Les parties au conflit doivent libérer immédiatement les personnes détenues et les victimes de disparition forcée au Yémen

18/04/2023
Déclaration
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CICR

Sanaa, Paris, Beyrouth, 17 avril 2023. Nous, organisations signataires, avons publié une déclaration commune appelant toutes les parties au conflit au Yémen à libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement, et à faire la lumière sur le sort des victimes de disparitions forcées depuis le début du conflit, fin 2014. Toutes les parties au conflit sont coupables de graves violations du droit international en matière de droits humains et du droit international humanitaire – pouvant relever de crimes de guerre. Ces violations incluent la détention arbitraire, la disparition forcée, la torture et autres mauvais traitements infligés dans les centres de détention officiels et non officiels.

Nous saluons l’échange de détenu·es, négocié par les Nations unies, entre le gouvernement du Yémen reconnu par la communauté internationale et les Houthis. En mars 2023, sous les auspices du Bureau de l’Envoyé spécial des Nations unies pour le Yémen, et grâce aux efforts du Comité international de la Croix-Rouge, le gouvernement du Yémen reconnu par la communauté internationale et les Houthis se sont mis d’accord sur la libération de 887 détenu·es. L’échange a eu lieu du vendredi 14 au dimanche 16 avril, mais l’objectif initial visant à libérer l’intégralité des personnes retenues prisonnières depuis le début du conflit n’a pas été atteint. Les organisations signataires saluent néanmoins les efforts fructueux qu’a déployés l’Envoyé spécial des Nations unies pour le Yémen pour parvenir à cet accord.

Human Rights Watch a déclaré : « Si l’accord récemment négocié par les Nations unies pour l’échange des détenu·es constitue une avancée positive, des centaines d’individus sont toujours détenus illégalement par les parties au conflit. La souffrance de ces victimes et de leurs familles dure depuis trop longtemps. Les parties en guerre doivent mettre un terme à ces pratiques abusives, et relâcher sur-le-champ chaque individu détenu de manière arbitraire. »

Le conflit armé au Yémen a éclaté en 2014, avant de connaître une escalade militaire en mars 2015, provoquée par l’intervention de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, venue soutenir les forces du gouvernement reconnu par la communauté internationale contre les Houthis. Tout au long du conflit, les parties ont mené des campagnes d’arrestations arbitraires et de disparitions forcées, en violation du droit international en matière de droits humains et du droit international humanitaire. Des femmes et des hommes ont été ciblé·es en raison de leurs croyances politiques ou religieuses, ou de leur appartenance à un groupe politique ou religieux. Des journalistes, des professionnel·les des médias, du personnel humanitaire et des défenseur·es des droits humains ont aussi été ciblé·es. Toutes les parties au conflit ont commis de graves atteintes aux droits fondamentaux des femmes – victimes de violences sexuelles et basées sur le genre – , et des enfants, victimes d’enrôlement, notamment dans les groupes armés.

Mwatana for Human Rights, Human Rights Watch, la FIDH et Amnesty International ont recensé de nombreux cas de détention arbitraire et de disparition forcée de civil·es perpétrées par toutes les parties au conflit au Yémen entre 2015 et aujourd’hui. D’après les informations recueillies par Mwatana : les forces houthies sont responsables de 1482 cas de détention arbitraire et de 596 cas de disparition forcée, les forces du gouvernement yéménite reconnu par la communauté internationale, de 578 cas de détention arbitraire et 223 cas de disparition forcée, les forces de la coalition, de 26 cas de détention arbitraire et de 38 cas de disparition forcée, les forces du Conseil de transition, de 332 cas de détention arbitraires et de 349 cas de disparition forcée, les Hadrami Elite Forces, de 70 cas de détention arbitraire et de 28 cas de disparition forcée, les Forces conjointes sur la côte ouest, de 41 cas de détention arbitraire et de 15 cas de disparition forcée, les Brigades des géants et les Forces de défense de Shabwa, de 18 cas de détention arbitraire et de 9 cas de disparition forcée. Il est probable qu’il existe davantage de cas n’ayant pas été recensés par Mwatana.

Malgré l’absence de preuves à leur encontre, les parties au conflit continuent de pratiquer des détentions arbitraires et des disparitions forcées de civil·es. Certains d’entre eux ont été jugés lors de procès iniques, portant sur de fausses accusations, et utilisés comme appâts de négociation pour des échanges de détenus. De nombreux·ses civil·es victimes de détention arbitraire et de disparition forcée subissent continuellement de terribles atteintes à leurs droits fondamentaux. Détenu·es au secret, ils et elles endurent actes de torture et traitements cruels, inhumains et dégradants. Leur détention repose sur de fausses accusations, au mépris de leur droit à un procès équitable, à la liberté et à la sécurité. Les centres de détention sont par ailleurs souvent surpeuplés et insalubres, et les installations sanitaires et d’aération sont insuffisantes dans leurs cellules.

