Questions & Réponses sur l’affaire Hissène Habré

1. Qui est Hissène Habré ?

2. Quels étaient les chefs d’accusation retenus à son encontre ?

3. Comment le procès s’est-il déroulé ?

4. Pour quels crimes a-t-il été condamné et quelle a été la peine prononcée ?

5. Un appel contre le verdict a-t-il été introduit ?

6. Les victimes avaient-elles le droit de participer aux procédures devant les Chambres ?

7. Les victimes ont-elles obtenu des réparations ?

8. Pourquoi est-il jugé au Sénégal et non pas au Tchad ?

9. Pourquoi aurait-il pu être jugé en Belgique ?

10. Quelles sont les différentes étapes de la procédure au Sénégal ?

11. De quelle façon est intervenue la Cour internationale de justice (CIJ) dans le déroulement des procédures ?

12. Pourquoi Hissène Habré n’est-il pas jugé par la Cour pénale internationale ?

13. Comment fonctionnent les Chambres africaines extraordinaires et quelles sont leurs compétences ?

14. Hissène Habré est-il le seul individu qui peut être poursuivi devant les Chambres africaines extraordinaires ?

15. Comment la procédure devant les Chambres africaines extraordinaires est-elle communiqué au Tchad ?

16. Comment les Chambres africaines extraordinaires sont-elles financées ?

17. Comment les ONG ont-elles contribué à faire avancer l’affaire Habré ?

1. Qui est Hissène Habré ?

Hissène Habré, né en 1942, a été Président de la République du Tchad du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990. Son régime de parti unique s’est caractérisé par de nombreuses atteintes aux droits humains, notamment à l’encontre de certains groupes ethniques. Il serait responsable de milliers d’assassinats politiques et de l’usage systématique de la torture. La plupart des crimes auraient été commis par sa police secrète, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS). En tant que Président de laRépublique du Tchad, la DDS lui était directement subordonnée en raison du caractère confidentiel de ses activités.

2. Quels étaient les chefs d’accusation retenus à son encontre ?

Hissène Habré a été inculpé le 2 juillet 2013 devant les Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises (ci-après Chambres africaines extraordinaires) pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture, qui auraient été commis pendant sa présidence au Tchad. Le 5 février 2015, le Parquet général près les Chambres africaines extraordinaires a rendu un réquisitoire définitif de mise en accusation et de renvoi de Hissène Habré devant la Chambre africaine extraordinaire d’Assises. Le 13 février 2015, les juges ont conclu au terme de 19 mois d’instruction qu’il y avait suffisamment de preuves pour que Hissène Habré soit jugé pour « crimes contre l’humanité et torture au titre de l’entreprise criminelle commune » et « crimes de guerre en qualité de supérieur hiérarchique ». [1]

L’intégralité des charges qui sont retenues contre lui sont les suivantes :
 homicides volontaires, pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, enlèvement de personnes suivi de disparition et torture constitutifs de crimes contre l’humanité commis sur les populations civiles, les Hadjeraï, les Zaghawa, les opposants et les populations du sud du Tchad ;
 torture ; et
 crimes de guerre d’homicide volontaire, de torture et traitements inhumains, de transfert illégal et détention illégale, d’atteinte à la vie et à l’intégrité physique.

3. Comment le procès s’est-il déroulé ?

Le procès - qui s’est tenu conformément aux règles de procédure pénale sénégalaise - a duré 56 jours.

Habré et les trois avocats qu’il a choisi pour le représenter ont refusé de coopérer avec les Chambres et n’ont d’ailleurs pas comparu à l’ouverture du procès en juillet 2015, sous le prétexte que c’était un procès illégitime. Le deuxième jour du procès, la Chambre d’assises a désigné trois avocats commis d’office pour assurer sa défense pendant le procès. Une suspension de 45 jours a été accordée pour permettre à la défense de préparer ses arguments. Lorsque le procès s’est repris en septembre 2015, Habré ne s’est pas présenté à nouveau. Les agents des forces de l’ordre ont dû le forcer, malgré le fait qu’il avait été formellement convoqué devant les Chambres.

