62ème session de la CADHP : Intervention orale de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme

L’OMCT et la FIDH, dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, ainsi que l’ensemble de leur réseau d’organisations membres et partenaires sur le continent africain, attirent votre attention sur plusieurs développements inquiétants liés à la situation des défenseurs des droits humains sur le continent.

Une version anglaise de l’intervention écrite est disponible ici / English version of the written intervention available here :

1. Dans de nombreux pays africains, les défenseurs continuent d’être victimes de criminalisation, de menaces et de violences pour les réduire au silence

Dans de nombreux cas, les autorités harcèlent judiciairement sans relâche, ceux qui dénoncent publiquement les violations des droits humains et actes de corruption commis par des autorités étatiques à l’instar du journaliste Rafael Marques de Morais qui continu d’être harcelé judiciairement en Angola malgré les promesses de la nouvelle administration de mettre fin à la corruption et à l’impunité. Au Soudan, les autorités ont engagé une vague de détentions arbitraires massives à l’encontre de défenseurs ayant participé aux manifestations à travers le pays depuis le mois de janvier en réaction à l’annonce du budget de l’année 2018.

Les détentions arbitraires s’accompagnent souvent de violations graves des droits humains et du droit à un procès équitable, privant par exemple les défenseurs de l’accès à leur avocat, à l’instar du Président de l’Association pour la culture de la paix et de la non-violence au Congo-Brazzaville, M. Noël Mienanzambi-Boyi, arbitrairement détenu depuis janvier 2017. En Égypte, le journaliste et défenseur, M. Omar Mohamed Ali arbitrairement détenu depuis 2015, d’abord incommunicado et torturé, s’est vu confirmé une peine de 25 ans de prison fin mars 2018.

Les menaces de mort et les attaques physiques sont aussi utilisées pour faire taire les défenseurs, à l’instar du Président de la Ligue des électeurs en RDC et Secrétaire général adjoint de la FIDH, M. Paul Nsapu, menacé en janvier 2018 après la publication d’un rapport dénonçant les crimes contre l’humanité commis dans la province du Kasaï.

Ces attaques sont généralement le symptôme d’un environnement hostile pour les organisations de la société civile, comme au Kenya, où la démolition des bureaux de la Coalition for Grassroots Human Rights Defenders fin mars, intervient alors que le gouvernement empêche depuis plus de 4 ans la mise en œuvre du Public Benefit Organisation (PBO) Act 2013. Pour la seconde fois en moins de deux ans et dans l’impunité la plus totale, les bureaux de Human Rights Awareness and Promotion Forum (HRAPF) ont été attaqué en Ouganda. Au Maroc, l’Observatoire a documenté le rétrécissement croissant de l’espace dans lequel les organisations de la société civile opèrent, alors que leurs activités, leur enregistrement, et leur accès aux financements sont entravés par les autorités.

2. Les défenseurs et organisations de la société civile travaillant au respect de la démocratie et des droits électoraux cibles principales des représailles, sous couvert du principe de sécurité nationale

Au Burundi, une répression généralisée vise les défenseurs ayant collaboré avec des organisations de défense des droits humains radiées par le gouvernement aux moyens d’accusations « d’atteinte à la sureté de l’État », à l’instar de M. Nestor Nibitanga, détenu depuis novembre 2017 pour avoir représenté l’Association Burundaise pour la Protection des Droits Humains et des Personnes Détenues (APRODH). Le 8 mars dernier MM. Aimé Constant Gatore, Marius Nizigama et Emmanuel Nshimirimana, porte-paroles de l’organisation Parole et Actions pour le Réveil des Consciences et l’Évolution des Mentalités (Parcem) ont été condamnés à 10 ans de prison. De même, M. Germain Rukuki, ancien employé de l’ACAT-Burundi détenu depuis juillet 2017 encourt la prison à perpétuité, après un procès marqué d’atteintes au respect de son droit à un procès équitable.

Le harcèlement contre les défenseurs s’exerce également à travers l’imposition de restrictions au droit à la liberté d’association et de rassemblement, comme au Niger où plusieurs leaders de la société civile s’étant élevés contre la loi de finance 2018 dont le coordinateur national du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (ROTAB) Ali Idrissa, le Secrétaire Général d’ Alternative espaces citoyens (AEC), Moussa Tchangari, et le directeur du Mouvement patriotique pour une citoyenneté responsable (MPCR), Mr. Nouhou Mahamadou Arzika, qui sont arbitrairement détenus depuis mars 2018.

