Tunisie : 10 mesures pour les droits humains

24/10/2014
Communiqué
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À l’approche des élections législatives et présidentielles en Tunisie, la FIDH se joint à Amnesty International, et appelle les candidats à ne pas trahir les espoirs des Tunisien-ne-s et à mettre en œuvre de véritables réformes en matière de droits humains. Les nouveaux élus doivent s’engager au plus vite pour garantir et protéger les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels sans discrimination.

Depuis que des milliers de Tunisiens sont descendus dans la rue lors du soulèvement qui a renversé l’ancien président Zine el Abidine Ben Ali en janvier 2011, les autorités tunisiennes ont lancé une série de réformes, qui ont abouti à l’adoption d’une nouvelle Constitution garantissant de nombreux droits humains. Cependant, beaucoup des atteintes aux droits humains qui ont été à l’origine du soulèvement sont toujours d’actualité.

Pour répondre aux objectifs et aux aspirations de ce soulèvement, les futures autorités tunisiennes doivent s’engager à faire respecter les droits humains et à mettre un terme aux pratiques répressives dans ce domaine.

Amnesty International propose ici 10 engagements que doivent prendre les candidats pour montrer leur attachement aux droits humains.

À L’APPROCHE DES ÉLECTIONS, JE M’ENGAGE À :

1. Mettre un terme à la discrimination et à la violence contre les femmes : les lois qui sont discriminatoires pour quelque motif que ce soit, notamment la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, doivent être abolies conformément aux dispositions de la Constitution, qui garantit la non-discrimination. Il faut adopter de toute urgence une loi exhaustive contre la violence à l’égard des femmes. Les lois, les politiques, les coutumes et les pratiques existantes qui sont discriminatoires à l’égard des femmes doivent être modifiées, notamment les dispositions du Code pénal qui permettent aux hommes accusés de viol ou d’enlèvement d’échapper aux poursuites s’ils épousent leur victime (articles 227 bis et 239). Le viol conjugal doit aussi être érigé explicitement en infraction. Enfin, les policiers, les juges, les avocats et les professionnels de la santé doivent êtres formés à répondre aux victimes de violences sexuelles avec sensibilité, sans discrimination et en toute confidentialité.

2. Combattre la torture et les autres mauvais traitements : l’Autorité nationale de prévention de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants doit être mise en place au plus vite. Toutes les allégations de torture ou d’autres mauvais traitements doivent faire rapidement l’objet d’enquêtes indépendantes et impartiales ; il convient notamment de veiller à ce que toutes les personnes qui formulent de telles allégations soient examinées par un médecin indépendant dans les plus brefs délais. Les enquêtes sur les décès suspects aux mains des forces de sécurité doivent être conformes aux normes internationales, et il faut renforcer les capacités et les compétences en la matière, notamment dans le domaine des sciences médicolégales.

3. Demander des comptes aux forces de sécurité : il faut entreprendre une refonte complète des organes de sécurité. Un organigramme clair des différentes branches des forces de sécurité, faisant clairement apparaître la structure hiérarchique, doit être rendu public. Il convient par ailleurs de mettre en place un système de contrôle afin d’éviter que les personnes que l’on peut raisonnablement soupçonner de graves atteintes aux droits humains ne soient maintenues – ou placées – à des postes où elles pourraient commettre de nouveau ce type de violations. Les autorités doivent aussi créer un organisme de surveillance et un mécanisme indépendant habilité à recevoir les plaintes, afin que les membres des forces de sécurité aient à rendre des comptes pour les violations des droits humains qu’ils commettent.

4. Mettre un terme à l’impunité : toutes les plaintes concernant des violations des droits humains doivent faire sans délai l’objet d’enquêtes efficaces, indépendantes et impartiales. Les auteurs de graves violations doivent être traduits en justice dans le cadre de procès équitables, excluant tout recours à la peine de mort. Les victimes, leur famille, les avocats et les témoins doivent être protégés contre toute forme de harcèlement ou d’intimidation. En outre, les victimes de violations des droits humains doivent, dans les meilleurs délais, recevoir pleinement réparation, notamment sous la forme d’une restitution, d’une réadaptation (comprenant des soins médicaux et une prise en charge psychologique), d’une indemnisation, d’une réhabilitation et de garanties de non-répétition.

5. Garantir l’indépendance de la justice : il convient de garantir et de défendre l’indépendance du système judiciaire, notamment l’inamovibilité des juges. La Tunisie doit établir un Conseil supérieur de la magistrature qui soit libre d’agir en toute indépendance et dont les membres seront choisis de façon transparente, conformément aux Principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l’indépendance de la magistrature. Toute personne privée de liberté ou risquant des poursuites pénales a le droit d’être assistée rapidement d’un avocat, conformément à l’article 29 de la Constitution. Les civils ne doivent plus être jugés par des tribunaux militaires.

6. Défendre le droit à la liberté d’expression : nul ne doit être emprisonné ni soumis à une quelconque autre sanction pénale pour avoir uniquement exercé son droit à la liberté d’expression. Les lois ou les dispositions qui érigent en infraction le droit à la liberté d’expression doivent être abrogées et mises en conformité avec le droit international et les normes internationales. C’est le cas notamment des dispositions du Code pénal et du Code de la justice militaire qui permettent d’emprisonner quelqu’un pour diffamation, ainsi que de celles du Code pénal et du Code des télécommunications qui prévoient des peines de prison pour les atteintes à l’ordre public et à la morale publique ou pour la violation de valeurs sacrées.

7. Protéger le droit à la liberté d’association : il convient de défendre la liberté de créer des partis politiques, des syndicats et des associations, qui figure dans la Constitution. Les règles appliquées aux associations doivent être conformes au décret-loi n° 2011-88 relatif aux associations, y compris en ce qui concerne les infractions présumées. La lutte contre le terrorisme ne doit pas servir de prétexte pour ériger en infraction l’exercice pacifique des droits fondamentaux, tels que le droit à la liberté d’association.

8. Protéger les réfugiés et les demandeurs d’asile : toute personne doit être protégée contre un transfert sous toutes ses formes, directement ou indirectement, vers un pays où elle risque d’être persécutée. Cette protection doit également s’étendre aux personnes qui ne remplissent pas les conditions d’obtention du statut de réfugié mais qui ont besoin d’une protection internationale car elles risquent d’être victimes de violations des droits humains telles que la torture ou la peine de mort, tant dans le pays de transfert que dans un pays tiers vers lequel elles risquent d’être transférées par la suite. Une protection doit aussi être accordée à ceux qui fuient les conflits, conformément à la Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique.

9. Mettre en œuvre les droits économiques, sociaux et culturels : des mesures spécifiques doivent être mises en place pour assurer progressivement le plein exercice des droits économiques, sociaux et culturels, au maximum des ressources dont dispose le pays. Conformément à la Constitution, des réparations effectives doivent être accordées à toutes les victimes de violations de ces droits.

10. Abolir la peine de mort : les autorités tunisiennes doivent protéger le droit à la vie, inscrit dans la Constitution, en prenant les mesures qui s’imposent pour abolir la peine capitale. Par ailleurs, la Tunisie doit soutenir les initiatives régionales et internationales en faveur de cette abolition.

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