Cinq arguments en faveur de l’abolition de la peine de mort en Tunisie

08/02/2018
Communiqué

Tunis, le 26 janvier 2017 – Si les attaques terroristes des dernières années sur le sol tunisien ont abouti à la loi de juillet 2015 établissant la peine de mort pour les auteurs de « crimes terroristes », et que plusieurs condamnations à la peine capitale ont depuis été prononcées, le pays n’a procédé à aucune exécution depuis 1991.
Le colloque, organisé par la FIDH en partenariat avec le CTCPM et le SNJT, réunissant aujourd’hui à Tunis militants et journalistes a été l’occasion pour les défenseurs des droits humains d’appeler la commission des libertés individuelles et de l’Egalité à inscrire l’abolition de la peine de mort parmi les réformes à adopter pour renforcer la démocratie en Tunisie.
Comme le remarque Mokhtar Trifi, président du bureau de la FIDH en Tunisie : « Face aux exactions des groupes terroristes, la Tunisie ne doit pas se lancer dans une surenchère meurtrière et inhumaine, mais appliquer des sanctions justes et fermes. Notre pays devrait s’armer de courage et de volonté politique pour abolir enfin la peine capitale de ses lois ».
Une recommandation qui se justifie par les arguments hostiles à la peine de mort, afin que la Tunisie se décide enfin à abolir ce châtiment injuste, inefficace, et inhumain.

En 1977, seuls 16 pays avaient aboli la peine de mort. Quarante ans après, 146 États, y ont renoncé dans la loi ou la pratique. Soit les deux tiers des pays à travers le monde. L’abolition suit le cours de l’histoire et progresse, soulageant l’humanité de ce châtiment cruel.
La Tunisie a franchi des pas significatifs dans cette direction et n’a procédé à aucune exécution depuis 1991. En 2012, le pays a voté en faveur de la résolution des Nations Unies appelant à un moratoire universel sur l’application de la peine de mort, et se classe ainsi parmi les pays ayant annulé cette peine dans la pratique. Pourtant, en juillet 2015, le pays étendait la peine de mort aux « crimes terroristes », afin de « rassurer les citoyens » selon les mots du Président de l’Assemblée de l’époque, après une vague d’attentats terroristes particulièrement odieux et meurtriers.
Aujourd’hui à Tunis, plusieurs organisations de défense des droits humains ont invité des journalistes à débattre du sujet, afin de leur exposer les arguments en faveur de l’abolition de la peine de mort dans le pays, châtiment injuste et inefficace.
• La peine de mort est une sanction irrévocable, et ne peut être révisée si elle est appliquée à l’encontre de personnes innocentes. Par exemple, le jeune Maher Mannai est condamné depuis 2004 à la peine capitale, bien qu’il n’ait jamais cessé de clamer son innocence. Il est depuis emprisonné. De nouveaux éléments et témoignages sont apparus, conduisant la justice à décider le 26 octobre 2017 de revoir son dossier. Si la peine de mort avait été appliquée, il aurait été impossible de revenir en arrière pour prendre en considération les nouvelles données.
• La peine de mort est une sanction discriminatoire et injuste. Elle est souvent prononcée à l’encontre des catégories les plus démunies et les plus vulnérables en Tunisie. Les peines de mort prononcées reflètent les disparités sociales et régionales flagrantes. Les ouvriers, chômeurs et agriculteurs constituent 68% du total des condamnés à la peine capitale jusqu’en 2012 et sont pour la plupart originaires de zones marginalisées.
• La peine de mort est une sanction sélective qui relève de la vengeance, pas de la justice. En Tunisie, le nombre des personnes exécutées depuis l’indépendance est de 135, et la plupart ont subi la peine capitale pour des considérations politiques. Ainsi, l’abolition de la peine de mort devient une garante de la démocratie.
• La peine de mort est une sanction non dissuasive. Il n’existe aucune preuve démontrant que l’application de la peine capitale dissuade plus que les autres peines, ni qu’elle ait un quelconque effet dissuasif sur les terroristes. Bien au contraire, plusieurs exemples dans la région prouvent que cette peine ne fait qu’alimenter le cycle de la violence. Le gouvernement irakien, qui fait face à terrorisme massif, n’a obtenu aucun résultat probant en recourant de manière intensive à la peine capitale depuis 2005. Par contre, l’Algérie observe un moratoire sur la peine de mort depuis le début de la fameuse décennie noire en 1993, et a ainsi contribué à mettre un frein aux activités des groupes terroristes takfiristes. Le Rwanda a également eu la volonté et le courage politiques pour abolir la peine de mort, dépassant ainsi les conséquences et les douleurs de la guerre civile et du génocide qui ont fait un million de victimes. La justice demeure le moyen le plus efficace parce qu’elle prône la vie alors que le terrorisme et la peine capitale font l’apologie de la mort.
• La peine de mort viole le doit à la vie consacré et garanti dans la Constitution tunisienne (article 21). Le maintien de cette peine s’oppose au droit à la vie. L’État ne peut pas appeler à ne pas tuer s’il tue lui-même en vertu de la loi. Une telle situation ne peut qu’attiser la haine et développer les désirs de vengeance.
La FIDH, membre de la Coalition mondiale contre la peine de mort (WCADP), réitère son opposition totale à la peine de mort pour tous les crimes.

Lire la suite