REUNION SUR LA MISE EN ŒUVRE DE LA DIMENSION HUMAINE DE L’OSCE VARSOVIE - OCTOBRE 2003

30/10/2003
Communiqué

La FIDH et l’OMCT, dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, soulignent la persistance de graves violations des droits de l’Homme perpétrées contre les défenseurs des droits de l’Homme dans les pays de la zone OSCE.

Liberté d’association

Les activités des défenseurs des droits de l’homme sont restreintes dans de nombreux pays, soit directement, par le biais de stratégies mises en place par les autorités elles-mêmes, soit par leur défaillance à assurer la protection des défenseurs. Le musellement des défenseurs vise l’ensemble de leurs droits et libertés fondamentaux, et en premier lieu leurs libertés d’association, d’expression, de manifestation et de réunion.

L’Observatoire rappelle que l’article 12 de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme1, votée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, crée l’obligation pour les Etats de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection des défenseurs des droits de l’homme. De plus, l’ensemble des droits des défenseurs sont également garantis par le document final de la réunion de l’OSCE à Copenhague de 1990.

Pour l’année 2003, l’Observatoire constate que les stratégies utilisées pour museler et sanctionner les défenseurs s’articulent autour de trois méthodes répressives : détentions arbitraires, harcèlement judiciaire et
administratif, et attaques des défenseurs et des ONG. A cet égard, l’Observatoire exprime sa plus vive inquiétude quant à l’aggravation de la situation des défenseurs des droits de l’homme en Fédération de Russie, où les entraves ne se limitent plus à une restriction de l’accès à l’information sur le territoire de la Tchétchénie, mais se généralisent à l’ensemble des ONG actives et indépendantes.

En outre,

Détentions arbitraires

En Ouzbékistan, le 26 mai 2003, M. Ruslan Sharipov, militant des droits de l’homme a été arrêté puis détenu au poste de police Mirzo-Ulugbek de Tashkent. Il a été officiellement accusé de s’être livré à des pratiques homosexuelles, en violation de l’article 120 du Code pénal. Après que des aveux lui ont été extorqués sous la torture, M. Sharipov a été condamné à cinq ans d’emprisonnement. M. Shapirov dénonçait dans ses publications la corruption de la police et la situation des droits de l’homme dans son pays.

Le 11 mars 2003, au Kazakhstan, M. Sergeï Duvanov, rédacteur en chef du bulletin d’information Les Droits de l’homme au Kazakhstan et dans le monde, a été condamné à trois ans et demi d’emprisonnement pour viol sur mineur. Son arrestation est intervenue le 28 octobre 2002, jour de son départ pour les Etats-Unis, où il devait intervenir sur la situation des droits de l’Homme au Kazakhstan. En février 2003, le Parlement européen a voté une résolution demandant la libération immédiate de Duvanov.

Au Belarus, le Professeur Yuri Bandazhevsky, est en prison depuis maintenant deux ans. Sa condamnation à huit ans de prison est notamment liée au fait qu’il ait ouvertement critiqué le détournement de budgets au sein du Ministère de la Santé, qui auraient dû servir à la recherche sur les effets néfastes de la catastrophe de Tchernobyl. Le 7 juillet 2003, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a déclaré que la requête du Professeur Yuri Bandazhevski, présentée en vertu du protocole additionnel au Pacte sur les droits civils et politiques, était recevable, et a demandé aux autorités de fournir des explications sur la situation du Professeur.

Le 15 mars 2003, en Tchétchénie, des hommes, visiblement russes, armés et masqués ont enlevé M. Imran Ejiev, responsable du Bureau au Caucase Nord du Centre d’information de la Société d’amitié russe tchétchène (SART), et coordinateur régional du Moscow Helsinki Group. Cet enlèvement était apparemment lié aux enquêtes que menait M.Ejiev pour la rédaction du rapport annuel de la SART sur la situation des droits de l’homme en Tchétchénie. Il a été libéré trois jours plus tard.

