(Tunis) Un tribunal tunisien a condamné six jeunes étudiants accusés de sodomie à trois ans de prison le 10 Décembre, 2015, affirment 13 organisations de défense des droits humains aujourd’hui. Ces condamnations contredisent le droit international et sont contraires au droit à la vie privée et à la non-discrimination en vertu de la Constitution Tunisienne adoptée en 2014.
Les autorités tunisiennes ont soumis les accusés à un examen anal, pour l’utiliser comme élément de preuve dans l’affaire. Le tribunal a également banni les étudiants de la ville de Kairouan, pendant trois ans, une fois leur peine d’emprisonnement écoulée.
"Alors que les Tunisiens célébraient le prix Nobel de la Paix pour le Quartet du dialogue national tunisien lors de la Journée mondiale des droits de l’Homme, un tribunal tunisien condamnait six étudiants à une peine digne du moyen âge, avec une atteinte flagrante à leur vie privée et à leur intégrité corporelle », a déclaré Amna Guellali, directrice Tunisie à Human Rights Watch.
La police de Kairouan, à 150 kilomètres au sud de Tunis, a arrêté les six étudiants, dont les noms ne sont pas communiqués pour leur sécurité, le 5 Décembre. L’avocat de l’un des étudiants, Bouthaina Kerkeni, a déclaré aux organisations signataires que la police a arrêté les six hommes dans l’appartement de l’un d’entre eux, à 19 heures, suite à une plainte des voisins. Ils ont fouillé la maison, ont saisi des ordinateurs, et ont conduit les hommes au poste de police.
Le lendemain, le procureur du tribunal de première instance de Kairouan les a accusés de sodomie, en vertu de l’article 230 du code pénal, a ordonné leur détention et un examen anal. Le médecin légiste de l’hôpital public de Kairouan a effectué les examens. Le parqueta ainsi introduit au dossier le rapport médical établi par le médecin comme preuve de relations homosexuelles.
Le 10 Décembre, le juge du tribunal de première instance de Kairouan a condamné tous les six jeunes à la peine maximale prévue par l’article 230, à savoir trois ans de prison, a déclaré Kerkeni, qui était présente lors de l’audience et du jugement. L’article 230 prévoit que la sodomie, si elle est pratiquée dans un endroit non-public, peut être punie de trois ans d’emprisonnement.
Le ministère de la Justice tunisien doit immédiatement émettre une directive ordonnant aux procureurs l’arrêt de l’envoi des détenus pour des examens anaux dans le cadre des procédures d’enquête de police pour déterminer le comportement sexuel des individus. Le ministère de la Santé tunisien devrait également aviser tous les médecins légistes sous l’autorité du ministère de cesser tous les examens anaux à ces fins et à respecter le droit des personnes à la dignité et à l’intégrité physique. Les organisations signataires réitèrent enfin, leur appel aux autorités tunisiennes afin d’abroger l’article 230 et de réviser toutes les dispositions liberticides du code pénal tunisien.
Le juge a également prononcé une peine complémentaire en bannissant les défendeurs de Kairouan pendant trois ans, en vertu de l’article 5 du code pénal. L’un des accusés a été également condamné à six mois supplémentaires en vertu de l’article 226 pour "outrage public à la pudeur," au motif que la police a trouvé des vidéos pornographiques sur son ordinateur.
« Même du temps de Ben Ali, les tribunaux n’ont jamais, à ma connaissance, prononcé de jugement d’interdiction de séjour. Chaque personne a le droit de disposer de son corps et de l’inviolabilité de son domicile, cette condamnation constitue ainsi une violation des droits fondamentaux inscrits dans la constitution tunisienne et garantis par les conventions internationales ratifiées par la Tunisie », déclaré Mokhtar Trifi, Président du bureau de Tunis de la FIDH.
Deux accusés ont été représenté par un avocat lors de l’audience. Tous les six sont actuellement retenus dans la prison de Kairouan. Ils ont jusqu’au 20 Décembre pour déposer un appel, et un d’eux l’a déjà fait.