En République Démocratique du Congo, l’Observatoire documente depuis 2017 une tendance quasi-systématique d’arrestation et de détentions arbitraires et au secret, de criminalisation et de harcèlement de la part des autorités congolaises envers les défenseurs et/ou les membres de mouvements citoyens qui demandent notamment la mise en œuvre de l’Accord politique du 31 décembre 2016 et l’organisation d’élections générales tels que la LUCHA, Filimbi, Compte à rebours et le Comité laïc de coordination (CLC). En particulier, l’Observatoire condamne avec la plus grande fermeté l’assassinat au cours d’une manifestation pacifique le 25 février 2018, de M. Rossy Thsimanga Mukendi, fondateur du Mouvement Citoyen Collectif 2016.

3. A travers le continent africain, nos organisations sont particulièrement préoccupées par la gravité des attaques visant les défenseurs des droits économiques et sociaux, de la terre et de l’environnement

Au Cameroun, le Vice-président national du Mbororo Social and Cultural Development Association (MBOSCUDA), M. Musa Usman Ndamba et les membres de Organic Farming for Gorillas (OFFGO), qui s’opposent à l’appropriation illicite des terres dans la région du Nord-Est, font l’objet de harcèlement judiciaire et de menaces de mort. En Égypte, le procès contre trente-deux défenseurs des droits du peuple nubien, poursuivis devant une juridiction extraordinaire pour avoir pris part à des manifestations pacifiques demandant le respect de leur droit constitutionnel au retour, continue.

4. Recommandations :

1) Au vu de ces éléments, l’Observatoire rappelle aux États parties leur obligation de se conformer à toutes les dispositions de la Charte africaine, en particulier celles relatives à la protection des défenseurs. A cet égard, les États devraient de manière immédiate et inconditionnelle :

  Libérer tous les défenseurs arbitrairement détenus, mettre un terme à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à leur encontre, et garantir leur intégrité physique et psychologique ainsi que leur capacité à opérer dans un environnement favorable ;

  S’assurer que l’application des législations anti-terroristes et de sécurité nationale soit conforme aux normes internationales en matière des droits humains et qu’elles ne soient pas utilisées à l’encontre des défenseurs des droits humains.

  Développer des mesures différenciées pour la protection des groupes de défenseurs les plus vulnérables tels que les défenseurs du droit à la terre et à l’environnement, les défenseurs travaillant dans les zones rurales, les femmes défenseures ou les défenseurs des droits des LGBTI ;

  Mener sans délai une enquête exhaustive, indépendante, effective, rigoureuse, impartiale et transparente sur les allégations de violations des droits des défenseurs des droits humains afin d’identifier les responsables, de les traduire devant un tribunal indépendant, compétent et impartial conformément aux instruments internationaux et régionaux de protection des droits humains, et d’appliquer les sanctions prévues par la loi ;

  Adresser une invitation permanente aux Rapporteurs spéciaux de la CADHP et des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme et faciliter leurs visites.

2) L’Observatoire appelle également la CADHP à :

 Souligner l’importance du rôle joué par les défenseurs et la nécessité de les protéger contre tout acte de harcèlement ;

 Soulever de manière systématique la question des défenseurs, dénoncer et condamner les violations lors de l’examen des rapports périodiques et à l’occasion de toute visite pays ;

 Dénoncer l’impunité qui prévaut, et appeler les États à mener des enquêtes promptes, impartiales et transparentes, et à sanctionner tous les responsables ;

 Garantir la mise en œuvre effective de ses résolutions, conclusions et décisions sur les communications.

 Poursuivre et renforcer la collaboration avec le Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs, ainsi qu’avec les autres mécanismes régionaux dédiés à la protection des défenseurs.

Je vous remercie de votre attention.

***
Nouakchott, Avril 2018

Pour contacter l’Observatoire :
• Email : Appeals@fidh-omct.org
• Tel et fax OMCT : + 41 22 809 49 39 / + 41 22 809 49 29
• Tel et fax FIDH : + 33 1 43 55 25 18 / +33 1 43 55 18 80

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