les Nations unies préoccupées par la discrimination à l’égard des femmes

23/08/2002
Rapport
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La FIDH, la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) et l’Assocation tunisienne des femmes démocrates (ATFD) publient une analyse sur « Discriminations et violences contre les femmes en Tunisie » alors que le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) adresse des recommandations à la Tunisie.

Rapport conjoint soumis au Comité sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes Discriminations et violences contre les femmes en Tunisie

Le législateur tunisien a, depuis 1956, lors de la promulgation du Code de statut personnel, adopté maintes lois dans le but d’atténuer les discriminations et les violences à l’égard des femmes. Les femmes continuent pourtant d’être victimes de ces fléaux, d’une part parce que la loi ne définit pas clairement la discrimination à l’égard des femmes et continue de receler de nombreuses discriminations et, d’autre part, parce qu’elle n’est pas toujours appliquée.

Le rapport « Discriminations et violences contre les femmes en Tunisie » publié par la FIDH, la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) et l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) met en évidence le « discours alibi » des autorités tunisiennes sur l’émancipation « exemplaire » des Tunisiennes, qui occulte une pratique pourtant répandue de la violence. Les violences conjugales et domestiques sont les plus fréquentes, prenant des formes diverses : coups et blessures, menaces de mort, viol conjugal, empêchement de travail, avortement forcé, humiliation, dépossession des biens... Les violences au travail viennent en deuxième position. Cette violence reste le plus souvent impunie : les femmes, par peur ou par honte, portent peu plainte. Et les institutions - police, professions de santé, justice, décideurs politiques - qui sont chargées de réprimer ces phénomènes, les ignorent, les banalisent, voire les légitiment. Quant à la justice, il n’est pas rare qu’elle traite des affaires au mépris de la loi.

Comme les 18 experts indépendants qui composent le CEDAW l’ont relevé, la législation tunisienne, en particulier la loi sur la nationalité et le Code de statut personnel, reste discriminatoire à de nombreux égards. C’est particulièrement frappant en matière successorale : dans ce domaine en effet, non seulement le cercle des successibles est plus large pour les hommes que pour les femmes, mais en outre les textes instaurent un privilège de masculinité, en vertu duquel l’homme hérite d’une part double de celle de la femme. Par ailleurs, si la Constitution tunisienne garantit la liberté de culte, une circulaire de 1973, validée par la Cour de cassation, introduit des discriminations à l’égard des femmes non-musulmanes. Cette discrimination fondée sur l’appartenance religieuse des femmes limite leur droit de posséder, de gérer, d’hériter et de transmettre leurs biens. Ainsi, l’épouse chrétienne ou juive ne peut hériter de son mari musulman, de même que le mari et les enfants présumés de la même religion que leur père ne peuvent hériter d’elle.

Le rapport conjoint de la FIDH, la LTDH et l’ATDF dénonce en outre le rôle de l’Etat, qui se fait l’instigateur d’une violence politique à l’égard des femmes.
La répression systématique des défenseurs des droits de l’Homme constitue en effet une atteinte à la libre participation des femmes à la vie publique ; la répression ciblant l’Association tunisienne des femmes démocrates l’illustre clairement. Les femmes participant à des activités de défense des droits de l’Homme sont l’objet d’actes de violence systématique, allant parfois jusqu’à l’agression physique.

Les discriminations dénoncées par le CEDAW trouvent leur traduction juridique dans les réserves faites par la Tunisie à trois articles essentiels de la Convention, garantissant l’égalité entre les hommes et les femmes dans les domaines de la nationalité, de la liberté de circulation, et des rapports familiaux et conjugaux. Le CEDAW appelle donc la Tunisie à lever sans délai ces réserves.

La FIDH appelle les autorités tunisiennes à donner des suites concrètes au dialogue qui s’est tenu en juin 2002 entre les experts du CEDAW et la délégation tunisienne de haut niveau, présidée par la Ministre chargée des femmes et des affaires familiales, et qui vient de se traduire par la publication des conclusions du CEDAW. Il semble que jusqu’à présent en effet, la Tunisie n’ait pas pris de mesures concrètes dans ce sens. Sur la forme d’abord, il est regrettable que les autorités tunisiennes ne se soit présentées plus tôt devant le CEDAW : le dernier débat sur la Tunisie avait eu lieu en 1995 or, en vertu de la Convention sur la discrimination à l’égard des femmes, la Tunisie devait s’inscrire à l’ordre du jour 4 ans après. Ensuite, sur le fond, il faut noter que la plupart des recommandations publiées par le CEDAW en 2002 avaient déjà été adressées à la Tunisie en 1995, et n’avaient pas été suivies d’effets.

La FIDH rappelle que la Tunisie n’a pas non plus honoré ses rendez-vous devant les autres organes de supervision des traités des Nations Unies : le Comité contre la torture la convoque depuis novembre 1999, le Comité des droits de l’Homme depuis février 1998, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels depuis juin 2000, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale depuis janvier 1994. La FIDH appelle la Tunisie à se présenter dans les plus brefs délais, comme elle est tenue de le faire en vertu de ses engagements internationaux, devant ces instances, chargées d’examiner le respect par la Tunisie de ses obligations internationales en matière de droits de l’Homme

La FIDH appelle enfin la Tunisie à lever les réserves qu’elle a faites à la Convention sur la discrimination à l’égard des femmes et à ratifier le Protocole additionnel à la convention sur les plaintes individuelles, pour permettre à des femmes victimes de discrimination de porter plainte devant le comité.

Cette procédure offrirait une voie de recours d’autant plus attendue que de tels recours sont difficiles, voire impossibles en Tunisie même.

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