Tunisie : La justice militaire devant ses responsabilités dans les procès des victimes de la révolution

06/12/2012
Communiqué
ar fr

« La justice militaire tunisienne est confrontée au défi de son indépendance », a déclaré Souhayr Belhassen, Présidente de la FIDH reflétant le principal constat d’une mission d’observation judiciaire menée du 27 novembre au 1er décembre 2012 par la FIDH, l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) et la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme (LTDH). Les chargés de mission ont pu observer l’audience en appel, le 28 novembre 2012, d’un procès d’auteurs présumés des crimes perpétrés en répression des soulèvements populaires qui ont mené à la chute du régime du Président Ben Ali.

En juin 2012, le premier procès tenu devant le Tribunal militaire du Kef à l’encontre de 22 accusés concernant les crimes commis entre décembre 2010 et janvier 2011 dans les villes de Kairouan, Tajérouine, Thala et Kasserine s’était soldé par 13 condamnations [1] pour des faits de complicité d’homicide volontaire, tentative d’homicide ou encore homicide avec préméditation, et par 9 acquittements.

Au cours de l’audience du 28 novembre, la Cour d’Appel militaire de Tunis a entendu les demandes de complément d’instruction faites par les avocats des parties civiles, par le Procureur Général et par la défense. Le Président de la Cour a notamment accédé à la demande d’audition du ministère de la Justice sur les failles qui ont persisté tout au long de la procédure, et spécialement sur les lenteurs observées dans la mise en œuvre d’une enquête judiciaire sur ces faits criminels.

« Les attentes de justice de la part des victimes, de leurs familles et, au delà, de l’ensemble du peuple tunisien sont très fortes. Le processus de justice en cours se doit donc d’être irréprochable et de respecter les critères internationaux du droit à un procès équitable » a déclaré Me Martin PRADEL, avocat au Barreau de Paris et membre du Groupe d’action judiciaire de la FIDH.

Les chargés de mission ont rencontré les avocats de la défense et les familles des victimes. Tous dénoncent le manque d’indépendance avec lequel ces procédures sont conduites, et le fait qu’elles ne mettent en cause, selon eux, qu’une partie des personnes impliquées. Le recours à la justice militaire, juridiction d’exception, pour juger de crimes les plus graves est également source de préoccupation en ce qu’une telle décision contredit les standards internationaux qui prévoient que les juridictions militaires ne peuvent être compétentes pour juger des violations graves des droits de l’homme.

« Les débats se sont déroulés dans la confusion. En dépit du rappel à la procédure d’audience, notamment en ce qui concerne les interventions des différentes parties, la Cour n’a finalement pu mener ses auditions qu’à l’encontre de deux accusés, sur les cinq qu’elle envisageait initialement d’interroger » a déclaré Safya AKORRI, chargée de mission de la FIDH.

La FIDH et ses organisations membres appellent les autorités tunisiennes à garantir le bon déroulement de ces audiences, afin que les responsabilités des auteurs de ces crimes soient toutes débattues dans le respect du droit des accusés à être jugés équitablement, et du droit des victimes à connaître la vérité, en conformité avec les obligations internationales que la Tunisie a souscrites, notamment en ratifiant la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Un compte-rendu plus détaillé de cette mission sera publié ultérieurement. Outre les familles de victimes et les avocats de la défense, les chargés de mission de la FIDH ont également pu s’entretenir avec le Président de la Cour, le Procureur général et ses substituts ainsi qu’avec des représentants des autorités et des ONG de défense des droits de l’Homme.

Lire la suite