Une femme de 56 ans originaire d’Al-Wahda, quartier du centre de Sanaa contrôlé par les Houthis, raconte la détention au secret de son fils : « Mon fils a disparu en septembre 2019. Les Houthis m’ont indiqué qu’ils ne détenaient pas mon fils. J’ai continué mes recherches inlassablement, jusqu’à perdre espoir. Huit mois après son enlèvement, il m’a appelé en sanglots. J’ai pleuré avec lui. Il ignorait où il était détenu. En mars 2023, après trois ans de disparition forcée où je n’ai fait que pleurer, j’ai eu le droit de lui rendre visite pendant dix minutes. Je l’ai serré dans mes bras et ne voulais plus le lâcher. Je les ai suppliés de me laisser prendre sa place, mais ils m’ont ri au nez. Depuis ce jour-là, je n’ai pas eu droit à une autre visite. Cette douleur de ne pouvoir le revoir me détruit. »

À l’heure actuelle, la victime est toujours en détention.

Amnesty International a ajouté : « Nous renouvelons notre appel à libérer sur-le-champ tous les individus détenus illégalement, y compris ceux qui ne figurent pas dans la liste des 887 personnes dont la libération est prévue. Notre demande concerne les personnes détenues en raison de leurs liens familiaux, leur affiliation tribale et/ou en prévision d’échanges de prisonniers, toutes celles détenues pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression, d’association ou de conscience, et tous les individus retenus sans aucun motif légal valable. Toutes les localisations des détenus doivent être révélées. Le gouvernement du Yémen reconnu par la communauté internationale et le groupe armé houthi doivent mettre un terme aux détentions arbitraires et aux détentions au secret, ainsi qu’aux disparitions forcées. Toutes allégations de torture ou de maltraitance en détention doivent faire l’objet d’enquêtes approfondies, et les responsables doivent rendre des comptes. »

À son tour, la FIDH a déclaré : « Les disparitions forcées au Yémen sont une conséquence directe d’une impunité générale. Nous renouvelons nos appels à mettre en place une enquête pénale afin de garantir que toutes les parties au conflit au Yémen soient tenues responsables des atrocités commises, et que la vérité soit faite, que des compensations et des réparations soient obtenues pour les victimes et leurs proches. »

Dans le quartier d’Al-Mudhaffar situé dans le gouvernorat de Taïz, contrôlé par le gouvernement reconnu par la communauté internationale, une mère de 50 ans raconte l’arrestation de son fils : « Mon fils criait ‘Je suis innocent ! Si vous apportez la preuve d’un seul chef d’accusation à mon encontre, alors mon sang pourra être versé.’ Lorsque nous avons fait remonter les circonstances de son arrestation au procureur en chef des forces du gouvernement à Taïz, il a répondu que le dossier de mon fils avait été transmis au tribunal pénal. Mon fils est innocent et n’est affilié à aucune des parties au conflit. Il partait chaque matin pour gagner sa vie et nourrir ses enfants... Aidez-moi. Sa femme lui a rendu visite et a vu des marques de torture sur l’une de ses mains, il a confirmé qu’il avait été torturé ».

À l’heure actuelle, la victime est toujours détenue en cellule d’isolement depuis le 10 octobre 2022.

Les victimes de disparition forcée vivent dans une incertitude douloureuse, les parties au conflit refusant de divulguer toute information sur les membres de leur famille, notamment s’ils sont en vie ou non. Beaucoup de victimes de détention arbitraire ou de disparition forcée ont subi différentes formes de torture, de traitements abusifs et inhumains dans le but de leur soutirer des aveux.

Radhya Al-Mutawakel, présidente de Mwatana for Human Rights, a déclaré : « L’absence de responsabilité et l’impunité dont jouissent les coupables encouragent le développement de ces odieuses violations. Cela est dû à l’absence d’un État de droit et à l’incapacité des autorités de fait à prendre les mesures légales nécessaires à l’encontre des personnes détenues. »

Les organisations exhortent également toutes les parties au conflit au Yémen à abolir immédiatement la peine de mort pour les civil·es dans les affaires relatives au conflit armé actuel, à garantir l’accès aux démarches légales nécessaires pour les personnes qui ont été détenues arbitrairement, et à veiller à ce que les personnes placées en détention ne subissent pas de traitement abusif et soient relâchées immédiatement si la détention est arbitraire.

Depuis que le Conseil des droits de l’homme a voté le 10 octobre 2021, lors de sa 48e session, la fin du mandat du Groupe des Nations unies d’éminents experts (GEE), suite aux pressions exercées par l’Arabie saoudite, les efforts pour que les coupables soient tenus responsables semblent désormais bien loin. Les organisations signataires lancent un appel d’urgence à la communauté internationale afin qu’elle mette en place un mécanisme international indépendant chargé d’établir la responsabilité pénale des coupables et qu’elle fournisse un accès à la justice aux victimes de détention arbitraire, de disparition forcée, d’actes de torture, et d’autres mauvais traitements ou violations graves.

Les organisations signataires exhortent la communauté internationale à faire pression sur les parties au conflit afin qu’elles mettent un terme aux détentions arbitraires et aux disparitions forcées de civil·es. Elles appellent également toutes les parties au conflit à libérer immédiatement et sans condition les milliers de personnes victimes de détentions arbitraires ou de disparitions forcées. Les organisations exhortent les parties à prendre des mesures efficaces afin que soient respectées les dispositions du droit international interdisant la torture et les mauvais traitements, que l’État de droit soit rétabli et que les procès se déroulent en bonne et due forme.

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