Un juge belge enquête en Afrique sur les crimes de Hissène Habré, l’ancien dictateur tchadien.

Le juge d’instruction Daniel Fransen part au Tchad pour procéder à des investigations en vertu de la loi belge sur la compétence universelle.

>>>Affaire Hisséne Habré

Un juge belge se rend au Tchad aujourd’hui pour poursuivre son enquête sur les crimes commis par l’ancien président tchadien, Hissène Habré. Hissène Habré, le " Pinochet africain ", vit actuellement en exil au Sénégal. Il avait déjà été inculpé dans ce pays il y a deux ans, avant que la justice sénégalaise ne se déclare incompétente.

Monsieur Daniel Fransen, juge d’instruction près le tribunal de première instance de Bruxelles, se rend au Tchad du 26 février au 7 mars, dans le cadre d’une commission rogatoire internationale, accompagné du Procureur Philippe Meire, substitut du procureur du roi au Parquet de Bruxelles, et d’officiers de police judiciaire pour interroger les victimes de Hissène Habré ainsi que les témoins des atrocités, selon Maître Georges-Henri Beauthier, l’avocat belge des victimes. Il a l’intention également d’analyser les preuves déjà obtenues contre l’ancien dictateur et de visiter des anciens lieux de détention et de massacres.

Les organisations de défense des droits de l’homme se sont félicitées de cette visite comme marquant de façon historique une étape nouvelle dans la lutte engagée contre Hissène Habré par ses victimes, et illustrant la pérennité de la loi belge sur la compétence universelle .

" La roue de la justice tourne " a déclaré Reed Brody, directeur adjoint de Human Rights Watch, l’une des organisations soutenant l’action des victimes dans leur quête de justice. " Ces nouvelles investigations, en Afrique, sur le lieu même des atrocités, démontrent pleinement que la Belgique prend ce cas très au sérieux. et rapprochent encore plus Hissène Habré du jour où il devra répondre de ses crimes. "

" Dans la course d’obstacles politico-juridique qu’est l’affaire Habré, une avancée décisive vient d’être effectuée " a ajouté Sidiki Kaba, président de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH).

En février 2000, un juge sénégalais avait inculpé Hissène Habré, qui dirigea le Tchad de 1982 à 1990, pour complicité de crimes contre l’humanité et complicité d’actes de torture et de barbarie et l’avait placé en résidence surveillée. Mais en mars 2001, la Cour de Cassation du Sénégal s’est déclarée incompétente pour juger au Sénégal de crimes commis à l’étranger. Les victimes de l’ancien dictateur avaient alors immédiatement annoncé qu’elles chercheraient à faire extrader Habré vers la Belgique, où des plaintes avaient déjà été déposées contre lui. Ces plaintes émanent de 21 victimes, dont trois sont de nationalité belge.

Le droit belge a expressément incorporé dans son ordre juridique la règle de la compétence universelle, c’est-à-dire le principe selon lequel chaque État est fondé à traduire en justice les auteurs de crimes spécifiques de droit international, comme le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre ou de torture, quel que soit le lieu où le crime a été commis, et sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes. En application directe de ce principe, la Cour d’assises de Bruxelles a condamné, en juin 2001, quatre ressortissants rwandais, reconnus coupables d’avoir participé activement au génocide de 1994, à de lourdes peines de prison.

Hors le cas rwandais, c’est la première fois qu’un juge d’instruction belge part enquêter dans un autre pays en vertu de la compétence universelle.

Bien que la Cour Internationale de Justice ait décidé le 14 février dernier que la Belgique ne pouvait pas poursuivre en justice les dirigeants de pays étrangers toujours en exercice, cette décision ne s’applique en rien à l’affaire Habré, Hissène Habré, dont l’immunité n’a jamais été demandée par le Tchad, ayant quitté le pouvoir il y a plus de dix ans.

Les victimes tchadiennes se sont réjouies de la nouvelle de la visite du juge. " Après dix ans d’efforts continus et douloureux, il semble que la justice va finalement être rendue " s’est exclamé Souleymane Guengueng, 49 ans, qui échappa à la mort par miracle après plus de deux années de détention et de mauvais traitements dans les cachots de Habré, et qui fonda, avec d’autres rescapés, l’Association des Victimes de Crimes et Répressions Politiques au Tchad (AVCRP) qui représente 792 victimes de la dictature Habré.

Le Sénégal garde Hissène Habré sur son sol en attendant une demande d’extradition. Dans un premier temps, après la décision négative de la Cour de cassation de Dakar, le président sénégalais Abdoulaye Wade avait fait savoir qu’il avait demandé à Hissène Habré de quitter le Sénégal. Les victimes avaient alors déposé un recours devant le Comité des Nations Unies contre la Torture, lequel a prié le Sénégal de " ne pas expulser Hissène Habré et de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher qu’Hissène Habré ne quitte le territoire sénégalais autrement qu’en vertu d’une procédure d’extradition. " Cette requête fut appuyée par Kofi Annan, Secrétaire Général des Nations Unies. Le 27 septembre dernier le président Wade, confirmait très clairement qu’il garderait Hissène Habré sur le sol sénégalais, en attendant qu’une justice le réclame.

Hissène Habré, âgé aujourd’hui de 60 ans, avait pris le pouvoir au Tchad en 1982, en renversant le gouvernement de Goukouni Wedeye. Son régime de parti unique, soutenu par les États-Unis et la France, fut caractérisé par une terreur permanente, de graves et constantes violations des droits de l’homme et des libertés individuelles et de vastes campagnes de violence à l’encontre de nombreuses ethnies. Habré fut renversé le 1er décembre 1990, par l’actuel Président Idriss Déby et vit depuis lors en exil au Sénégal.

Les autorités actuelles du Tchad ont permis aux victimes et aux organisations qui les soutiennent d’avoir accès aux archives de la sinistre et puissante police politique, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), à N’Djaména même. C’est la toute première fois que le gouvernement du Tchad accordait une telle autorisation. Les documents découverts retracent en détail les vagues de violences et de persécutions contre des groupes ethniques qu’Habré percevait comme des menaces à son régime, notamment les Hadjeraï en 1987 et les Zaghawas en 1989, ainsi qu’une répression féroce dans le sud du pays en 1984.

En 1992, une Commission d’enquête tchadienne accusait Habré et son gouvernement de 40.000 assassinats politiques, d’actes systématiques de torture et de brutalité ainsi que du détournement, au moment de sa chute et de sa fuite du pays, de plus de 11 millions de dollars de fonds publics. Cependant, le gouvernement actuel du Tchad qui comprend de nombreux anciens responsables du régime Habré n’a jamais recherché l’extradition de l’ancien dictateur.

L’action des victimes est également soutenue par l’Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (ATPDH ), la Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (LTDH), l’Association pour la Promotion des Libertés Fondamentales au Tchad (APLFT), l’Organisation Nationale Sénégalaise des Droits de l’Homme (ONDH), la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO) au Sénégal, et les organisations françaises AVRE (Association pour les Victimes de la Répression en Exil) et Agir Ensemble pour les droits de l’homme.

L’affaire Habré peut être consultée sur les sites suivants :
http://www.hrw.org/french/themes/habre.htm

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