La Chambre d’assises était présidée par M. Gberdao Gustave Kam du Burkina Faso, ancien juge du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

Au cours du procès, 93 témoins ont été entendus. Ils ont témoigné sur des crimes commis à différentes époques au Tchad sous d’Habré, y compris les attaques contre les Hadjerai en 1987, les Zaghawa en 1989 et les populations du sud du pays, ainsi que sur l’arrestation et la torture de prisonniers politiques et les conditions et le traitement imposés aux détenus et aux prisonniers de guerre. Des témoins experts ont également témoigné sur le contexte historique et politique au Tchad. Un certain nombre de victimes et de survivants ont été entendus et leurs témoignages constituaient un facteur décisif dans le verdict de la Chambre d’assises. Le témoignage d’un témoin en particulier, une survivante de viol, a été si puissant qu’il a finalement conduit à la condamnation d’Habré pour crimes de viol en tant qu’auteur direct.

Le procès s’est terminé le 12 février 2016, après les plaidoiries de clôture.

Photos prises lors d’une mission de la FIDH au Tchad en 2001 (crédit : FIDH/Gaël Grilhot)

4. Pour quels crimes a-t-il été condamné et quelle a été la peine prononcée ?

Le 30 mai 2016, Hissène Habré a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture par la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires. La condamnation, qui est plus large que les chefs initialement retenus à son encontre, comprend l’homicide, le viol et l’esclavage sexuel, les enlèvements, les disparitions forcées, la torture et les traitements cruels ou inhumains, ainsi que les exécutions sommaires, commis directement par Habré, ou pour lesquels il a été reconnu coupable sur la base de la responsabilité de supérieurs hiérarchiques.

Habré a été condamné à la réclusion à perpétuité. Cette peine a été déterminée en tenant compte de la gravité des crimes commis, ainsi que de sa situation personnelle et des circonstances aggravantes et/ou atténuantes. [2]

5. Un appel contre le verdict a-t-il été introduit ?

Le 10 juin 2016, les avocats commis d’office chargés d’assurer la défense d’Habré ont formé un appel contre le verdict. Ils ont dénoncé la peine comme étant trop sévère et ne tenant pas compte des circonstances atténuantes. Le procès en appel, qui était limité aux questions de droit, s’est ouvert le 9 janvier 2017 et a duré quatre jours. Habré n’était pas présent devant les Chambres pendant le procès en appel. Il est actuellement détenu dans une cellule pénitentiaire spécialement conçue à Cape Manuel, à Dakar.

Le verdict en appel sera rendu par la Chambre d’assises d’appel des Chambres africaines extraordinaires, présidée par Wafi Ougadèye (un magistrat malien), le 27 avril 2017. Cette décision pourrait soit confirmer la condamnation et la peine, soit les annuler, et soit confirmer la condamnation tout en réduisant la peine. La décision de la Chambre d’assises d’appel sera définitive.

6. Les victimes avaient-elles le droit de participer aux procédures devant les Chambres ?

Les ONG, dont la FIDH, ont réalisé un plaidoyer important pour que les victimes aient un rôle à part entière et puissent pleinement participer aux procédures devant les Chambres africaines extraordinaires.

La participation des victimes aux procédures est un point essentiel de la lutte contre l’impunité. Il s’agit pour elles de jouer un rôle effectif dans la poursuite et la condamnation des auteurs des crimes, pour que les décisions de cette juridiction aient un vrai impact sur les communautés affectées.

