LES DEFENSEURS DES DROITS HUMAINS EN DANGER

26/05/1999
Communiqué
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Les défenseurs des droits humains, les avocats, les journalistes et les syndicalistes tunisiens sont de plus en plus soumis a des intimidations et des harcèlements, ont alerté les huit organisations soussignées aujourd’hui.

La semaine dernière, à l’approche du procès de l’avocate des droits humains Radhia Nasraoui, des avocats et militants des droits humains ont fait davantage l’objet de pressions. Le procès de Radhia Nasraoui et de ses 20 co-inculpés, accusés de liens avec une association non autorisée et de participation à des réunions interdites, a suscité beacoup d’intérêt en Tunisie comme à l’étranger. Quelques 20 avocats étrangers ainsi que plusieurs diplomates en poste à Tunis, ont assisté à l’ouverture du procès le 15 mai.

Plus de 120 avocats assuraient la défense des inculpés. Les autorités tunisiennes ont manqué de présenter au tribunal trois des inculpés - pourtant détenus - et ont reporté le procès, sous prétexte de l’absence de ces trois prévenues. Les autorités tunisiennes ont souvent recours à de telles tactiques pour reporter un procès afin d’entraver le travail d’observateurs internationaux et de les empêcher d’observer les procès.
Le 24 mai 1999, Taoufik Ben Brik, journaliste et membre du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) a été arrêté et détenu pendant plusieurs heures pour être interrogé. Le 20 mai 1999 , Taoufik Ben Brik avait été agressé devant son domicile et en plein jour par trois individus munis de chaînes. Dans les semaines qui ont précédé, on l’avait empêché de quitter le pays et il s’était vu confisquer son passeport. Alors que sa femme Azza faisait des courses avec leurs deux enfants, les vitres de sa voiture avaient été brisées. Ces incidents semblent être le résultat de plusieurs articles de Taoufik Ben Brik publiés en Suisse et en France, dans lesquels il critiquait vivement la détérioration de la situation des droits humains, le manque croissant de libertés publiques et le musèlement de la presse tunisienne. Le CPJ se joint aux autres organisations pour exprimer sa préoccupation pour la sécurité de Taoufik Ben Brik.

Des avocats et des militants des droits humains ont récemment fait l’objet de pressions accrues. Omar Mestiri, Secrétaire général du CNLT a été arrêté le 12 mai 1999 à son domicile tunisois. Il a été détenu jusqu’au lendemain soir au Ministère de l’Intérieur et a été interrrogé à propos de ses activités au sein du CNLT, créé le 10 décembre 1998 mais dont les autorités tunisiennes ont refusé l’accréditation.

La veille de son arrestation, le CNLT avait publié un communiqué condamnant l’arrestation de 10 leaders de l’Union générale tunisenne du travail (UGTT). Ces syndicalistes avaient été arrêtés et détenus pendant deux jours au ministère de l’intérieur après qu’ils avaient publié, avec d’autres syndicalistes, une pétition condamnant l’ingèrence des autorités dans les affaires du syndicat. Le 22 mai, Mohamed Tahar Chaieb, professeur d’université et leader syndicaliste, a été arrêté à l’aéroport de Tunis à son arrivée de Paris. Il a été détenu pendant deux jours au ministère de l’intérieur et a été interrogé sur ses contacts avec des médias, des organisations des droits humains et des syndicats à l’étranger.
Au cours des dernières semaines, le CNLT a publié plusieurs communiqués, exprimant ses préoccupations rélatives à la situation des droits humains en Tunisie ainsi qu’aux limitations croissantes de la libérté d’expression et d’association en Tunisie. Plusieurs membres du CNLT ainsi que des avocats et des militants des droits humains ont eu leurs lignes téléphoniques coupées et leurs passeports confisqués. La surveillance policière, un aspect quotidien de la vie de nombreux défenseurs des droits humains, s’est récemment renforcée. Plusieurs avocats et défenseurs des droits humains, notamment des membres du CNLT, de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) et de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), ont rapporté qu’ils étaient constamment suivis.

Des dizaines d’autres défenseurs des droits humains ainsi que leurs familles ont été la cible des autorités. Le vice-président de la LTDH, Khemais Ksila, est emprisonné depuis septembre 1997 ; il purge une peine de prison de trois ans pour avoir publié un communiqué critiquant la situation des droits humains en Tunisie. Sa femme et ses enfants sont continuellement harassés. Les autorités tunisiennes ont récemment empêché le fils de Khemais Ksila, âgé de 11 ans de se rendre en Egypte pour y recevoir un prix au nom de son père. Najet Yaqoubi, une avocate des droits humains et membre de l’ATFD, est constamment suivie par la police, son domicile et son cabinet sont sous surveillance policière. Depuis mars 1998, Radhia Nasraoui n’a pas le droit de quitter Tunis. De plus, elle a été condamnée en février dernier à 15 jours de prison avec sursis pour s’être rendue aux funérailles de sa belle-mère en dehors de la capitale. Ses enfants ont été intimidés par les services de sécurité à maintes reprises. Najib Hosni, un autre avocat des droits humains, est empêché d’exercer sa profession, son télephone est coupé et il est parmi plus de 25 avocats à qui l’on a refusé de délivrer un passeport. Mohamed Bedoui, frère de Moncef Marzouki, ancien président de la LTDH et actuellement porte-parole du CNLT, a été condamné à six mois de prison en mars 1999 pour avoir refusé de se soumettre au contrôle administratif et purge actuellement sa peine. Dr Moncef Marzouki ne peut obtenir son passeport et son téléphone est coupé.

Amnesty International, le CPJ, la FIDH, Human Rights Watch, le LCHR, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme, l’OMCT et RSF sont gravement préoccupés par les événements récents en Tunisie, et notamment par l’intimidation et le harcèlement dont font l’objet de plus en plus fréquemment les défenseurs des droits humains et plus largement, tous ceux qui cherchent à exercer leurs droits à la liberté d’expression et d’association. Les huit organisations appellent les autorités tunisiennnes à :

 mettre fin immédiatement au harcèlement et aux intimidations dont sont victimes défenseurs des droits humains, avocats, journalistes et syndicalistes ; lever les restrictions auxquelles ils sont soumis ; s’assurer que leurs lignes de téléphone et de fax soient rétablies et qu’ils puissent jouir de leur droit à la liberté d’expression, d’association et de mouvement dans le pays et à l’extérieur ;

 faire en sorte que les défenseurs des droits humains, avocats, journalistes et syndicalistes, ainsi que leurs familles soient protégés et puissent mener leurs activités sans interférence, intimidation ni persécution ;

 libérer immédiatement et sans conditions Khemais Ksila, vice-président de la LTDH et lever tous les chefs d’inculpation contre l’avocate des droits humains Radhia Nasraoui et ses co-inculpés ;

 faire en sorte qu’une enquête impartiale sur l’agression dont Taoufik Ben Brik a été victime soit rapidement menée et que les coupables soient traduits en justice.

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