Dans son avis (A/HRC/WGAD/2018/13), le GTDA a estimé que la détention de M. Nabeel Rajab contrevenait aux articles 2, 3, 7, 9, 10, 11, 18 et 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et aux articles 2, 9, 10, 14, 18, 19 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Bahreïn en 2006. Le Groupe de travail demande au gouvernement du Bahreïn de « libérer immédiatement M. Rajab et de lui accorder un droit à indemnisation et à d’autres réparations, conformément au droit international ».
Cet avis est historique car il reconnaît que la détention de M. Nabeel Rajab - président du Centre du Bahreïn pour les droits de l’Homme (BCHR), directeur fondateur du Centre des droits de l’Homme du Golfe, secrétaire général adjoint de la FIDH et membre du Comité consultatif Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch - est arbitraire et constitue une violation du droit international, car elle résulte de l’exercice du droit à la liberté d’opinion et d’expression ainsi que de la liberté de pensée et de conscience et constitue en outre « une discrimination fondée sur une opinion politique ou autre, ainsi que sur son statut de défenseur des droits humains ». La détention de M. Nabeel Rajab a donc été jugée arbitraire en vertu des catégories II et V telles que définies par le GTDA.
M. Nabeel Rajab a été arrêté le 13 juin 2016 et est, depuis lors, détenu par les autorités bahreïnies pour un certain nombre d’accusations liées à la liberté d’expression et portant atteinte à ses droits fondamentaux. Le 15 janvier 2018, la Cour de cassation a confirmé sa condamnation à deux ans de prison pour « diffusion de fausses informations et rumeurs sur la situation interne du Royaume, portant atteinte au prestige et au statut de l’État » – en référence à des entretiens télévisés qu’il a donnés en 2015 et 2016. Plus récemment, le 5 juin 2018, la Cour d’appel de Manama a confirmé sa peine de cinq ans de prison pour « diffusion de fausses rumeurs en temps de guerre » ; « offense à un pays étranger » - en l’occurrence l’Arabie saoudite ; et pour « insulte à un organe statutaire », faisant référence aux commentaires faits sur Twitter en mars 2015 concernant des allégations de torture dans la prison de Jaw et critiquant le massacre de civils par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite à l’occasion du conflit au Yémen. L’affaire Twitter passera prochainement devant la Cour de cassation, dernière possibilité pour les autorités de l’acquitter.
Le GTDA a souligné que « la pénalisation d’un média, d’un éditeur ou d’un journaliste uniquement pour avoir critiqué le gouvernement ou le système social politique adopté par le gouvernement ne peut jamais être considérée comme une restriction nécessaire à la liberté d’expression », et a réitéré qu’ « aucun procès de M. Rajab ne devrait avoir eu lieu ou avoir lieu dans le futur ». Il a ajouté que le GTDA « ne peut s’empêcher de remarquer que les opinions et convictions politiques de M. Rajab sont clairement au centre de la présente affaire et que les autorités ont manifesté à son égard une attitude qui ne peut être qualifiée que de discriminatoire ». Le GTDA a ajouté que plusieurs affaires concernant le Bahreïn lui avaient déjà été soumises au cours des cinq dernières années, dans lesquelles le GTDA « a estimé que le gouvernement violait ses obligations en matière de droits de l’Homme ». Le GTDA a ajouté que "dans certaines circonstances, l’emprisonnement généralisé ou systématique ou toutes autres privations graves de liberté en violation des règles du droit international peuvent constituer des crimes contre l’humanité ».
En effet, la liste des personnes détenues pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression et d’opinion au Bahreïn est longue et comprend plusieurs éminents défenseurs des droits humains, notamment M. Abdulhadi Al-Khawaja, Dr. Abduljalil Al-Singace et M. Naji Fateel - que le GTDA a précédemment mentionnés dans des communications aux autorités bahreïnies.
Nos organisations rappellent que c’est la deuxième fois que le GTDA émet un avis concernant M. Nabeel Rajab. Dans son avis A/HRC/WGAD/2013/12 adopté en décembre 2013, le GTDA avait déjà qualifié la détention de M. Nabeel Rajab d’arbitraire car résultant de l’exercice de ses droits humains universellement reconnus et du fait que son droit à un procès équitable n’avait pas été garanti (détention arbitraire au titre des catégories II et III définies par le Groupe de travail). Le fait que plus de quatre ans se soient écoulés depuis l’émission de cet avis, sans mesures correctives et que le Bahreïn ait continué à engager de nouvelles poursuites à son encontre et contre d’autres défenseurs, sanctionnant l’expression de points de vue critiques, démontre la tendance du gouvernement à mépriser les organes internationaux de défense des droits humains.
Pour conclure, nos organisations exhortent les autorités du Bahreïn à donner suite à la demande du GTDA de se rendre au Bahreïn et à respecter l’avis du GTDA en libérant immédiatement et sans condition M. Nabeel Rajab et en abandonnant toutes les charges retenues contre lui. En outre, nous exhortons les autorités à libérer tous les autres défenseurs des droits humains arbitrairement détenus au Bahreïn et à garantir en toutes circonstances leur santé physique et psychologique.