« Ni juger, ni extrader » : consécration par le Sénégal de l’impunité.

25/11/2005
Communiqué

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), ses organisations membres au Sénégal et au Tchad, la RADDHO, l’ONDH, la LTDH, l’ATPDH, ainsi que ses deux organisations membres en Belgique, la Ligue belge des droits de l’Homme et la Liga voor Menschenrechten, expriment leur indignation au regard de la décision, rendue aujourd’hui par la chambre d’accusation[1] de la cour d’appel de Dakar, de se déclarer incompétente pour connaître de la demande d’extradition d’Hissène Habré formulée par la Belgique.

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), ses organisations membres au Sénégal et au Tchad, la RADDHO, l’ONDH, la LTDH, l’ATPDH, ainsi que ses deux organisations membres en Belgique, la Ligue belge des droits de l’Homme et la Liga voor Menschenrechten, expriment leur indignation au regard de la décision, rendue aujourd’hui par la chambre d’accusation [1]de la cour d’appel de Dakar, de se déclarer incompétente pour connaître de la demande d’extradition d’Hissène Habré formulée par la Belgique.

Bien que juridiquement l’avis défavorable de la Chambre d’accusation lie le gouvernement sénégalais, la FIDH et ses organisations membres au Tchad, au Sénégal et en Belgique rappellent avec force que, en tant qu’Etat Partie à la Convention des Nations Unies contre la torture, le Sénégal a l’obligation, en cas de présence sur son territoire d’une personne suspectée d’actes de tortures, de la « juger » ou de « l’extrader » vers l’Etat qui le lui demande. Il incombe aujourd’hui au président sénégalais Abdoulaye Wade de trancher en avalisant le décret d’extradition.

En avril 2001, la Cour de cassation du Sénégal avait avancé des arguments techniques pour annuler l’instruction en cours contre Hissène Habré et décider de l’incompétence de la justice sénégalaise pour le juger (voir le rappel de la procédure). Plus de quatre ans après, le gouvernement sénégalais n’a toujours pas trouvé utile d’incorporer dans son droit national une définition du crime de torture. En avançant les mêmes arguments qu’en 2001 le Sénégal fait preuve d’un manque évident de volonté politique dans le combat contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves.

« En suivant les réquisitions du Ministère public, le Sénégal se dérobe une fois de plus et viole de façon flagrante ses obligations internationales » déclare Sidiki Kaba, Président de la FIDH.

« Ni juger, ni extrader » : l’impunité d’Hissène Habré est ainsi consacrée par la justice sénégalaise, au terme d’une décision dont la nature éminemment politique ne saurait être occultée par la référence au principe de légalité.

De fait, la justice sénégalaise n’aura jamais eu à aborder le fond du dossier Hissène Habré, se confinant à la surface procédurale.

La FIDH et ses organisations membres demandent au Président Abdoulaye Wade d’avaliser le décret d’extradition d’Hissène Habré. Elles restent plus que jamais mobilisées et mettront en œuvre tous les recours nationaux, régionaux et internationaux à leur disposition pour que la justice soit rendue aux victimes tchadiennes.


Rappel de la procédure dans l’affaire Hissène Habré

Du fait du blocage de la justice tchadienne, l’affaire Hissène Habré se décline en deux distincts :

1. une procédure devant les juridictions sénégalaises que le 20 mars 2001 la Cour de cassation a déclarée incompétentes pour juger Hissène Habré et,
2. une procédure en Belgique, toujours en cours, malgré la modification de la loi belge de compétence universelle

1.Procédure au Sénégal

 Le 25 janvier 2000, sept victimes tchadiennes et l ’Association des victimes des crimes et de la répression au Tchad (ACVRT) portent plainte avec constitution de partie civile contre Hissène HABRE, auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal régional de Dakar.
 Le 27 janvier, le procureur de la République de Dakar ouvre une information judiciaire.
 Le 3 février 2000, le juge d’instruction du tribunal régional de Dakar inculpe Hissène HABRE pour complicité de torture et ordonne l’ouverture d’une information judiciaire contre "X" pour crimes contre l’humanité.
 Le 18 février 2000, l’avocat d’Hissène HABRE dépose une requête devant la chambre d’accusation de la Cour d’appel demandant l’annulation de la procédure.
 Le 4 juillet 2000, la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar annule la totalité de la procédure pour incompétence des juridictions sénégalaises. Le Président de la Chambre d’accusation bénéficie d ’une promotion.
 Le 7 juillet 2000, un pourvoi en cassation est déposé par les parties civiles.
 Le 28 juillet 2000, deux rapporteurs spéciaux de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU (le rapporteur sur l’indépendance des juges et des avocats et celui sur la torture) expriment leur préoccupation quant aux conditions ayant conduit à l’annulation de la procédure engagée à l’encontre d’Hissène HABRE et insistent sur l ’obligation d’assurer la répression des actes de torture.
 Le 20 mars 2001, la Cour de cassation rejette l ’ensemble des moyens soulevés par les parties civiles : les juridictions sénégalaises sont incompétentes pour juger HABRE.

Procédure contre le Sénégal devant le Comité contre la torture des nations unies :

- Le 18 avril 2001, une communication est présentée par sept victimes tchadiennes pour violation des articles 5 (2) et 7 de la convention contre la torture par le Sénégal.
- Le 27 avril 2001, le Comité demande au Sénégal de ne pas laisser HABRE quitter le pays autrement que dans le cadre d ’une procédure d ’extradition.
- Kofi Anan, Secrétaire général des Nations Unies intime aux autorités sénégalaises de ne laisser Habré quitter le territoire que pour répondre à une demande d’extradition en vue de jugement.

2.Procédure en Belgique

 En novembre 2000, trois plaintes avec constitution de partie civile pour crimes contre l’humanité, torture, actes de barbarie, meurtres sont déposées auprès du parquet de Bruxelles par des ressortissants belges d ’origine tchadienne.
 Le 16 avril 2001, 10 nouvelles plaintes avec constitution de partie civile pour crimes contre l’humanité, crimes de torture, crimes d ’arrestation arbitraire, d’enlèvement et de disparition sont déposées.
 Du 26 février au 7 mars 2002, Monsieur Daniel FRANSEN, juge d ’instruction près le tribunal de première instance de Bruxelles se rend au Tchad dans le cadre d ’une commission rogatoire internationale, accompagné du Procureur Philippe MEIRE,substitut du Procureur du roi au Parquet de Bruxelles et d ’officiers de police judiciaire pour interroger les victimes de Hissène HABRE ainsi que les témoins des atrocités.
 Le 7 octobre 2002, le ministre tchadien de la Justice affirme par lettre adressée au juge d’instruction que l’ex Président de la République,Hissène Habré,« ne peut prétendre à aucune immunité ».
 Le 5 août 2003, l’adoption par le parlement belge, sous la pression de l’administration Bush, d’une loi modificative vient restreindre considérablement la loi de compétence universelle notamment aux cas où l’accusé ou la victime est belge ou réside en Belgique.

La plainte contre Hissène Habré ayant été déposée par des ressortissants belges d’origine tchadienne la procédure a donc pu poursuivre son cours.

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