Lettre ouverte à M. Romano PRODI

27/03/2003
Communiqué

Monsieur le Président de la Commission,

Nous vous écrivons en vue de votre prochaine visite en Tunisie, qui doit avoir lieu les 29 et 30 mars.

L’Accord d’association signé le 17 juillet 1995 par la Communauté européenne et les Etats membres de l’Union européenne d’une part et par la République tunisienne d’autre part, entré en vigueur le 1er mars 1998 comprend une clause concernant les droits de l’Homme qui lie juridiquement les parties (article 2). Cette clause stipule que tant les relations entre les parties que l’ensemble des dispositions de l’Accord lui-même sont fondées sur le respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques, qui inspire leur politique interne et internationale, et constitue un élement essentiel de l’Accord.

L’importance de cette clause a été réitérée par la Commission dans sa communication du 8 mai 2001 consacrée au Rôle de l’Union européenne dans la promotion des droits de l’Homme et de la démocratisation dans les pays tiers.

Pourtant, force est de constater que 5 ans après l’entrée en vigueur de cet accord, la situation des droits de l’Homme en Tunisie ne s’est pas améliorée, loin s’en faut. Le Parlement européen, le Conseil et la Commission se sont d’ailleurs inquiétés à plusieurs reprises de la dégradation de la situation des droits de l’Homme en Tunisie.

La FIDH, la LTDH, le REMDH et le CNLT sont particulièrement inquièts concernant l’exercice de la liberté d’expression en Tunisie et la situation des défenseurs des droits de l’Homme, l’instrumentalisation de la justice et la situation qui prévaut dans les prisons.

L’état des libertés d’expression s’est en effet dégradé de façon notable ces derniers mois. Entre le 5 et le 9 février 2003, 20 étudiants âgés de 18 a 22 ans ont été arrêtés a Zarzis pour avoir consulté des sites internet interdit en Tunisie. Ils seraient soupçonnés d’avoir organisé des activités subversives par le biais d’internet et consulté le site islamiste interdit du parti Nahda. Six d’entre eux sont encore détenus. Ces arrestations sont intervenues quelques mois après la condamnation de Zouhayr Yahyaoui, fondateur et principal animateur du site TUNeZINE, a 2 ans et 4 mois de prison, le 20 juin 2002. Par ailleurs, des manifestations contre la guerre en Irak ont récemment été interdites, notamment a Sfax, Gafsa, Sidi Bou Zid. Le 16 février, à Sfax, 20 participants à une manifestation ont été bléssés (dont 14 ont dû être hospitalisés).

Ces faits s’ajoutent à des atteintes récurrentes a la liberté d’expression et d’information en Tunisie et s’inscrivent dans le cadre général de persécution et de harcèlement des personnes osant dénoncer les violations des droits de l’Homme en Tunisie et émettre un avis critique à l’encontre du pouvoir. Les défenseurs des droits de l’Homme tunisiens et leur famille font l’objet de harcèlement et d’une répression toujours croissants. La justice tunisienne, comme ont pu notamment le constater les observateurs internationaux présents lors des récentes audiences des procès contre l’Ordre des avocats et la LTDH, est instrumentalisée à des fins de répression de toute voix discordante. Nombre de défenseurs se sont ainsi vus empêchés de se rendre à l’etranger.

Près de 1000 prisonniers politiques sont encore aujourd’hui détenus dans les prisons tunisiennes. Les prisonniers tunisiens et notamment ces prisonniers d’opinion sont encore victimes de traitements inhumains et dégradants et sont souvent privés des soins vitaux que requiert leur état de santé. Le cas de Habib Raddadi, détenu politique condamné à 17 ans de prison et décédé en cours de détention est une illustration tragique de cet état de fait. A cela il faut ajouter le maintien en isolement auquel sont soumis 37 détenus politiques, dont certains depuis plus de 12 ans, en violation flagrante de la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.

En conséquence et en vertu de l’article 2 de l’accord d’association, nos organisations vous demandent de prier instamment le gouvernment tunisien de respecter ses engagements internationaux en matiere de droits de l’Homme et notamment en :

 Mettant un terme à l’isolement de longue durée des détenus politiques ;
 Libérant toutes les personnes détenues ou emprisonnées uniquement pour avoir exercé de manière non violente leur liberté d’expression, d’association ou de réunion ;
 Mettant fin à toute forme de harcèlement à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme et de leur famille, et en autorisant toutes les organisations indépendantes de droits de l’Homme, en ce compris la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) et le Conseil National des Libertés en Tunisie (CNLT) à agir dans la légalité et librement, conformément à la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme des Nations Unies.
 Restituant leur liberté de circulation à toutes les personnes qui sont privées arbitrairement de leur passeport ou à qui il est interdit de quitter le pays et notamment aux défenseurs des droits de l’Homme ;
 En instaurant des mesures efficaces de prévention contre l’usage de la torture et d’autres traitements inhumains et dégradants à l’encontre de personnes détenues par la police ou en prison ;
 En instaurant un système crédible et transparent chargé de mener des enquêtes sur les abus, et d’assurer que les auteurs de violations des droits de l’Homme soient identifiés et traduits en justice.

Sihem Bensedrine
Porte-parole du CNLT

Kamel Jendoubi
Président du CRLDHT

Sidiki Kaba
President de la FIDH

Marc Shade-Poulsen
Directeur exécutif du REMDH

Mokhtar Trifi
President de la LTDH

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