Les poursuites pour des rapports sexuels consensuels en privé, entre adultes, violent les droits à la vie privée et de non-discrimination garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont la Tunisie est partie. Le Comité des Nations Unies pour les droits de l’Homme, qui vérifie l’application du Pacte, a clairement fait savoir à plusieurs reprises que l’orientation sexuelle est un statut protégé contre la discrimination en vertu de ces dispositions. Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a estimé que les arrestations pour des conduites homosexuelles entre adultes consentants sont, par définition, arbitraires.
Ces droits sont reflétés dans la constitution tunisienne de 2014. L’article 24 oblige le gouvernement à protéger les droits à la vie privée et l’inviolabilité du domicile. L’article 21 prévoit que « tous les citoyens, hommes et femmes, sont égaux en droits et en devoirs, et sont égaux devant la loi sans aucune discrimination."
« Près de deux ans après l’adoption de la constitution, il est regrettable qu’aucun effort sérieux n’a été entrepris par les autorités pour assurer la conformité du Code pénal à la nouvelle constitution », a déclaré Antonio Manganella, chef de mission d’ASF en Tunisie. « Le gouvernement devrait immédiatement instaurer un moratoire sur toutes les dispositions pénales entachés d’inconstitutionnalité, ce qui est le cas de l’article 230", a-t-il ajouté.
Le 22 Septembre, un tribunal de la ville de Sousse a condamné un étudiant de 22 ans, connu sous le nom Marwen, à un an de prison sur des accusations de sodomie, après lui avoir fait subir un examen anal ordonnée par le tribunal. Il a été libéré sous caution. La Cour d’appel de Sousse devrait statuer sur son recours le 17 Décembre prochain.
Le 28 Septembre, après la condamnation de Marwen, le Conseil de l’Ordre des Médecins de Tunisie, a publié une déclaration condamnant le recours à des examens anaux dans le cadre de l’application de l’article 230. Le ministre de la justice d’alors, Mohamed Salah Ben Aissa, avait déclaré que l’article 230 est contraire à la constitution, ne devrait pas être appliquée, et devrait être abrogé. Cependant, Ben Aissa, n’a émis aucune directive officielle aux procureurs dans ce sens.
Le 5 Octobre, le président Béji Caïd Essebsi déclarait sur la chaîne de télévision égyptienne CBC son opposition à toute tentative d’abroger l’article.
"Au lieu de défendre les lois répressives comme celle pénalisant l’homosexualité, le président de la République devrait diriger les efforts visant à réformer les lois qui sont en conflit avec les droits consacrés dans la Constitution de 2014," a déclaré Ramy Salhi, directeur maghréb du REMDH
Human Rights Watch a documenté des cas dans plusieurs pays, où la police ou les procureurs ont soumis des hommes à des examens de la région anale dans le cadre de leurs efforts pour « prouver » qu’ils se sont livrés à la pénétration anale. Ces examens invasifs violent les droits de l’individu à la dignité, à la vie privée et à l’intégrité physique.
Ils constituent un traitement cruel, inhumain et dégradant et peuvent s’apparenter à des actes de torture, en violation de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Convention contre la torture et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifiés par la Tunisie. En outre, ils n’ont aucune valeur probante et leurs conclusions ne devraient pas être considérés comme probantes devant un tribunal de droit.
En 2011, le Bureau du Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’Homme a déclaré :
Un problème mis en évidence par les experts des Nations Unies est la pratique « médicalement inutile » de soumettre hommes soupçonnés de conduite homosexuelle à des examens anaux non consensuels pour « prouver » leur homosexualité. Ces examens ont été condamnés par le Comité contre la torture, le Rapporteur spécial sur la torture et le Groupe de travail sur la détention arbitraire, qui a jugé que la pratique contrevient à l’interdiction de la torture et de mauvais traitements.
Les examens anaux ordonnées par le tribunal pour la détermination de l’activité sexuelle sont également contraires à l’éthique médicale, selon l’Association médicale mondiale et aux principes d’éthique médicale applicables au rôle du personnel de santé, en particulier des médecins, dans la protection des prisonniers et des détenus contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.