Lettre ouverte à l’attention de M. Zine El Abidine Ben Ali

02/12/2004
Communiqué

Monsieur le Président,

Le 28 novembre 2004, quelques semaines après les scrutins
présidentiels et législatifs du 24 octobre 2004, la section de la
LTDH (Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme) à Kairouan a organisé
une conférence-débat portant sur le code électoral tunisien, à
laquelle ont été invités de nombreuses personnalités, militants,
organisations de la société civile et représentants de partis
politiques. La veille de cette conférence, le président de la section
de Kairouan de la LTDH, M. Massoud Romdhani, a été convoqué par les
autorités locales et policières, qui lui ont interdit de tenir cette
conférence tant que des représentants du Parti Communiste Ouvrier de
Tunisie (PCOT), " organisation non-autorisée ", étaient invités à y
participer. Au nom des libertés de réunion et d’opinion, M. Romdhani
a décidé de maintenir la participation des membres du PCOT.

Le 28 novembre au matin, un important dispositif policier a été
déployé autour du siège de la section de la LTDH à Kairouan, où
devait se tenir la conférence, et aux abords de la ville. Plusieurs
participants ont été bloqués à l’entrée de Kairouan, dont deux
membres du comité directeur de la LTDH, Me Mohamed Jmour et Dr Khelil
Zaouia. Les forces de police, sous le commandement du chef de
district de Kairouan, ont par ailleurs empêché les militants
rassemblés autour du siège de la section d’accéder aux locaux, avant
de violemment les disperser. Plusieurs personnes ont été maltraitées,
dont M. Abderrahmane Hedhili, membre du comité directeur de la LTDH,
et Me Radhia Nasraoui, avocate et présidente de l’Association de
Lutte contre la Torture en Tunisie (ALTT), qui a été bousculée et
poussée de force dans sa voiture. Par ailleurs, le mari de Me
Nasraoui, M. Hamma Hammami, porte-parole du PCOT, a été violemment
frappé à coups de pieds par les policiers.

L’Observatoire rappelle également que la tenue d’une réunion,
organisée le 17 novembre 2004 au domicile de Me Radhia Nasraoui à
Tunis, a été entravée par les forces de police. Selon les
informations reçues, plusieurs dizaines de policiers se sont déployés
dans le quartier du domicile de Me Nasraoui le 17 novembre, afin
d’empêcher la tenue de cette réunion, organisée à l’occasion de la
journée de soutien à MM. Najib et Jalel Zoghlami -frères de M.
Taoufik Ben Brick-, dont Me Nasraoui est l’avocate. Alors qu’environ
20 grévistes de la faim devaient se rassembler chez Me Nasraoui,
seuls six d’entre eux ont pu avoir accès à son domicile, étant
arrivés plusieurs heures avant les policiers. Alors qu’elle arrivait
chez elle, Me Nasraoui a été bloquée par des agents qui ont tenté
d’ouvrir les portières de sa voiture pour obliger un de ses proches
qui étaient avec elle à descendre. L’Observatoire fait part de sa
plus vive inquiétude face au harcèlement accru exercé à l’encontre de
Me Nasraoui depuis son retour de Côte d’Ivoire, en octobre 2004, où
elle a participé à une Commission d’enquête pour le compte des
Nations unies durant une période de trois mois (recrudescence des
filatures, visant également sa fille cadette, présence policière
permanente autour de son domicile et de son cabinet, surveillance du
domicile de sa mère et du jardin public où vont jouer ses enfants).

L’Observatoire fait également part de ses préoccupations quant au
harcèlement et aux poursuites judiciaires dont font l’objet M. Ben
Brick, membre fondateur du Conseil
National des Libertés en Tunisie (CNLT), organisation toujours non
reconnue par les autorités, ainsi que sa famille. M. Ben Brick est en
effet poursuivi pour " outrage à la
pudeur " et risque 6 mois de prison ferme à l’issue du verdict qui
sera rendu le 8 décembre 2004. Ses frères, M. Najib Zoghlami et le
journaliste M. Jalel Zoghlami, ont été
arrêtés en septembre 2004 et condamnés le 4 novembre 2004 à un an de
prison ferme pour 11 chefs d’inculpation de droit commun (dont : port
d’armes blanches, atteinte
aux biens d’autrui, tentative d’agression, atteinte aux bonnes mœurs,
état d’ébriété, vol). Par ailleurs, deux frères de M. Ben Brick (dont
M. Jalel Zoghlami), sa sœur et son
beau-frère, doivent comparaître, le 17 décembre 2004, pour avoir
perturbé l’audience du 10 août 2004 lors du procès de M. Jalel
Zoghlami.

L’Observatoire exprime son inquiétude quant à ces actes de
harcèlement et ces violations du droit de se rassembler
pacifiquement, et vous demande de veiller au respect
des dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de
l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9
décembre 1998, et plus
particulièrement à son article 1, qui dispose que "chacun a le droit,
individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la
protection et la réalisation des droits
de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et
international" et son article 5a qui dispose qu’ "[a]fin de
promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés
fondamentales, chacun a le droit, individuellement ou en association
avec d’autres, aux niveaux national et international (...) [d]e se
réunir et de se rassembler pacifiquement".

Nous vous prions, Monsieur le Président, de bien vouloir agréer
l’expression de notre haute considération.

Sidiki KABA Eric SOTTAS
Président de la FIDH Directeur de l’OMCT

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