Questions-réponses sur la condamnation de Majdi Nema devant la Cour d’assises de Paris

08/04/2025
Dossier
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Riccardo Milani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Le 28 mai 2025 Majdi Nema (Islam Alloush), ancien porte-parole et haut responsable du groupe armé syrien Jaysh al-Islam, a été condamné par les juridictions françaises à dix ans de réclusion criminelle pour pour complicité de crimes de guerre et participation à un groupement formé en vue de la préparation de crimes de guerre.

[Questions-réponses mis à jour le 13 juin 2025.]

Quels sont les faits à l’origine de l’affaire ?

Le 26 juin 2019, en réponse à la demande de justice des victimes, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression (SCM) et la Ligue des droits de l’Homme (LDH) ont déposé une plainte contre Jaysh Al Islam pour les crimes commis en Syrie. Cette action judiciaire a été menée en soutien direct aux demandes des victimes et, depuis, nos organisations accompagnent les victimes et leurs familles dans leur quête de justice.

En novembre 2019, Majdi Nema, alias Islam Alloush, ancien cadre du groupe Jaysh Al Islam, s’est rendu à Marseille (France) pour y suivre une formation. Les autorités françaises ont été informées de sa présence sur le territoire français et ont procédé à son arrestation le 29 janvier 2020.

Majdi Nema a par la suite été mis en examen par le Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris pour crimes de guerre, tortures et disparitions forcées, et complicité de ces crimes. Il a été placé en détention provisoire, où il est resté jusqu’à son procès.

Cette arrestation marquait le début de la première information judiciaire portant sur les crimes commis en Syrie par le groupe rebelle armé. Principalement actif dans la Ghouta orientale, située dans la banlieue est de Damas, Jaysh Al Islam a été régulièrement accusé de commettre des crimes internationaux contre les populations civiles ayant vécu sous son joug à partir de 2013 et jusqu’en 2018.

De nombreux éléments de preuve versés à la procédure ainsi que de nombreux témoins ayant témoigné au cours de l’enquête ont fait état de crimes graves imputables au groupe, tels que le recours systématique à la torture dans les prisons, la pratique d’exécutions extra-judiciaires, de disparitions forcées, la perpétration d’attaques contre la population civile et l’utilisation de celle-ci comme boucliers humains.

En amont du procès, les juges d’instruction et la Cour d’appel de Paris ont également estimé que le groupe était responsable de la disparition forcée de de Razan Zaitouneh, avocate des droits humains, co-fondatrice des comités locaux de coordination (LCC) et membre de SCM, de Wael Hamada, défenseur des droits humains et de leurs collègues Samira Al-Khalil, activiste politique, et Nazem Al Hammadi, avocat des droits humains. Tous ont été kidnappés en décembre 2013 alors qu’il se trouvaient dans les bureaux conjoints du Violations Documentation Center (VDC) et du Local Development and Small Projects Support (LDSPS) à Douma (Syrie).

Quelles sont les infractions pour lesquelles Majdi Nema a été jugé ?

Majdi Nema a été porte-parole du groupe Jaysh Al Islam au moins entre 2013 et 2016, alors que le groupe rebelle sévissait dans la région de la Ghouta orientale, qu’il occupait, et notamment dans la ville de Douma. Au cours de cette même période, il a également endossé des rôles multiples au sein du groupe, exerçant des fonctions de conseiller politique et diplomatique, de spécialiste des affaires militaires et de renseignement, ainsi que de superviseur de camps militaires. Il était également un membre central du Toran Centre, une entité qui serait détenue et gérée par Jaysh Al Islam.

En janvier 2020, Majdi Nema a été mis en examen des faits de complicité d’atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité physique ou psychique, enlèvements et séquestration, lancement d’attaques délibérées contre la population civile et conscription de mineurs constitutifs de crimes de guerre, tortures, ainsi que complicité de tortures et disparitions forcées, et participation à une entente ou à un groupement formé en vue de la préparation de crimes de guerre.

En juillet 2023, les juges d’instruction du Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris, en charge du dossier, ont ordonné la mise en accusation de Majdi Nema devant la Cour d’assises de Paris pour ces mêmes faits.

La défense a fait appel de cette décision.

Le 20 novembre 2023, la Chambre de l’instruction a confirmé l’existence de charges suffisantes à l’encontre de Majdi Nema s’agissant de son implication dans les crimes de conscription de mineurs et de participation à une entente ou à un groupement formé en vue de la préparation de crimes de guerre.

