Les récentes annonces d’apaisement faites le 5 mars 2023 par le Président Saïed ne comportaient même pas d’excuses. D’ailleurs, le mal est fait. Les violences accompagnant ces propos racistes et visant les migrant·es subsaharien·nes en Tunisie ont toujours lieu sans qu’aucune enquête n’ait été ouverte. Certains pays d’Afrique subsaharienne ont commencé à rapatrier leurs ressortissant·es.
Des « hordes de migrants clandestins », a déclaré Kaïs Saïed le 21 février 2023, dont la présence dans le pays serait source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables », plus grave, cette immigration relèverait d’une « volonté de faire de la Tunisie seulement un pays d’Afrique et non pas un membre du monde arabe et islamique » et d’un complot pour de « grand remplacement ». Nabil Ammar, ministre tunisien des affaires étrangères, déclarait fin février 2023 dans la presse que les propos du président Kaïs Saïed « n’ont rien d’anormal », ne voyant dans la flambée de violence contre les migrant·es subsaharien·nes dans le pays que des « actes individuels ».
Lorsque des propos racistes sont répétés, soutenus et assumés par tout un gouvernement, peut-on encore parler de sortie de route ?
Depuis 15 jours, les organisations membres de la FIDH en Tunisie ont documenté l’exacerbation des violations des droits humains subie par les migrant·es subsaharien·nes vivant dans le pays : arrestations et détentions arbitraires, agressions, expulsions de leur logement, licenciement abusif. La situation risque d’être particulièrement difficile et dangereuse pour les migrant·es les plus vulnérables, comme les sans-papiers, qui ne semblent pas être concerné·es par les mesures d’urgence annoncées.
« Faire une distinction entre les humain·es, les hiérarchiser, est glaçant. Appeler à la haine contre des gens qui subissent déjà des discriminations, des violences et des privations est particulièrement le summum de la brutalité. »
« La FIDH, ses 54 organisations membres en Afrique et ses 188 organisations dans le monde s’opposent de toutes leurs forces aux violences verbales et physiques qui frappent les migrant·es sur le sol tunisien. J’en appelle particulièrement à la responsabilité des dirigeants tunisiens, quel héritage laisserez-vous dans l’Histoire ? » a ajouté Alice Mogwe, Présidente de la FIDH.
« Les autorités tunisiennes doivent ouvrir une enquête indépendante pour faire toute la lumière sur les violations subies par les migrant·es subsaharien·nes, établir les responsabilités et rendre justice aux victimes. C’est une urgence absolue. La lutte contre l’impunité pour les violations des droits humains doit être au cœur de l’action de l’État tunisien, quelles que soient les victimes et les responsables. »
Des violences condamnées par la législation tunisienne
Ces violences sont condamnées et sanctionnées par la législation tunisienne. La loi organique n°2018-50 du 23 octobre 2018, relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, a fait de la Tunisie le premier pays du Maghreb à s’être doté d’une législation antiraciste.
La FIDH rappelle que l’État tunisien est tenu de respecter les instruments régionaux et internationaux de protection des droits humains qu’il a librement signés et ratifiés [1]. Conséquence des propos racistes du président tunisien : l’Union africaine a reporté à une date ultérieure une conférence panafricaine qui devait se tenir prochainement à Tunis. La Banque mondiale a quant à elle annoncé récemment sa décision de suspendre son cadre de partenariat avec la Tunisie.
La FIDH et ses organisations membres en Tunisie dénoncent la dérive autoritaire qui menace les principes démocratiques dans le pays. Les militant·es de la société civile, les journalistes et l’opposition politique font face à une répression ciblée. La vague d’arrestations menée par la police tunisienne, entre les 11 et 13 février 2023, contre des personnalités de l’opposition ainsi que des syndicalistes et des défenseur·es des droits humains entraînant des manifestations en est l’un des derniers exemples.
« Nous saluons et soutenons la mobilisation de la société civile tunisienne, en particulier la mise en place d’un front anti-fasciste », a déclaré Aissa Rahmoune, vice-président de la FIDH. « La lutte contre le racisme et les discriminations doit être au coeur de la réponse à la crise. Les mots et les maux, prononcés et causés par le président tunisien et son premier ministre font d’eux des commanditaires, instigateurs et complices de la vague de violence contre les migrant·es. Les déclarations irresponsables du président nous rappellent les temps révolus du fascisme et de l’apartheid. Nous appelons les autorités à mettre un terme aux attaques contre la société civile. Le gouvernement doit se reprendre. »