L’article 14 du Statut des Chambres permet aux victimes de se constituer partie civile et de participer ainsi pleinement aux procédures, à travers un représentant légal. Leur régime de participation est ainsi similaire à celui devant les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens. Les victimes ne disposant pas de ressources ont pu bénéficier de l’aide judiciaire. Pendant le procès, il y avait deux groupes de victimes, représentés par deux collectifs d’avocats venant du Sénégal, du Tchad, et d’autres pays, dont la France. Chaque collectif d’avocats a bénéficié du financement des Chambres, comme pour les avocats commis d’office chargés d’assurer la défense d’Habré.

7. Les victimes ont-elles obtenu des réparations ?

Devant les Chambres africaines extraordinaires, les victimes peuvent avoir accès aux formes classiques de réparation, c’est-à-dire la restitution, l’indemnisation et la réhabilitation, tel que le prévoit l’article 27 du Statut. L’article 28 crée un Fonds au profit des victimes des crimes de la compétence des Chambres et de leurs ayant-droit. Ce Fonds devrait être alimenté par des contributions volontaires de gouvernements étrangers, d’institutions internationales, d’organisations non gouvernementales et d’autres sources désireuses d’apporter un soutien aux victimes. Cependant, pour le moment, ce Fonds n’a pas encore été formellement établi, et il y a un manque de volonté de financer les réparations.

Le 29 juillet 2016, la Chambre d’assises a ordonné des réparations allant jusqu’à 20 millions de francs CFA ($33,898) pour les victimes parties civiles. Les victimes ont fait appel de cette décision, notamment concernant le refus d’accorder des réparations collectives et le fait que les critères d’éligibilité pour les victimes n’ayant pas directement participé au procès ont été jugés trop stricts. La Chambre d’assises d’appel rendra également une décision finale sur les réparations le 27 avril 2017.

8. Pourquoi est-il jugé au Sénégal et non pas au Tchad ?

En octobre 2000, 17 victimes, conjointement à l’Association des victimes des crimes et de la répression politique au Tchad (AVCRP), ont porté plainte, au Tchad, contre Hissène Habré. Le juge d’instruction a rejeté la plainte en prétextant l’existence d’une ordonnance qui précisait que l’affaire ne relevait pas du droit commun. Les parties civiles ont alors dénoncé l’inconstitutionnalité de l’ordonnance. Malgré la décision du Conseil constitutionnel, qui déclare en 2001 l’ordonnance inconstitutionnelle, la procédure n’a pas avancé car le juge d’instruction a estimé ne pas avoir assez d’informations pour poursuivre ses investigations. Hissène Habré ayant fui le Tchad, suite à la prise de pouvoir par Idriss Déby en 1990, pour s’installer au Sénégal, où il vit depuis, des actions judiciaires ont été initiées dans son nouveau pays de résidence.

En août 2008, Hissène Habré avait été condamné à mort par contumace par une Cour tchadienne à l’issue d’un procès expéditif pour son rôle présumé de soutien aux mouvements rebelles ayant tenté de prendre N’Djamena et de renverser le pouvoir en place en février 2008.

9. Pourquoi aurait-il pu être jugé en Belgique ?

En 2000, trois plaintes avec constitution de partie civile sont déposées en Belgique contre Hissène Habré pour crimes contre l’humanité, torture, actes de barbarie et meurtres. Les plaintes sont déposées par des ressortissants belges d’origine tchadienne et aboutissent à l’ouverture d’une enquête, sur le fondement de la compétence universelle ou extra-territoriale permettant aux juridictions nationales de poursuivre les auteurs présumés des crimes les plus graves quel que soit le lieu où le crime a été commis et sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes.

En 2005, suite à des enquêtes menées au Tchad, le juge belge Fransen délivre un mandat d’arrêt international à l’encontre d’Hissène Habré. Une demande d’extradition est envoyée au Sénégal où se trouve Hissène Habré. Dix jours après son arrestation, la Cour d’appel de Dakar se déclare incompétente, le 25 novembre 2005, pour statuer sur la demande d’extradition. Hissène Habré est alors relâché. Le ministre sénégalais des Affaires étrangères déclare toutefois qu’il sera maintenu sur le territoire jusqu’à ce que l’Union africaine décide de la juridiction compétente pour juger de cette affaire.