Le 28 avril 2003, Natalia Shabunts, Présidente de « Civil Dignity » est intervenue lors d’une réunion au Turkménistan avec des représentants de l’OSCE pour mettre en lumière la gravité de la situation des droits de l’homme dans le pays. A la suite de cette intervention, des agents des services spéciaux se sont postés devant son domicile et ont tenté de l’arrêter alors qu’elle sortait de chez elle pour se rendre à un dîner officiel de l’OSCE.

Harcèlement judiciaire et administratif

En Turquie, le 6 mai 2003, le siège de l’Association des droits de l’homme en Turquie (IHD) et sa section d’Ankara ont fait l’objet de deux perquisitions. L’ensemble du matériel a été saisi. L’opération aurait apparemment été ordonnée par la Cour de sécurité de l’Etat dans le cadre d’une enquête préliminaire et de poursuites pour « aide à une organisation illégale ».

En Russie, en janvier 2003, le Procureur militaire du district militaire de Leningrad a exigé du Ministère de la Justice l’ouverture d’une enquête sur les activités des Mères de soldats de Saint Petersbourg. En effet, en janvier 2003, 24 soldats ont déserté l’armée et ont demandé son aide à l’association. Le 23 juin 2003, l’enquête a conclu que les activités des Mères de soldats étaient incompatibles avec leurs statuts. En conséquence, les statuts ont dû être modifiés, puis soumis à un nouvel enregistrement, qui a été refusé le 7 août 2003.

A la mi-août 2003, VtsIOM, le centre de l’étude de l’opinion publique de Russie, a fait l’objet d’une main-mise des autorités, qui ont décidé de nommer un nouveau Conseil d’administration, composé de fonctionnaires de plusieurs ministères.

Au Kirghizistan, les autorités ont demandé au Comité kirghize pour les droits de l’homme (KCHR) de procéder à son ré-enregistrement auprès du ministère de la Justice en août. En septembre, le ministère a procédé à l’enregistrement d’une association portant le nom du KCHR, composée d’un nouveau bureau politique auto-proclamé visiblement proche du gouvernement, évinçant de fait M. Ramazan Dyryldaev, réélu Président du KCHR en mai 2003.

Enfin, il semble que les autorités du Belarus aient initié en avril 2003 une nouvelle campagne de harcèlement quasi-systématique des organisations de défense des droits de l’homme. De nombreuses ONG ont été fermées pour de supposées irrégularités administratives, à l’instar de « Ratusha », « Varuta » et « Youth Christian Union » en avril, de « Civil Initiatives » en mai, de « Kontur » en juillet et de « Legal Assistance to Population » en septembre.

Par ailleurs, un procès en liquidation à l’encontre de l’ONG Viasna s’est ouvert le 23 septembre 2003. Viasna est entre autres accusée d’irrégularités comptables, d’avoir tenté de participer à l’observation des dernières élections présidentielles de 2001. L’organisation a d’autre part demandé l’autorisation de défendre les intérêts et droits de personnes ne faisant pas partie de ses membres. Les nombreuses fermetures d’ONG depuis le mois d’avril font craindre quant à l’issue de la procédure
L’ « Association indépendante de recherche juridique » a en outre fait l’objet d’un avertissement pour avoir représenté l’ONG « Ratusha » lors de sa procédure en liquidation. Le 2 juillet 2003, l’organisation bélarusse des femmes actives a également reçu un avertissement pour violation des règles sur les sceaux et création d’organes non prévus dans les statuts.

Attaques d’ONG et agressions des défenseurs

L’Observatoire note avec inquiétude que les attaques d’ONG se multiplient. Les raids dirigés contre les bureaux des organisations sont souvent accompagnés de vol de matériel et d’information. Les attaques de personnes sont également de plus en plus courantes, notamment lors de manifestations.

Au Kirghizistan, le 26 mars 2003, d’anciens employés du KCHR se sont rendus aux bureaux de l’organisation et ont tenté de dérober des ordinateurs et de voler des informations. Ils étaient accompagnés d’hommes en uniforme qui pourraient être des agents du Ministère de l’Intérieur.

