailler au Burundi. Toutes les ONG internationales sont visées par ces mesures, mises à part celles responsables du fonctionnement et des services fournis dans des hôpitaux et des écoles.

Le processus en cours vise notamment à contraindre les ONG internationales à respecter la loi de janvier 2017 qui a pour but de contrôler étroitement l’action des ONG locales et internationales, notamment leurs financements, activités et équilibres ethniques (60 % de Hutu et de 40 % de Tutsi), ce en violation du droit international et régional en vigueur.

«   Cette décision sans précédent n’est que la dernière d’une série de mesures répressives qui aura un effet catastrophique pour les populations locales. Les ONG internationales visées délivrent en effet des services essentiels aux populations, notamment en matière de santé, d’alimentation, d’agriculture, d’eau, assainissement et hygiène. Ces ONG internationales permettent en outre à des dizaines d’ONG locales communautaires de fonctionner. Nous devons tous ensemble nous élever en défense de la liberté d’association au Burundi et demander aux autorités de révoquer immédiatement cette décision et de mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, contre les organisations de la société civile  », a déclaré Gerald Staberock, secrétaire général de l’OMCT.

Depuis 2017, les ONG internationales sont dans le viseur des autorités burundaises, suspectées notamment de fournir des informations sur les violations des droits humains commises dans le pays, en majorité par le régime en place.

Cette décision du CNS de suspendre les activités des ONG internationales arrive également au moment où le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies a pris la décision de renouveler le mandat de la Commission internationale d’enquête sur le Burundi [1].

Il pourrait également s’agir de mesures liées au refus de certaines ONG internationales de se soumettre au processus de recensement et recrutement ethnique que cherchent à leur imposer les autorités depuis début 2017.

Au cours des trois prochains mois, les ONG devront fournir au MAE quatre documents sans lesquels elles ne pourront être autorisées à reprendre leurs activités : une convention de coopération avec le MAE ; un protocole d’exécution de la Loi régissant les ONG internationales (2017) ; un acte par lequel elles s’engagent à respecter la réglementation bancaire burundaise ; et un plan visant à corriger les déséquilibres ethniques au sein de leur structure dans un délai de trois ans. Ces mesures s’ajoutent aux obstacles déjà posés par la loi de janvier 2017, qui contraint les ONG internationales à des démarches administratives onéreuses visant à obtenir leur agrément [2].

«   L’ensemble des mesures prises au cours des derniers jours sont illégales, injustifiées et inadmissibles. La communauté internationale doit les dénoncer et agir afin que les ONG internationales puissent reprendre leurs activités de toute urgence  », a déclaré Sheila Nabashwa, vice-présidente de la FIDH.

La suspension des activités des ONG internationales et les restrictions auxquelles les autorités tentent de les soumettre constituent des atteintes graves à la liberté de réunion et d’association, reconnue par l’article 32 de la Constitution burundaise et par les articles 10 et 11 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ratifiée par le Burundi. La légalité de la décision du CNS est également contestable puisque, d’après la loi portant création du CNS, celui-ci est « un organe consultatif permanent chargé de conseiller le président de la République et le Gouvernement » dans le domaine de la sécurité [3]. Son mandat ne l’autorise pas à prendre des décisions contraignantes.

L’Union européenne (UE) décidera dans le courant du mois d’octobre de l’éventuel renouvellement de sanctions à l’encontre de personnes responsables de violations des droits humains ou de faire obstacle à la démocratie dans le pays. L’UE devrait notamment sanctionner les individus qui ont contribué à la suspension des activités des ONG internationales. De même, les Nations unies et l’Union africaine doivent prendre une position forte dénonçant les mesures à l’œuvre et mettre la pression sur les autorités burundaises afin qu’elles reviennent sur ces décisions.

L’Observatoire, partenariat de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la FIDH, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. L’OMCT et la FIDH sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseurs des droits de l’Homme mis en œuvre par la société civile internationale.
 
Pour plus d’informations, merci de contacter :

OMCT : Marta Gionco :+41 22 809 49 39 / mgi@omct.org
FIDH : Maryna Chebat : +33 6 48 05 91 57 / mchebat@fidh.org / @MS_Chebat

[1] Selon un rapport publié par la Commission internationale d’enquête dans le moi de septembre, des violations graves des humains – y compris des crimes contre l’humanité – avaient été commises en 2017 et 2018, principalement par les autorités burundaises, les services de sécurité et la milice Imbonerakure affiliée au parti au pouvoir. Voir le Rapport final détaillé de la Commission d’enquête sur le Burundi, Conseil des droits de l’homme, Trente-neuvième session, 12 septembre 2018, A/HRC/39/CRP.1
[2] La Loi du 23 janvier 2017 modifiant le Cadre général de la coopération impose en effet à toute ONG internationale de verser une somme de 500 dollars américains au titre de sa procédure d’agrément : https://www.presidence.gov.bi/2017/01/23/loi-n1-01-du-23-janvier-2017-portant-modification-de-la-loi-n1-011-du-23-juin-1999-portant-modification-du-decret-loi-n1-033-du-22-aout-1990-portant-cadre-general-de-la-cooperatio/
[3] Loi n°1/23 du 31 août 2008 portant missions, composition, organisation et fonctionnement du Conseil national de Sécurité.

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