10. Quelles sont les différentes étapes de la procédure au Sénégal ?

La procédure au Sénégal a connu trois étapes principales.

Première étape : Le 25 janvier 2000, sept victimes tchadiennes et l’ACVRP portent plainte contre Hissène Habré auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal régional de Dakar. Après l’audition des victimes, le juge d’instruction décide d’inculper Hissène Habré pour complicité de torture. Le 18 février 2000, l’avocat d’Hissène Habré demande l’annulation de la procédure pour incompétence du tribunal, le crime de torture ne faisant pas partie du code pénal sénégalais. Le 4 juillet 2000, la Cour d’appel annule la totalité de la procédure pour incompétence. Suite au pourvoi en cassation des parties civiles qui affirment que la torture est un crime reconnu comme universel par la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ratifiée par le Sénégal, la Cour de cassation rejette les moyens des parties civiles et déclare les juridictions sénégalaises incompétentes.

Deuxième étape : Suite à la pression de l’Union africaine qui demande au Sénégal de se mettre en
capacité de juger Hissène Habré, notamment lors de sa 7ème session ordinaire en juillet 2006, [3] l’Assemblée nationale sénégalaise adopte une loi, le 31 janvier 2007, rendant possible l’instruction des cas de génocide, de crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, même commis en dehors du territoire. La procédure contre Hissène Habré peut donc reprendre. Le 8 avril 2008, la Constitution sénégalaise est modifiée ouvrant une exception au principe de non-rétroactivité de la loi pénale pour le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le 16 septembre 2008, une nouvelle plainte est déposée auprès du procureur général de la Cour d’appel de Dakar par 14 victimes, soutenues par un collectif d’avocats dont des membres du Groupe d’action judiciaire (GAJ) de la FIDH, contre Hissène Habré, pour crimes de torture, crimes contre l’humanité ainsi que pour complicité de ces crimes.

Troisième étape : En 2008, Hissène Habré saisit la Cour de Justice de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour constater la violation par le Sénégal du principe de non rétroactivité de la loi pénale et du principe de procès équitable. Entre temps, alors que le Sénégal se montre enclin à ouvrir une enquête, les discussions autour du budget d’une telle procédure, engagées par l’Union africaine, l’Union européenne, les États-Unis et le Sénégal, figent les avancées judiciaires. Le 18 novembre 2010, alors que les donateurs prêts à financer le jugement se sont mis d’accord sur la hauteur du budget, la Cour de justice du CEDEAO décide qu’Hissène Habré doit être jugé par une juridiction spéciale ou ad hoc à caractère international.

Le processus de mise en place des Chambres africaines extraordinaires connaît un nouveau rebondissement le 30 mai 2011, lorsque le Président Wade, au cours des négociations entre le Sénégal et l’Union africaine sur la finalisation du Statut des Chambres, quitte la table des négociations.

La procédure étant de nouveau bloquée, la Belgique renouvelle sa demande d’extradition sans obtenir de réponse. Le Rwanda fait alors savoir qu’il est en mesure d’organiser le procès d’Hissène Habré. Cette option est toutefois rejetée, y compris par l’Union africaine.

Après les élections sénégalaises, qui verront Macky Sall élu à la présidence du Sénégal en avril 2012, un accord est finalement conclu le 22 août 2012 entre l’Union africaine et les autorités sénégalaises, créant les Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises, chargées de juger les crimes commis pendant le régime de Habré au Tchad.