En mars 2003, en Arménie, les bureaux de l’Helsinki Citizens Assembly ont été attaqués quelques jours après que le coordinateur de l’ONG ait annoncé qu’il organiserait une réunion publique d’information concernant les élections présidentielles. Le coordinateur a été arrêté et condamné à 10 jours de prison.

Le 23 avril 2003, le Centre azerbaïdjanais pour les droits de l’homme et l’Institut pour la Paix et la Démocratie, deux ONG d’Azerbaïdjan, ont été assaillis par un groupe de personnes non identifiées. Peu de temps auparavant, au cours d’une émission diffusée sur une chaîne d’Etat, les présidents respectifs de ces deux organisations, Eldar Zeynalov et Leyla Yunus, avaient été accusés d’être des ennemis du peuple.

Les présentateurs avaient, en outre, invité les téléspectateurs à réagir, et les coordonnées téléphoniques de M. Zeynalov avaient été diffusées. Le 25 avril, le Centre pour les droits de l’homme a de nouveau été attaqué, apparemment par des membres du parti au pouvoir. Le même jour, un journal pro-gouvernemental a condamné les actions de M. Zeynalov, l’accusant d’être d’origine arménienne.

Les attaques dirigées contre les défenseurs en Russie semblent se généraliser. Le 14 août, les bureaux de l’organisation Mémorial à Saint Pétersbourg ont été attaqués par deux hommes qui ont déclaré appartenir au « Comité pour la défense de Budanov », Colonel russe condamné pour l’enlèvement et le viol d’une jeune Tchétchène en 2000. Après avoir attaché, bâillonné, et séquestré le Président de l’association, Vladimir Schnitke, ainsi que deux employés, les deux hommes se sont emparé d’un ordinateur portable contenant des informations sur les membres et les contacts de Mémorial.

Le 18 janvier 2003, six membres de l’Eglise orthodoxe russe de Pyzhi ont pénétré dans le musée Sakharov, et, déclarant qu’ils avaient été choqués par certaines oeuvres d’art, ont procédé à leur destruction. Le Musée Sakharov fait partie du Musée et Centre civil pour la paix, le progrès et les droits de l’homme.

Le 11 septembre, des participants à une manifestation hebdomadaire des Mères de soldats de Saint Petersbourg ont été agressés par un groupe d’hommes non identifiés. Un manifestant a été sévèrement battu.

En Ouzbékistan, le 7 mai, des femmes qui protestaient contre la détention de leurs maris, les mauvais traitements et la torture qu’ils avaient subis ont été battues et forcées à monter dans des cars de police. Des journalistes ont également été agressés, et leur matériel a été confisqué. Le 8 mai, un rassemblement de plus de 60 femmes manifestant contre les persécutions religieuses a été réprimé.

Recommandations :

Au regard de cette situation, l’Observatoire demande aux Etats membres de l’OSCE de :
 s’engager à mettre fin à ce phénomène de répression récurrent des défenseurs des droits de l’Homme et de leurs organisations,
 reconnaître pleinement le rôle primordial des défenseurs dans l’avènement de la démocratie et de l’Etat de droit,
 se conformer notamment aux dispositions du document final de la réunion de Copenhague de 1990 et de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme.

A cette fin, l’Observatoire réitère ses recommandations concernant l’adoption d’un mécanisme spécifique régional de protection des défenseurs des droits de l’Homme, mécanisme de monitoring et de suivi spécifique, avec pour mandat de solliciter et interpeller les Etats, y inclus de leur répondre.

Ce mécanisme devrait travailler en étroite coopération et articuler ses activités avec le mandat de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, Mme Hina Jilani, qui s’est déjà entretenue avec les plus hautes instances de l’OSCE.

Ce mécanisme est indispensable pour sensibiliser les Etats et les conduire à respecter leurs engagements et garantir la liberté d’action des défenseurs. Les appels de la société civile à l’OSCE doivent être entendus, d’autant qu’aucune amélioration n’est notable sur le terrain en matière de liberté d’association et d’action des défenseurs.

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