La Chambre d’accusation de la Cour de Montpellier a décidé de remettre en liberté, sous contrôle judiciaire, le Capitaine Ely Ould Dah, mis en examen du chef de torture.

28/09/1999
Communiqué

La Chambre d’accusation de Montpellier a décidé aujourd’hui de remettre le Capitaine Ely Ould Dah en liberté sous contrôle judiciaire. La FIDH et la LDH considèrent que les modalités de ce contrôle judiciaire ne sont pas à la hauteur des graves accusations portées contre lui et estiment que des mesures telles que l’interdiction de sortie du territoire français et le pointage hebdomadaire au commissariat de Montpellier ne sont pas suffisantes pour garantir sa représentation judiciaire.

Aux côtés des victimes du capitaine Ely Ould Dah, la FIDH et la LDH expriment leur grande déception quant à l’absence de prise en compte par le juge de la réalité des risques de fuite du prévenu et ce d’autant plus que sa mise en examen a créé de fortes et légitimes attentes pour la population mauritanienne, et plus particulièrement pour les victimes ou les familles de victimes des événements de 1990/1991 en Mauritanie. Celles-ci, frustrées de justice ont en effet repris espoir depuis peu de se voir un jour rétablies dans leurs droits, par le biais de la justice française. Ces victimes ne comprennent pas aujourd’hui que cet officier soit remis en liberté, alors que des témoignages accablants continuent chaque semaine de parvenir au juge chargé d’instruire l’affaire.

La FIDH et la LDH tiennent en outre à rappeler les principes suivants :

1. Les arguments politiques et/ou diplomatiques avancés par les avocats de Monsieur Ely Ould Dah pour une mise en liberté de leur client sont contraires aux principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance du judiciaire. En effet, comment admettre qu’une éventuelle " détérioration " des relations franco-mauritaniennes puisse être mise en balance avec l’impunité totale dont bénéficie le Capitaine Ely Ould Dah pour des actes aussi odieux que ceux de tortures et de séquestrations pour lesquels il est mis en examen. La justice n’avait certainement pas à prendre en compte l’importance des relations diplomatiques et économiques existantes entre la France et la Mauritanie exposées par le Ministère des Affaires étrangères français dans une note adressée au Parquet Général de Montpellier, et jointe au dossier d’instruction. La FIDH et la LDH espèrent sincèrement que tel a été le cas.

2. S’agissant de la légalité des poursuites engagées et semble-t-il contestée par la Chambre d’accusation, la FIDH et la LDH souhaitent apporter les précisions suivantes : Tout d’abord, Monsieur Ely Ould Dah a été mis en examen du chef de torture, en vertu de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée à New-York en 1984. A cet égard, l’article 55 de la Constitution française prévoit que " les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ". La Convention de 1984 a été ratifiée par la France et est entrée en vigueur en 1987, à la suite du décret n°87-916 du 9 novembre 1987, portant publication de ladite convention.

Le refus de poursuivre le Capitaine Ely Ould Dah au motif d’une incrimination de la torture dans le Code Pénal français seulement en 1994 reviendrait donc à méconnaître cette disposition constitutionnelle et la primauté des conventions internationales. En outre, l’article 15, paragraphe 2 du Pacte relatif aux droits civils et politiques adopté en 1966 par l’ONU, ratifié par la France et d’applicabilité immédiate auprès du juge français, dispose que " Rien dans le présent article ne s’oppose au jugement ou à la condamnation de tout individu en raison d’actes ou omissions qui, au moment où ils ont été commis, étaient tenus pour criminels, d’après les principes généraux du droit reconnus par l’ensemble des nations ".

Il est bien sûr évident que l’interdiction de la torture constitue un principe général du droit, consacré par des instruments aussi importants que la Déclaration universelle des droits de l’Homme ou le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ou bien évidemment la Convention contre la torture précitée. En outre, les faits reprochés au Capitaine mauritanien constituaient, pour l’ancien code pénal français, une circonstance aggravante de la séquestration.

Il ne saurait donc y avoir en l’état de différence à poursuivre Monsieur Ely Ould Dah pour séquestration avec circonstances aggravantes de tortures, comme l’autorisait l’ancien code pénal, ou pour tortures avec circonstances aggravantes de séquestration, comme le prévoit le Nouveau Code pénal, les peines encourues étant en outre identiques dans les deux cas. A l’heure où la justice internationale est au centre des préoccupations de la Communauté internationale et qu’elle constitue un espoir formidable d’introduire dans les relations entre Etats des valeurs universelles revendiquées par les sociétés civiles du monde entier et consacrées en droit international, il est nécessaire que la justice française fasse abstraction de raisons d’Etats inacceptables lorsqu’il s’agit de se prononcer sur les crimes les plus graves.

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