Intervention de la ligue Tunisienne pour la défense des droits de l’homme(LTDH)sur la situation des droits de l’Homme en Tunisie

06/11/2003
Rapport

Point 9(a) de l’ordre du jour : Situation des droits de l’Homme

Monsieur le Président
Mesdames et Messieurs les Commissaires

Il y a à peine cinq mois, mon camarade membre du comité directeur de notre organisation, la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme intervenait devant votre honorable assemblée, à la précédente session et mettait l’accent sur deux aspects qui étaient d’une importance capitale pour notre organisation et qui sont essentiellement la réforme liberticide de la Constitution Tunisienne, intervenue le 26 Mai 2002 à la suite d’un referendum de 99,52% de oui et dont l’essentiel vise à prolonger le mandat présidentiel qui, sans cette réforme devait s’achever en novembre 2004, renforcer les prérogatives présidentielles accentuant ainsi les déséquilibre entre les pouvoirs et assurer au chef de l’Etat l’impunité à perpétuité (ce qui n’est ni conforme aux conventions internationales ni au principe d’égalité devant la loi) et pour enfin criminaliser le citoyen et en particulier les défenseurs des droits humains en les accusant de traîtrise sur la base de leurs relations de coopération avec leurs homologues dans le monde.

L’instrumentalisation de la justice tunisiennes à été le deuxième point évoqué en Mai 2003 devant votre honorable assemblée .
Ce que je voudrais ajouter, c’est que depuis 6 mois les choses loin de s’améliorer n’on fait que s’aggraver en particulier concernant la liberté de s’organiser et de se réunir.
Par décision de justice, des congrès de sections de notre organisation ont été annulés à la suite de plaintes déposés par des membres évincés du Rassemblement Constitutionnel Démocratique, parti au pouvoir. Mis à part des procès inéquitables (plusieurs procès ont été instruits en particulier contre des étudiants et des syndicalistes qui ont participé aux marches de solidarité avec la Palestine et l’Iraq), les campagnes dirigées contre les bâtonnât et le Conseil de l’Ordre des avocats qui ont subi le scandaleuses agressions, des séquestrations et la mise à sac de leurs cabinets.

Pour dénoncer cette situation devenue insupportable, ma compatriote la célèbre avocate Radhia NASRAOUI, connue pour défendre les défenseurs des droits humains a entamé une grève de la faim depuis le 15 Octobre dernier, cette avocate qui avait déjà effectuée une grève de la faim de 52 jours en mai dernier, pour obtenir la libération de son époux, opposant politique, s’élève encore une fois contre les violences exercées à son encontre, à l’encontre de sa famille et de la profession en général : filature continue, cabinet envahi et matériel fracassé, dissuasion de sa clientèle par des interventions policière, plaintes déposées mais jamais abouties « la dignité de la profession est quotidiennement bafouée et c’est devenu intenable au point que la seule arme de protestation qui reste à notre portée c’est la grève de la faim ».

Ce que je souhaiterais ajouter et qui est nouveau dans la volonté des autorités Tunisiennes de maintenir leur monopole et leur main mise sur le fonctionnement de la justice Tunisienne c’est le récent refus du gouvernement Tunisien de mettre en place un programme MEDA (financé par l’Union Européenne à hauteur de vingt cinq millions d’Euros, établi dans le cadre de l’accord d’association conclu entre l’U.E et la Tunisie concernant un renforcement de l’intégration de la bonne gouvernance des droits de l’homme et de la démocratie, et de ne consacrer ce financement qu’à la rénovation de matériels et d’infrastructures notamment carcérales du département de la justice.

Nous sommes également très préoccupés par les graves atteintes à l’exercice de la liberté d’expression (un rapport à été élaboré par la LTDH à l’occasion de la journée mondiale de la presse, le 3 mai 2003 et dont le titre « la presse sinistrée » se passe de commentaires. Des exemplaires en français et en anglais sont à votre dispositions), ainsi que par la persécution des défenseurs des droits de l’homme.

