Strasbourg le 15 décembre, capitale de la lutte contre l’impunité.

13/12/2008
Communiqué

Et puis, même s’il n’est question bien sûr que de juger un homme, pas un
régime, le procès de Strasbourg braque à nouveau les projecteurs sur une zone
sombre et persistante de ce pays du soleil et de l’accueil chaleureux, de ce
pays ami de la France, ce pays des droits de la femme et des indices de
développement honorables, où l’on apprend à lire et où l’on mange à sa faim.
Une tâche très noire dans ce tableau, n’en déplaise à bien des responsables
politiques français d’hier et d’aujourd’hui.

L’histoire commence à Jendouba, en Tunisie. Le 11 octobre 1996, Zoulaikha
Gharbi, 32 ans à l’époque et mère de famille, est interpellée chez elle par des
agents de la Surveillance du Territoire (DST) tunisienne et emmenée au
commissariat de police de la ville où elle va subir deux jours d’humiliations
et de sévices, avant d’être relâchée. Elle témoignera par la suite avoir été
abreuvée d’insultes, giflée, puis dévêtue, attachée et suspendue à une barre de
fer posée entre deux tables et frappée sur la plante des pieds. On tente
d’obtenir d’elle, de cette belle manière, des informations sur des hommes
soupçonnés d’appartenir à un groupe islamiste, parmi lesquels son mari, Mouldi
Gharbi. Lui même a des souvenirs de ce commissariat, où il a été torturé
quelques années plus tôt. En octobre 1996, iI est en France, où on vient de lui
accorder le statut de réfugié. Quelques mois plus tard, Mme Gharbi obtient le
feu vert des autorités françaises pour l’y rejoindre, avec ses enfants. Alors
qu’elle va retirer les passeports au commissariat de Jendouba, elle reconnaît
en l’homme qui les lui délivre l’un de ses tortionnaires, celui qui lors de son
calvaire lui était apparu comme leur chef. C’est le commissaire Khaled Ben
Saïd, qui lui tend les passeports. Tout se serait sans doute arrêté là, sur
cette rencontre consternante, si Khaled Ben Saïd, embrassant plus tard la
carrière diplomatique, n’avait été nommé, en août 2000, Vice-consul de Tunisie
à Strasbourg. L’ayant appris, Mme Gharbi, assistée par l’avocat Eric Plouvier,
dépose une plainte au parquet de Paris le 9 mai 2001. En juin, ce parquet est
dessaisi au profit de celui de Strasbourg, où réside Khaled Ben Saïd. En
novembre, Ben Saïd est informé par le commissaire en charge de l’enquête
préliminaire qu’une plainte a été déposée contre lui. Il reste sourd aux
convocations que les services du procureur de la République de Strasbourg puis
le juge d’instruction lui adressent. Début 2002, le parquet de Strasbourg ouvre
une information judiciaire. Premier espoir pour la plaignante, première
victoire pour ceux qui la soutiennent ; mais cela arrive un peu tard car Khaled
Ben Saïd a bien évidemment plié bagages. Mme Gharbi, son avocat et la FIDH, qui
s’est constituée partie civile, n’en relâchent pas pour autant leurs efforts et
ils obtiendront finalement, en février 2007, le renvoi de Ben Saïd devant la
Cour d’Assises du Bas Rhin. Nous en sommes là.

L’accusé ne sera pas à Strasbourg le 15 décembre. La Cour jugera selon la
procédure de " défaut criminel " ou, comme on disait autrefois, par contumace.
Ici, c’est le choeur des sceptiques que j’entends s’élever, sur le thème " à
quoi bon ? " A quoi bon tant d’efforts ? A quoi bon ces sept années de procédure
qui furent sept années d’une véritable course d’obstacles ? A quoi tout cela
sert-il, dès lors que le présumé tortionnaire, quelle que soit l’issue du
procès, continuera comme devant de couler des jours tranquilles en Tunisie ?

A cette question, la plaignante répond qu’elle veut que "la vérité" soit
mise au grand jour. Elle est voilée de blanc ; elle est timide, taiseuse en
public ; mais cela, elle ose le dire. Elle a pris des risques et en prend encore
pour que sa vérité soit dite publiquement. La FIDH, quant à elle, aurait bien
sûr préféré que les autorités françaises aient fait diligence comme elles le
devaient et rendu impossible la fuite du prévenu. A ses yeux, des points n’en
ont pas moins dores et déjà été marqués, dans cette affaire, au profit de la
lutte contre l’impunité. L’ouverture d’une information judiciaire, la
délivrance d’un mandat d’arrêt international par le juge d’instruction de
Strasbourg en février 2002, et finalement la saisine de la Cour d’Assises,
constituent chacune une reconnaissance du principe de compétence universelle.
Autrement dit, chacune de ces étapes a fait entrer un peu plus dans la pratique
judiciaire française l’idée qu’une juridiction nationale non seulement peut
mais doit poursuivre tout auteur présumé d’actes de torture, quelle que soit sa
nationalité, quelle que soit celle des victimes, quel que soit le pays où les
crimes ont été commis ; ceci en vertu de la Convention internationale de 1984
contre la torture, que la France a ratifiée en 1988, ainsi que des articles
689-1 et 689-2 du code de procédure pénale. La qualité de diplomate ne met pas
en l’occurrence à l’abri des poursuites. C’est la deuxième fois en France qu’un
procès a lieu en vertu de la compétence universelle, après celui de l’ancien
capitaine mauritanien Ely Ould Dah, en 2005, et sa condamnation à 10 ans de
réclusion criminelle pour crime de torture, à l’origine elle aussi de bien des
embarras diplomatiques. Pour lui non plus, la sagacité des services de police
français n’est étrangement pas allée jusqu’à réussir à l’empêcher de quitter la
France. Lui aussi a été condamné en son absence, par contumace ; lui non plus
n’a pas eu à purger sa peine. Fallait-il pour autant que la FIDH baisse les
bras et renonce à faire jouer ce principe "universel" dont les autorités
politiques ne veulent pas ? Tous les défenseurs des droits de l’homme en
Tunisie, et par eux toutes les victimes de tortures, répondent NON. Ils auront
les yeux braqués sur Strasbourg, le 15 décembre, même si manque le premier
intéressé.

L’un d’entre eux, Omar Mestiri, du Conseil national pour les libertés en
Tunisie (CNLT), invité à s’exprimer le 11 décembre à Paris lors d’une
conférence de presse organisée par la FIDH, racontait comment la torture est
devenue dans son pays "un système de gouvernement". A la faveur de la lutte
contre l’islamisme radical, dans les années 90 ; puis, après une accalmie due à
l’action des ONG, à la faveur de la lutte contre le terrorisme, après le 11
septembre 2001. Il cite le cas de victimes courageusement résolues à porter
plainte et renvoyées pour ce faire ... devant leur tortionnaire. Il raconte les
pressions exercées contre les médecins, qui de ce fait hésitent à délivrer des
certificats. Il rapporte que par deux fois, lorsque des affaires sont venues en
justice, la police politique n’a pas hésité à passer à tabac les témoins, en
pleine audience .

Qui Zoulaikha Gharbi serait-elle donc allée voir, quel est le recours en Tunisie ? Quel est-il pour les Tunisiens, quel est-il pour d’autres, dans d’autres pays ? Quelle est la limite au-delà de laquelle la lutte contre le terrorisme devient prétexte à lutte contre tout opposant, prétexte à crime ?

La torture est un "crime international" dans le droit international, et ma
foi c’est tant mieux. Rendez-vous donc à Strasbourg lundi.

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