Cependant, sans remettre en cause la responsabilité de Jaysh al-Islam dans la commission de ces crimes, les juges ont écarté les trois autres infractions pour lesquelles Majdi Nema était mis en accusation, à savoir la complicité de disparitions forcées d’une part, et d’attaques délibérées contre les populations civiles, d’atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité physique et d’enlèvements et de séquestrations constitutifs de crimes de guerre d’autre part.

En particulier, s’agissant des disparitions forcées, notamment celles dont ont été victimes Razan Zaitouneh, Wael Hamada, Samira Al-Khalil et Nazem Al Hammadi, la Chambre de l’instruction a indiqué « qu’il résulte effectivement de l’information et des nombreux témoignages recueillis que Jaysh al-Islam doit être considéré comme responsable de la disparition des quatre militants ». Les juges ont toutefois estimé que le critère d’agent de l’État ou d’individu agissant avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, au sens de la Convention des Nations unies contre les disparitions forcées, dont est issue la définition de l’infraction en droit français, n’était pas rempli s’agissant du groupe Jaysh al-Islam.

Du 29 avril au 28 mai 2025, Majdi Nema a donc été jugé par la Cour d’assises de Paris (France) pour complicité de conscription de mineurs constitutive de crimes de guerre et pour participation à un groupement formé en vue de la préparation de crimes de guerre.

Les parties civiles au procès comprenaient trois victimes syriennes, aux côtés des trois organisations.

Quelle a été la décision de la Cour ?

La Cour d’assises de Paris a déclaré Majdi Nema coupable du crime de guerre de conscription de mineurs âgés de 15 à 18 ans, ainsi que du délit de participation à un groupement formé en vue de la préparation de crimes de guerre, à savoir des atteintes volontaires à la vie, des atteintes volontaires à l’intégrité physique ou psychique, la conscription ou l’enrôlement de mineurs, des enlèvements et séquestrations - y compris ceux des quatre défenseurs des droits humains Razan Zaitouneh, Wael Hamada, Samira Al-Khalil et Nazem Al Hammadi - ainsi que des traitements humiliants et dégradants, et des condamnations et exécutions sommaires.

Il a été condamné à dix ans de réclusion criminelle.

Pourquoi cette décision est-elle importante ?

Il s’agit d’une décision historique car c’est la première fois que les juridictions françaises rendent une décision sur le fondement de la compétence universelle pour des crimes commis en Syrie.

C’est également la première condamnation, en France, pour des faits de complicité de conscription de mineurs constitutive de crime de guerre et de participation à un groupement formé en vue de la préparation des crimes de guerre.

D’un point de vue juridique, cette décision a deux apports majeurs :

1. Elle reconnaît que, compte tenu de la situation économique catastrophique dans laquelle se trouvaient de nombreux jeunes de la Ghouta orientale à l’époque, ces derniers n’avaient pas de véritables alternatives, si ce n’est de rejoindre le groupe en échange d’argent ou de biens, ce qui signifie que leur enrôlement au sein de Jaysh Al-Islam ne peut être considéré comme volontaire.

2. Elle établit que Majdi Nema s’est rendu complice, par aide ou assistance, du recrutement de mineurs dans le groupe, notamment en supervisant des entrainements militaires auxquels des mineurs participaient, et, en tant que haut-responsable de Jaysh Al-Islam, en participant au développement des activités de propagande du groupe.

Pour quelles raisons l’affaire a été instruite en France et non pas en Syrie ou devant la Cour pénale internationale ?

Malgré la gravité et l’ampleur des crimes perpétrés en Syrie depuis la répression brutale qui a suivi le soulèvement de mars 2011 et engendré un conflit de plus de treize ans, l’accès à la justice et à des réparations pour les victimes et leur famille a pendant longtemps été limité.

La Syrie n’ayant pas ratifié le Statut de la Cour pénale internationale (CPI) et malgré plusieurs tentatives du Conseil de sécurité des Nations unies pour obtenir une résolution visant à renvoyer la situation devant la CPI, les vetos répétés de la Russie et de la Chine ont rendu impossible l’ouverture d’une enquête par la CPI.

Devant l’impossibilité d’accéder à la CPI, et en l’absence de réelle perspective de justice en Syrie, les victimes se sont tournées vers d’autres pays – comme l’Allemagne, la Suède, la France et l’Espagne – pour enquêter sur des affaires pour lesquelles s’applique le mécanisme de compétence dite extraterritoriale ou universelle. Depuis 2012, des avocats, activistes et organisations de défense des droits humains syriennes, ainsi que des organisations internationales de défense des droits humains, ont intenté des actions dans ces pays dans le but d’ouvrir des enquêtes sur des actes de torture, de crimes contre l’humanité et/ou de crimes de guerre.

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