Paris, le 30 octobre 2025. Ces décisions, prises sans base légale solide ni respect des garanties procédurales, marquent un nouvel épisode de répression contre les voix indépendantes et traduisent une instrumentalisation politique du décret-loi n°2011-88 sur les associations.
Une attaque frontale contre les libertés associatives
Sous couvert de contrôle administratif, les autorités tunisiennes ont engagé une campagne de harcèlement contre les organisations indépendantes les plus actives et les plus crédibles du pays. Les suspensions visant l’ATFD et le FTDES sont intervenues malgré leur mise en conformité complète avec les exigences administratives. Aucune irrégularité n’a été constatée, aucun dialogue n’a été engagé, et les décisions ont été notifiées sans motivation écrite, en violation du principe du contradictoire et de l’article 40 de la Constitution, qui garantit la liberté d’association.
Ces mesures arbitraires et disproportionnées révèlent une stratégie délibérée de mise au pas du tissu associatif et de criminalisation de la société civile tunisienne.
Le décret-loi 88 détourné pour museler toute voix critique
Adopté après la révolution pour protéger la liberté, l’autonomie et la transparence des associations , le décret-loi n°2011-88 est aujourd’hui détourné de son objectif initial. Les autorités l’utilisent pour faire taire les organisations de la société civile dérangeantes, sous prétexte de « manquements administratifs » ou de « financements étrangers ». Or, le financement étranger est légalement autorisé et constitue un levier essentiel pour le travail de terrain des ONG tunisiennes.
« Le droit tunisien est devenu une arme entre les mains du pouvoir. Il est temps que la communauté internationale se tienne aux côtés de celles et ceux qui le subissent au lieu de ceux qui le manipulent », a déclaré Aissa Rahmoune, Secrétaire général de de la FIDH.
Ce détournement du décret-loi 2011-88 s’inscrit dans une stratégie plus large du président Kaïs Saïed visant à consolider son pouvoir par l’instrumentalisation du droit et la subordination des institutions indépendantes.
Cette dérive s’accompagne d’une instrumentalisation systématique de la justice depuis la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et la révocation arbitraire de nombreux juges. La justice est désormais utilisée comme un outil de harcèlement contre la société civile, les journalistes et les militant·es des droits humains. Plusieurs défenseur·es, parmi lesquels Sherifa Riahi, Saadia Mosbah et une dizaine d’autres militant·es et membres d’organisations non gouvernementales, sont actuellement poursuivi·es ou emprisonné·es pour leurs activités pacifiques.
Comme l’a documenté la FIDH dans son rapport « Du coup d’État à l’étouffement des droits : le mode opératoire de la répression en Tunisie (2021-2025) », cette utilisation abusive des textes juridiques constitue l’un des piliers du régime actuel. Le droit, conçu pour protéger les libertés, est détourné pour les restreindre : lois antiterroristes, dispositions pénales d’un autre âge, décret-loi n° 54 sur la cybercriminalité ou encore décret-loi n° 2011-88 sur les associations. Tous servent aujourd’hui à criminaliser la dissidence et neutraliser les contre-pouvoirs.
En assimilant la coopération internationale à une forme d’ingérence, le pouvoir cherche à isoler la société civile, à affaiblir ses relais internationaux et à anéantir toute forme de contre-pouvoir.
Deux piliers de la Tunisie démocratique pris pour cibles
Fondée en 1989, et organisation membre de la FIDH depuis 1994, l’ATFD est une organisation féministe pionnière, acteur historique du mouvement des femmes et de la défense des libertés publiques. Elle accompagne chaque année des centaines de femmes victimes de violences, milite pour l’égalité et la justice, et a contribué à inscrire les droits des femmes au cœur du débat public tunisien.
Le FTDES, créé en 2011, et organisation membre de la FIDH depuis 2013, est un acteur central de la justice sociale en Tunisie. Ses travaux documentent les inégalités, la pauvreté, les mouvements sociaux, les migrations et les impacts environnementaux. Il est reconnu pour son expertise rigoureuse, son engagement pacifique et son rôle de porte-voix des populations marginalisées.
Suspendre ces deux organisations, c’est attaquer les fondements mêmes de la Tunisie démocratique : la liberté, la dignité et la solidarité. Ces suspensions s’inscrivent dans un climat de répression généralisée, marqué par des poursuites judiciaires contre des militant·es, des campagnes de dénigrement orchestrées dans les médias, et des pressions croissantes sur les syndicats et les journalistes.
Le régime tunisien cherche à faire taire les voix critiques et à éradiquer les espaces d’expression libres qui ont pourtant façonné la transition démocratique en Tunisie. La FIDH réitère sa solidarité avec ses deux organisations membres ainsi que toutes les associations tunisiennes touchées par le harcèlement judiciaire et administratif et appelle à :
– la levée immédiate des suspensions de l’ATFD et du FTDES et de toutes les organisations de la société civile suspendues arbitrairement ou de manière similaire ;
– la fin de l’instrumentalisation du décret-loi 88 à des fins de répression politique ;
– le respect plein et entier de la liberté d’association, garantie par la Constitution tunisienne et les engagements internationaux du pays ;
– la fin des restrictions arbitraires imposées aux associations et organisations de la société civile ;
– la garantie de la liberté d’association, d’expression et de réunion pacifique, conformément à la Constitution tunisienne et aux engagements internationaux du pays.
La FIDH et ses organisations membres signataires appellent les mécanismes des Nations unies, en particulier le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) et les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, à suivre de près la situation en Tunisie, à interpeller les autorités tunisiennes sur ces violations flagrantes de la liberté d’association et à demander la levée immédiate des suspensions.
Elle invite également le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association à se saisir du cas, à entreprendre une communication officielle avec le gouvernement tunisien et, le cas échéant, à effectuer une visite en Tunisie pour évaluer la situation de la société civile.