Déclaration générale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes en Afrique du nord et au Moyen orient

12/12/2014
Communiqué
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Nous, organisations féministes et de défense des droits humains de Tunisie, Algérie, Libye et Egypte, réunies dans le cadre d’un séminaire régional sur les bonnes pratiques dans le domaine de la lutte contre la violence à l’égard des femmes, qui s’est tenu à Tunis les 9 et 10 décembre 2014, à l’initiative de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), l’association Beity, la FIDH et le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH), en clôture de la campagne « 16 jours contre la violence faite aux femmes » et en commémoration du 10 décembre, date anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme ;

Après avoir eu des échanges d’expériences et pris connaissance des bonnes pratiques dans le domaine de la lutte contre les violences à l’égard des femmes développées et accumulées par les différentes associations des pays de la région ;

Suite à des discussions approfondies sur les contextes actuels et les transitions que connaît la région sur les plans politique, économique, social et culturel, avec tout ce qu’elles soulèvent comme espoirs de changement et d’évolution mais aussi comme risques et périls, que font notamment peser des courants conservateurs et réactionnaires qui instrumentalisent la religion, menacent les droits des femmes et la marche vers l’égalité, la démocratie et la réalisation pleine et effective des droits humains et de la citoyenneté ;

Nous saluons les efforts accomplis par les femmes et les hommes défenseurs des droits humains en faveur des femmes et celles et ceux qui militent sans relâche, depuis des années, pour l’instauration de l’égalité totale et effective, de la liberté et de la démocratie dans nos pays. Efforts grâce auxquels d’importantes avancées ont été réalisées et de nombreux droits ont été obtenus.

Nous affirmons notre attachement à :

  • considérer les droits des femmes comme faisant partie intégrante des droits humains dans leur universalité ;
  • considérer les différentes formes de violence à l’égard des femmes et des jeunes filles, qu’elles soient pratiquées dans la sphère privée ou publique, en temps de paix ou durant les conflits ou périodes de post-conflit, comme discriminatoires à leur égard, comme des violations de leurs droits humains et de leur dignité, et comme moyen de contrôler leurs corps et d’imposer le contrôle de la société sur elles pour renforcer la domination masculine et maintenir les rapports inégaux entre les deux sexes ;
  • considérer les Etats comme ayant le devoir de combattre la violence faite aux femmes et de mettre en place des politiques, des législations et des mesures visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes et à les protéger, tout en garantissant les moyens financiers nécessaires à leur application ;
  • considérer la lutte contre la violence à l’égard des femmes comme une question d’intérêt public qui nécessite l’engagement des gouvernements, des ONG et de la communauté internationale sans oublier les violences faites aux femmes dans les pays en situation de crise ou de conflit armé pour lesquels il est impératif de prendre des mesures spécifiques afin d’assurer la protection des victimes des violences et de traduire leurs auteurs en justice.

Le séminaire a abouti aux conclusions suivantes :

  • La nécessité de capitaliser et de documenter tout ce que nos organisations ont accumulé en terme de pratiques, de connaissances et d’expériences dans le domaine de la lutte contre les violences à l’égard des femmes afin de pouvoir les échanger et les partager, garantissant ainsi leur conservation dans la mémoire du militantisme et des institutions, et de faire en sorte qu’elles soient adoptées comme méthodes d’intervention des institutions publiques, des organes élus, des acteurs de la société civile et des médias.
  • La nécessité de renforcer les actions solidaires et coopératives entre les différentes associations féministes et de défense des droits humains dans la région, à travers :

• la mise en place d’une charte commune englobant nos principes, nos valeurs et notre approche dans la lutte contre les violences faites aux femmes ;

• la mise en place d’un cadre de référence pour obliger les gouvernements à rendre des comptes concernant leur devoir de lutte contre les violences à l’égard des femmes ;

• la mise en place d’un guide référentiel sur les bonnes pratiques dans le domaine de la lutte contre les violences à l’égard des femmes ;

• la création d’un observatoire régional pour surveiller, collecter et documenter les données et les informations relatives à la lutte contre les violences à l’égard des femmes et faire en sorte qu’elles soient rendues publiques et qu’elles soient exploitées dans des campagnes de lutte pour les droits des femmes ;

• la création d’ un Magistère maghrébin d’études et et de recherches sur les femmes auquel prendront part les associations féministes et les organismes publics compétents ;

• la mise en place d’un protocole spécial pour la formation des intervenants dans le domaine de la lutte contre les violences faites aux femmes dans toutes les institutions concernées, y compris les institutions éducatives, judiciaires, sécuritaires, sanitaires etc ;

• l’élaboration d’ un document comportant 100 mesures à prendre pour lutter contre les violences à l’égard des femmes dans la région.

Sur la base de ces conclusions, nous appelons les États de la région à :

  • Reconnaître la violence à l’égard des femmes en tant que violation grave des droits humains des femmes, à la criminaliser, à punir les responsables et reconnaître les droits des victimes en leur donnant les moyens d’accéder à la justice et d’obtenir leur droit à la réparation et à la réhabilitation ;
  • Ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale qui considère les violences à l’égard des femmes comme un crime de guerre et un crime contre l’humanité. Ratifier le protocole facultatif de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux femmes ainsi que la Convention d’Istanbul et lever les réserves émises par plusieurs Etats sur la CEDAW et ratifier son protocole facultatif pour les Etats qui ne l’ont pas encore fait ;
  • Accélérer l’adoption de lois globales qui garantissent la protection, la dissuasion et la réhabilitation, tout en garantissant leur conformité aux engagements internationaux de nos gouvernements. La rédaction de ces lois doit se conformer aux standards internationaux prévus dans le Manuel de législation de l’ONU sur les violences à l’égard des femmes ;
  • Adopter des politiques publiques comportant des stratégies et des plans d’action, en leur allouant un budget, dans tous les secteurs et domaines impliqués dans la lutte contre les violences à l’égard des femmes ;
  • Faire participer les associations féministes et de défense des droits humains qui bénéficient d’une grande expérience et de beaucoup de connaissances et adoptent une approche globale et des bonnes pratiques dans le domaine de la lutte contre les violences à l’égard des femmes ;
  • Reconnaître la valeur des méthodes et modalités d’action des associations féministes et de défense des droits humains et les adopter dans la lutte contre les violences à l’égard des femmes ;
  • Revoir les programmes scolaires afin d’en éliminer les stéréotypes et propager la culture des droits humains des femmes ;
  • Publier des études, des recherches et des examens périodiques objectifs sur la question de la lutte contre les violences à l’égard des femmes dans chaque pays.

Nous tenons à exprimer encore une fois notre entière solidarité avec les femmes victimes de violence et les défenseurs des droits humains et des droits des femmes dans notre région et dans le monde entier, ainsi que les organisations de la société civile et de défense des droits humains qui subissent toutes formes de restrictions et d’oppression de la part de nos gouvernements, tout en rappelant qu’il ne peut y avoir de démocratie sans respect des droits des femmes, ni de respect des droits des femmes sans démocratie.

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