Respecter les droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

46 organisations, célébrités et dessinateurs de presse appellent à adopter une approche respectant les droits humains

La lutte contre le terrorisme et le respect des droits humains sont complémentaires, ont affirmé aujourd’hui 46 organisations tunisiennes et internationales de défense des droits humains, dans une lettre ouverte adressée à tous les Tunisiens et intitulée « Non au terrorisme, oui aux droits de l’homme ». Trois des organisations tunisiennes signataires ont reçu en 2015 le Prix Nobel de la Paix. Deux autres représentent les familles des politiciens tunisiens Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, assassinés en 2013 par des terroristes. Cinq célébrités tunisiennes, parmi lesquelles des acteurs, un rappeur, une cinéaste et une championne sportive, ont soutenu ce point de vue dans une vidéo également diffusée aujourd’hui.

Les organisations ont insisté sur la nécessité de combattre tous les actes terroristes et d’en poursuivre les auteurs, les instigateurs et les planificateurs. Elles reconnaissent le devoir de l’État de protéger les droits de toutes les personnes sur son territoire, y compris le droit à la vie et à la sécurité.

En même temps, elles ont exhorté les autorités à garder à l’esprit que violer les droits humains nuit aux efforts de lutte contre le terrorisme, et ce de maintes façons :

 Les larges violations des droits humains détruisent la paix sociale tout autant que les entreprises terroristes ;

 Les violations des droits humains alimentent le sentiment d’injustice, servent d’excuses aux terroristes, et facilitent leur recrutement ;

 Les lois antiterroristes abusives font des victimes, parmi lesquelles figurent inévitablement des citoyens innocents et respectueux de la loi ;

 Garantir le droit à un procès équitable n’est pas un signe de « faiblesse » face au terrorisme. Rendre justice consiste à protéger les innocents autant qu’à punir les coupables ;

 En plus d’être une pratique interdite, quelles que soient les circonstances, par le droit international et le droit tunisien, extorquer des aveux sous la torture à des personnes suspectées de terrorisme conduit souvent à de fausses pistes ; au final, cela ne fait que gaspiller le temps et les ressources, précieux, des services de sécurité ;

 La torture et d’autres pratiques abusives à l’encontre des suspects ont aussi pour conséquence de décourager les informateurs potentiels, alors qu’ils pourraient aider les forces de sécurité à contrer des actes de terrorisme.

La Tunisie a connu plusieurs attaques meurtrières commises par des extrémistes islamistes en 2015 et 2016, qui ont fait des dizaines de morts et de blessés. La dernière en date, le 7 mars 2016, à Ben Guerdane, à une trentaine de kilomètres de la frontière Tuniso-Libyenne, a fait 18 morts, dont 7 civils. Le 18 mars 2015, deux hommes armés ont attaqué le Musée du Bardo, voisin du parlement tunisien, tuant 21 touristes étrangers et un agent de sécurité tunisien. Le 26 juin, un homme armé a fait un carnage dans un complexe balnéaire de Sousse, tuant 38 touristes étrangers. Le 24 novembre, un attentat suicide dans un bus a causé la mort de 12 membres de la garde présidentielle et a blessé 20 personnes, parmi lesquelles quatre civils.

La loi antiterroriste de 2015, qui a remplacé une loi antiterroriste de 2003 promulguée par le gouvernement du Président déchu Zine el-Abidine Ben Ali, confère de larges pouvoirs aux forces de sécurité en matière de contrôle et de surveillance, et prolonge la détention au secret, de six jours maximum jusqu’à 15 jours pour les suspects de terrorisme. Elle autorise également les tribunaux à fermer leurs audiences au public, et à dissimuler l’identité de certains témoins aux accusés, des mesures qui nuisent aux garanties d’équité des procédures pour les suspects.