11. De quelle façon est intervenue la Cour internationale de justice (CIJ) dans le déroulement des procédures ?

En 2009, la Belgique saisit la CIJ au sujet de l’obligation du Sénégal de juger ou extrader Hissène Habré. En attendant la décision au fond et suite à l’annonce du Président Wade de mettre fin à l’assignation à résidence d’Habré, la Belgique demande à la CIJ d’ordonner au Sénégal, sous la forme de mesures conservatoires, de prendre les mesures nécessaires afin qu’Hissène Habré reste sur le territoire sénégalais. Face aux assurances du Sénégal quant à son maintien sur le territoire, la Cour décide qu’elle doit rejeter la demande. Le 20 juillet 2012, la Cour rend son arrêt au fond jugeant à l’unanimité que la République du Sénégal n’a pas rempli ses obligations internationales, et qu’elle doit « sans autre délai, soumettre le cas de M. Hissène Habré à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale, si elle ne l’extrade pas. » [4]

12. Pourquoi Hissène Habré n’est-il pas jugé par la Cour pénale internationale ?

Bien que le Tchad soit un État partie au Statut de Rome, la Cour pénale internationale (CPI) n’est pas compétente pour juger de crimes ayant été commis avant l’entrée en vigueur de son Statut, c’est-à-dire avant le 1er juillet 2002. Le Tchad ayant même ratifié le Statut de Rome le 1er novembre 2006, la CPI n’est compétente pour juger des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis sur son territoire ou par un de ses ressortissants qu’après cette date. Les crimes commis sous le régime de Hissène Habré, entre 1982 et 1990, n’entrent donc pas dans son champ de compétence.

En outre, la CPI est complémentaire des tribunaux nationaux, à qui revient la priorité d’enquêter et de poursuivre les responsables de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis sur leur territoire (article 1er du Statut de la CPI). La CPI est compétente dès lors qu’un État n’a pas la capacité ni la volonté d’enquêter et de poursuivre ces responsables.

13. Comment fonctionnent les Chambres africaines extraordinaires et quelles sont leurs compétences ?

Créées le 22 août 2012, par un accord conclu entre l’Union africaine et les autorités sénégalaises, les Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises regroupent une Chambre africaine extraordinaire d’instruction au sein du Tribunal Régional Hors Classe de Dakar, une Chambre africaine extraordinaire d’accusation à la Cour d’appel de Dakar, une Chambre africaine extraordinaire d’assises à la Cour d’appel de Dakar et une Chambre africaine extraordinaire d’assises d’appel près la Cour d’appel de Dakar.

La Chambre d’instruction est composée de quatre juges d’instruction de nationalité sénégalaise et deux suppléants. La Chambre d’accusation est composée de trois juges de nationalité sénégalaise et deux suppléants. C’est au niveau de la Chambre d’assises et de la Chambre d’assises d’appel que des juges internationaux doivent siéger. Elles sont en effet composées chacune de deux juges de nationalité sénégalaise, deux suppléants de nationalité sénégalaise, et un Président ressortissant d’un autre État de l’Union africaine. Enfin, le Procureur général et ses adjoints sont de nationalité sénégalaise. Les magistrats sénégalais ont été élus le 22 janvier 2013, lors de la première réunion du Conseil supérieur de la magistrature au Sénégal.

Les Chambres africaines extraordinaires sont compétentes pour poursuivre et juger les principaux responsables des crimes et violations graves du droit international, de la coutume internationale et des conventions internationales ratifiées par le Tchad commis sur le territoire tchadien entre le 7 juin 1982 et le 1er décembre 1990, en particulier des crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture. Selon l’article 16 du Statut, les Chambres africaines extraordinaires appliquent d’abord le Statut, et pour les cas non prévus, elles appliquent la loi sénégalaise.