Mais je voudrais insister plus particulièrement sur la liberté d’association qui reste bloquée pour le CNLT, l’AISPP, RAID- ATTAC- Tunisie, l’association de lutte contre la torture. Ainsi, l’activité de notre organisation qui est la plus ancienne dans le monde Arabe et en Afrique est sérieusement entravée . En effet, le gouvernement veut désormais imposer à toute association la demande d’une autorisation préalable avant de recevoir des fonds de bailleurs étrangers telle la Commission Européenne . Ce faisant, il se fonde de façon abusive sur un texte de 1922, totalement obsolète et qui concerne la collecte de fonds auprès du public . Cette démarche crée un précédent dangereux et constitue une nouvelle étape dans le verrouillage des activités associatives autonomes.
Dans le cadre de l’Initiative Européenne pour la Démocratie et les Droits de l’Homme (IEDDH) la LTDH a obtenu un financement pour sa restructuration dont seule la première tranche a été exécutée alors qu’on vient de nous aviser que la seconde tranche était bloquée, au moment même où la LTDH obtenait un important financement pour un meilleur accès à la justice.

Le LTDH souhaite attirer votre attention sur la situation des femmes qui est loin d’être aussi idyllique que le laissent croire les autorités .Car, les discriminations à l’égard des femmes perdurent depuis l’indépendance en 1956, date des derniers acquis législatifs. Le droit de la famille reste patriarcal et « la Charia » privilégie toujours l’homme par rapport à la femme en matière successorale, de tutelle ou d’égalité dans le choix d’un époux. Les rares associations qui osent aller à l’encontre de l’image positive de la situation de la femme tunisienne, porte- drapeau du régime, sont l’objet d’exactions virulentes .

Monsieur le Président
Mesdames, Messieurs les commissaires
Comme vous pouvez le constater, dans le domaine des droits de l’homme, la Tunisie reste loin derrière plusieurs pays de notre continent et les horizons demeurent bouchés, même si le discours officiel comme les engagements internationaux peuvent faire croire le contraire.
Aussi nous vous demandons encore une fois
De demander au gouvernement de présenter son rapport sur la situation des droits humains dont le retard atteint les dix ans.
De charger Monsieur le Rapporteur Spécial de se rendre en Tunisie pour une visite des prisons, visite refusée à plusieurs reprises à la LTDH alors que les informations que nous détenons et qui seront publiées très prochainement par nos soins, nous confirment que les conditions sont inhumaines et dégradantes et constituent pour nous une questions urgente. Les décès suite aux grève de la faim pour protestation aux mauvais traitements, aux négligences et aux manques de soins sont recensés par nous chaque année.

Notre organisation vous recommande vivement de
Demander au gouvernement Tunisien d’engager les réformes concernant les cadres juridiques et administratifs relatifs aux statuts des ONG en mettant fin a toute forme de harcèlement à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme et des femmes et en permettant à toutes les organisations de droits humains à agir librement, conformément aux engagements internationaux dont la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et la déclaration sur les Défenseurs des Droits de l’Homme des Nations-Unies .
De renforcer les garanties de l’indépendance de la justice et de la réforme du système judiciaire conformément aux normes internationales sur les conditions d’un procès équitable en favorisant une justice sereine, en mettant fin aux atteintes aux droits de la défense ainsi que la persécution du corps des avocats en tant que tel et d’autoriser les visites des rapporteurs spéciaux de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples que ce soit sur l’indépendance de la justice ou de la torture.
De lever toute les restrictions imposées à la liberté d’expression de communication et d’information .
De garantir la liberté de circulation . On refuse encore aujourd’hui à des Tunisiens le droit de détenir un passeport .
De promouvoir une politique effective de lutte contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes conformément aux dispositions des instruments juridiques internationaux auxquels la Tunisie a souscrit .

Par Souhayr BELHASSEN
Vice -présidente de la L.T.D.H

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