Le Sénégal devrait extrader Hissène Habré en Belgique pour un procès équitable plutôt que de l’envoyer au Tchad où il risque sa vie

Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) Association des Victimes des Crimes du Régime de Hissène Habré (AVCRHH) Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des droits de l’Homme (ATPDH) Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO) Ligue Sénégalaise des Droits de l’Homme (LSDH) Human Rights Watch (HRW)

La décision du président sénégalais Abdoulaye Wade de renvoyer dans son pays d’origine lex-dictateur tchadien Hissène Habré le lundi 11 juillet nous apparaît comme illégale au regard du droit sénégalais et contraire aux principes internationaux.

Les victimes de Hissène Habré se battent depuis plus de vingt pour que l’ancien dictateur réponde de ses actes, mais uniquement au cours d’un procès équitable qui permette de faire toute la lumière sur le régime Habré et qui ne soit pas une justice de vengeance. Or, de telles conditions ne sont pas à ce jour réunies au Tchad.
La vie de Hissène Habré serait en effet menacée par un retour au Tchad.. En août 2008, Habré avait été condamné à mort par contumace par une Cour tchadienne à l’issue d’un procès expéditif pour son rôle présumé de soutien aux mouvements rebelles en février 2008. Par ailleurs, le retour de l’ancien président au Tchad pourrait fortement déstabiliser un pays qui n’est pas préparé à le recevoir.

Aujourd’hui encore, les anciens dirigeants de la police politique de Hissène Habré, la tristement célèbre DDS (Direction de la Documentation et de la Sécurité), occupent des postes importants dans l’appareil sécuritaire de l’État. Dans ces conditions, la sécurité des victimes et de leurs soutiens, déjà sujets à des attentats et des menaces, risque également d’être compromise.

Cette expulsion de la part des autorités sénégalaises serait de surcroît contraire au droit interne du pays : en l’absence d’une demande d’extradition des autorités tchadiennes et du contrôle de sa légalité par le juge sénégalais, cette extradition revêt les attributs d’une expulsion.

Dans son rapport intérimaire préparé en prévision du 17e Sommet de l’Union africaine à Malabo, la Commission de l’Union africaine avait énuméré les différentes options offertes au Sénégal pour que celui-ci s’acquitte enfin de son obligation de juger ou extrader Hissène Habré, évoquant pour la première fois la possibilité d’une extradition en Belgique ou au Tchad. Examinant un éventuel transfert vers le Tchad, la Commission avait insisté sur des garanties pour un procès équitable et pour que la sécurité de l’ancien président soit assurée. En particulier, le Tchad devrait avoir préalablement annulé la condamnation à mort par contumace prononcée en 2008, et accepté de juger Habré devant un tribunal composé en sa majorité de juges africains non-tchadiens. Dès lors, la décision inopinée du Président Wade d’envoyer Hissène Habré au Tchad en dehors de tout cadre légal et sans qu’aucune garantie ne soit donnée foule au pied ces recommandations.

Cette décision viole également « l’engagement solennel » pris par le Sénégal le 8 avril 2009 devant la Cour internationale de Justice (CIJ), de maintenir sur son territoire l’ancien dictateur jusqu’à ce que la plus haute juridiction des Nations unies rende une décision sur le fond dans l’affaire Belgique c. Sénégal, actuellement pendante.

En outre, en 2006, le Comité des Nations unies contre la torture avait condamné le Sénégal, pour violation de ses obligations au regard de la Convention des Nations unies contre la torture et l’avait enjoint à juger Habré ou, à défaut, à l’extrader vers la Belgique qui en a fait la demande, ou enfin de faire droit à « toute autre demande d’extradition émanant d’un autre État en conformité avec les dispositions de la Convention ». Or, le Tchad n’a jamais fait de demande d’extradition.

Au regard de ces éléments, nous estimons que le jugement de Hissène Habré au Sénégal ou son extradition vers la Belgique constituent les seules options juridiques acceptables. Considérant les obstacles en série posés par le gouvernement sénégalais depuis l’inculpation de Habré par le doyen des juges d’instruction il y a onze longues années, la Belgique est aujourd’hui la solution la plus tangible, la plus réaliste et la plus opportune pour s’assurer que Hissène Habré réponde des accusations portées contre lui dans le cadre d’un procès juste et équitable dans des délais raisonnables. La justice belge a déjà enquêté pendant quatre ans sur les chefs d’accusation en cause, et délivré un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture contre Hissène Habré. Bruxelles a, de plus, demandé son extradition en 2005, demande réitéré en 2011.

En juillet 2010 déjà, l’Archevêque Desmond Tutu et 117 groupes de vingt-cinq pays africains avaient dénoncé « l’interminable feuilleton politico-judiciaire » auquel les victimes sont soumises depuis plus de vingt ans. Nous aurions préféré voir Hissène Habré jugé en Afrique, mais le plus important est que justice soit faite.

Si le Sénégal n’a pas voulu saisir l’opportunité historique de mettre fin à l’impunité des anciens chefs d’État en Afrique en organisant le procès de Hissène Habré, il a, envers les victimes de la dictature, l’obligation de l’extrader vers la Belgique en respectant toutes les procédures légales découlant de ses engagements internationaux.

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