Les organisations tunisiennes et internationales de défense des droits humains ont également recueilli les témoignages de nombreuses personnes affirmant avoir subi des abus pendant les opérations menées dans le cadre de la lutte antiterroriste. Elles ont interviewé Alaeddine Slim, un réalisateur tunisien qui a raconté avoir passé 33 jours en prison en novembre – décembre 2015, après une descente des forces antiterroristes chez lui, sur la base d’une accusation qu’il qualifie d’infondée. Selon Alaeddine Slim, les forces antiterroristes n’ont trouvé aucune preuve d’activités terroristes à son domicile, et les procureurs ont fini par l’inculper uniquement pour possession de cannabis.

Les organisations ont également interviewé et étudié le dossier judiciaire de Nader Alaoui, un jeune Tunisien au chômage qui leur a raconté avoir été emprisonné pendant 14 mois sur la base d’accusations liées au terrorisme. Il a affirmé avoir subi à de nombreuses reprises des coups et d’autres abus au cours de sa détention, jusqu’à ce qu’un juge d’instruction finisse par abandonner les charges le concernant, en raison du manque de preuves.

Houssam Hamdi, un Tunisien qui voyage régulièrement à l’étranger, a raconté aux organisations que la police antiterroriste lui a interdit de sortir du pays parce qu’ils « avaient un dossier sur [lui] ». Houssam Hamdi n’a pas réussi à obtenir le motif de cette interdiction, et en l’absence de notification écrite il n’a aucune possibilité de recours officiel pour la contester. Les organisations ont créé une page Facebook et un compte Twitter, sur lesquelles elles publieront des dessins offerts par des caricaturistes tunisiens pour soutenir la campagne « Non au Terrorisme, Oui aux Droits de l’Homme », ainsi que des articles, interviews, images, bandes-son, vidéos, et autres contenus en rapport avec la campagne.

Lire la lettre adressée au tunisiennes et aux tunisiens "Non au terrorisme ; Oui aux droits humains"

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  • Co-signataires

    Organisations tunisiennes
    1. Union Générale Tunisienne du Travail
    2. Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme
    3. Ordre National des Avocats de Tunisie
    4. Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux 
    5. Syndicat National des Journalistes Tunisiens
    6. Association des Magistrats Tunisiens
    7. Organisation Contre la Torture en Tunisie 
    8. Association Tunisienne des Femmes Démocrates 
    9. Al Bawsala 
    10. Association citoyenneté et Libertés
    11. Association Horizons El Kef Pour Le Développement Intégral
    12. Association Nawaat
    13. Association Scientifique pour les Études sur la Population, la Migration et la Santé (ASPOMIS)
    14. Association Tunisienne de Défense des Libertés Individuelles
    15. Fondation Belaïd Contre la Violence
    16. Fondation Mohamed Brahmi
    17. Fondation Mohamed Belmufti pour la justice et les libertés
    18. CeTuMA (Centre de Tunis pour la Migration et l’Asile)
    19. Coalition pour les Femmes de Tunisie 
    20. Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie
    21. Coordination Nationale Indépendante pour la Justice Transitionnelle
    22. Fédération Tunisienne pour une Citoyenneté des deux Rives
    23. Free Sight Association 
    24. Groupe Tawhida Ben Cheikh
    25. Irtikaa
    26. L’Organisation Tunisienne de la Justice Sociale et de la Solidarité
    27. Labo Démocratique
    28. L’association Amal pour l’environnement Metlaoui Bassin Minier
    29. L’Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement
    30. L’Association Femme et Citoyenneté
    31. L’Association Tunisienne de Défense du Droit à la Santé
    32. Ligue des Electrices Tunisiennes
    33. Mourakiboun (Observateurs)
    34. Observatoire National sur l’Indépendance de la magistrature
    35. Réseau Doustourna
    36. Thala Solidaire
    37. UTOPIA Tunisie
    38. Zanoobya

    Organisations internationales

    39. Réseau Euro-Méditerranéen des Droits humains
    40. Organisation Mondiale Contre la Torture 
    41. Fédération Internationale des Droits de l’Homme 
    42. Human Rights Watch 
    43. Oxfam
    44. Article 19
    45. International Alert
    46. The Carter Center

  • Documents joints
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