LE JUGE YAHIAOUI DESTITUE POUR AVOIR DENONCE L’ETAT DE DEPENDANCE DE LA MAGISTRATURE

31/12/2001
Communiqué

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme et
ASF - Belgique demandent sa réintégration dans ses fonctions et appellent le
gouvernement tunisien à inviter le Rapporteur spécial de la Commission des droits de
l’Homme des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats, ainsi que la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies sur les défenseurs des droits de
l’Homme,
à se rendre en Tunisie.

Paris, Genève, Bruxelles, le 31 décembre 2001 : Le 29 décembre 2001, le Conseil de Discipline de la Magistrature a prononcé la radiation de juge Mokhtar
Yahiaoui, pour « manquement aux obligations professionnelles » et « atteinte à l’honneur de la magistrature ».

Seule la publication, le 6 juillet 2001, d’une lettre ouverte au Président Ben Ali lui vaut cette sanction.

Dans cette lettre ouverte, le juge Yahiaoui, juge au Tribunal de Tunis et, à l’époque, Président de sa 10è Chambre, dénonçait le manque d’indépendance des
magistrats tunisiens dans l’exercice de leurs fonctions et le fait que la justice était inféodée au pouvoir politique.

A la suite de la publication de cette lettre ouverte, le magistrat tunisien avait été suspendu de ses fonctions et de son traitement, et convoqué devant le Conseil de
Discipline le 2 août 2001.

Suite à un important mouvement de solidarité national et international, le juge fut réintégré dans ses fonctions le 1er août 2001 et son affaire reportée sine die par le
Conseil de Discipline : l’affaire semblait close.

Le 20 décembre 2001, cependant, Monsieur Yahiaoui se voyait convoqué à comparaître devant le Conseil de discipline à la date du 29 décembre, pour « 
manquement à ses obligations professionnelles » et « atteinte à l’honneur de la magistrature ».

Avocats Sans Frontières-Belgique et l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des droits de l’Homme (programme conjoint de la FIDH et de l’OMCT) ont
dépêché à Tunis, pour l’occasion, Madame Coppieters‘t Wallant, vice-Présidente du Tribunal de première instance de Bruxelles, avec le soutien de l’Association
Syndicale des Magistrats (ASM, Belgique), le Syndicat de la Magistrature (SM, France) et les Magistrats Européens pour la Démocratie et les Libertés (MEDEL).

En dépit de la date choisie par les autorités tunisiennes pour reconvoquer le juge Yahiaoui, l’affaire a suscité une importante mobilisation, révélatrice de son
caractère emblématique : cent-vingt avocats se sont réunis au sein d’un collectif de défense, et de nombreuses personnalités de la société civile tunisienne qui, elles,
ont été empêchées d’accéder au bâtiment de la Cour de Cassation où devait avoir lieu l’audience du Conseil de Discipline, ont manifesté leur soutien au magistrat.

A l’audience du 29 décembre, Mokhtar Yahiaoui a demandé, par la voix de ses avocats, que l’affaire soit reportée à une date ultérieure afin de pouvoir consulter
son dossier et préparer sa défense. Ses avocats n’avaient en effet pas eu le temps de prendre connaissance de l’ensemble du dossier constitué à charge du
magistrat, et n’avaient pas été autorisés à en prendre photocopie.

Le Conseil de Discipline, après un bref délibéré, a refusé de reporter l’affaire. Les avocats et le juge ont alors décidé de se retirer, estimant que, dans ces
conditions, les droits de la défense ne pourraient pas être respectés.

Dans le courant de l’après-midi du même jour, le juge a appris que le Conseil de Discipline l’avait révoqué. A ce jour, la décision, qui a été diffusée et commentée
par l’agence officielle de presse tunisienne, ne lui a pas été officiellement notifiée.

L’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des droits de l’Homme et Avocats Sans Frontières dénoncent non seulement le fait que le juge Yahiaoui a été
radié pour avoir exercé sa liberté d’opinion et d’expression, mais en outre, qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable.

Nous rappelons que les magistrats « jouissent comme les autres citoyens de la liberté d’expression, de croyance, d’association et d’assemblée », étant toutefois
tenus de « se conduire de manière à préserver la dignité de leur charge et l’impartialité et l’indépendance de la magistrature » : c’est précisément le souci de ne voir
les magistrats tunisiens « soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la loi » qui vaut au juge d’être sanctionné.

Cette affaire a mis en évidence les manquements graves à l’indépendance de la justice tunisienne, en Tunisie même où un Centre pour l’indépendance de la justice,
présidé par Mokhtar Yahiaoui, vient d’être créé.

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme et Avocats sans Frontières demandent aux autorités tunisiennes :
 De veiller à ce que le juge Yahiaoui soit au plus vite réintégré dans ses fonctions
 D’ inviter Monsieur Dato’ Param Cumarasmawy, Rapporteur Spécial de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies sur l’indépendance des juges
et des avocats, à se rendre en Tunisie pour enquêter sur l’état de la magistrature
 D’inviter Madame Hina Jilani, Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, à se rendre en Tunisie,
pour enquêter sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme
 De se conformer aux dispositions de la Déclarations sur les défenseurs des drois de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre
1998, notamment à son article 6.c qui stipule que « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, d’étudier, apprécier et évaluer le respect,
tant en droit qu’en pratique, de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentales et, par ces moyens et autres moyens appropriés, d’appeler
l’attention du public sur la question ».
 De se conformer, plus généralement, aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et des instruments internationaux relatifs aux droits de
l’Homme liant la Tunisie.

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