14. Hissène Habré est-il le seul individu qui peut être poursuivi devant les Chambres africaines extraordinaires ?

La compétence des Chambres africaines extraordinaire n’est pas limitée à Hissène Habré. Elle n’est limitée que dans le temps et l’espace. Leur but est de poursuivre les principaux responsables des crimes dont elles ont la compétence. Ainsi, cinq autres individus ont été inculpés le 2 juillet 2013 : Saleh Younous et Guihini Korei, deux anciens directeurs de la Direction de la Documentation et de la Sécurité, Mahamat Djibrine dit « El Djonto », l’un des « tortionnaires les plus redoutés du Tchad », Zakaria Berdei, ancien conseiller spécial à la sécurité de la présidence, et Abakar Torbo, ancien régisseur du service pénitencier. Cependant, ces individus n’ont pas été amenés devant les Chambres.

Saleh Younous et Mahamat Djibrine ont tous deux été condamnés en mars 2015 par les tribunaux tchadiens dans une procédure pénale qui s’est déroulée suite aux plaintes déposées par des victimes au Tchad. [5]

15. Comment la procédure devant les Chambres africaines extraordinaires est-elle communiqué au Tchad ?

Le Statut prévoit à son article 15.3 que l’Administrateur, chargé des aspects non-judiciaires, peut conclure tout accord pour la mise en œuvre de la sensibilisation et pour informer l’opinion publique africaine et internationale sur le travail des Chambres. Il prévoit également que les audiences seront filmées, enregistrées et diffusées.

Le procès était enregistré en entier, sous réserve de problèmes techniques, et diffusé en direct sur Internet. Il a également été diffusé sur la télévision nationale tchadienne, malgré les déclarations contraires du président actuel du Tchad.

Pour rendre plus accessible le procès au peuple tchadien, les Chambres extraordinaires africaines ont également mené des programmes de sensibilisation au Tchad et au Sénégal. Un consortium d’organisations non gouvernementales sénégalaise, belge et tchadienne choisi par les Chambres a mis en place des ateliers de formation et d’information, organisé des débats publics, formé des journalistes et développé des outils de communication dont un site internet et des documents explicatifs sur le procès.

16. Comment les Chambres africaines extraordinaires sont-elles financées ?

La question du financement des Chambres a fait l’objet de nombreux débats. Les Chambres africaines extraordinaires disposent d’un budget de 7,4 millions d’euros. Les donateurs internationaux sont le Tchad (avec une contribution de deux milliards de francs CFA - environ trois millions d’euros) ; l’Union européenne (deux millions d’euros) ; les Pays-Bas (un million d’euros) ; l’Union africaine (un million de dollars) ; les Etats-Unis (un million de dollars) ; l’Allemagne (500 000 euros) ; la Belgique (500 000 euros) ; la France (300 000 euros) ; et le Luxembourg (100 000 euros). Le budget total des Chambres est considérablement inférieur à celui de tout autre tribunal pénal international ad hoc.

17. Comment les ONG ont-elles contribué à faire avancer l’affaire Habré ?

Les ONG, telles que la FIDH et ses organisations membres au Tchad, la Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH) et l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (ATPDH), et au Sénégal, l’Organisation nationale des droits de l’Homme (ONDH) et la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (RADDHO), ainsi que d’autres organisations telle que l’Association des victimes des crimes et des répressions politiques au Tchad (AVCRP), ont dès le commencement soutenu les procédures engagées contre Hissène Habré. Un Comité international pour le jugement équitable de Hissène Habré, composé de ces organisations et d’autres, telles que Human Rights Watch, s’est créé pour coordonner les efforts de lutte contre l’impunité et de soutien des victimes du régime de Hissène Habré.

Leur soutien a pris plusieurs formes : missions d’enquête et de collecte de témoignage au Tchad, missions de plaidoyer et de sensibilisation, en particulier au Tchad et au Sénégal, représentation légale des victimes devant les tribunaux sénégalais et belges, soutien de victimes devant la Cour de justice de la CEDEAO, observation des procédures devant la Cour internationale de justice à La Haye, protection des défenseurs tchadiens des droits de l’Homme, actions de plaidoyer auprès des organes des Nations unies, des États membres de l’Union Africaine, de l’Union européenne et d’autres États intéressés.

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