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Trois anciens militaires syriens arrêtés en France et en Allemagne

Des responsables du régime de Bachar al-Assad pourraient pour la première fois avoir à répondre des tortures et autres crimes perpétrés dans les prisons syriennes.
par Hala Kodmani
publié le 14 février 2019 à 21h06

Des poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre des membres du régime syrien pourraient être engagées pour la première fois en Europe. Trois anciens officiers des services de sécurité de Bachar al-Assad, soupçonnés d’avoir participé aux actes de torture pratiqués dans les prisons syriennes, ont été arrêtés mardi, l’un en France et les deux autres en Allemagne. Ils avaient tous les trois le statut de réfugié depuis 2013.

Ces arrestations sont l'aboutissement d'une enquête préliminaire ouverte conjointement au début de l'année 2018 par les justices allemande et française. Les enquêteurs des deux pays ont créé une équipe commune sur les crimes du régime d'Al-Assad documentés dans le rapport César. Ce dernier est le pseudonyme d'un ancien photographe de la police militaire syrienne, exfiltré en 2013 avec les clichés effroyables de dizaines de milliers de corps torturés et suppliciés jusqu'à la mort dans les prisons du régime syrien entre 2011 et 2013. L'enquête française, qui vise des actes commis en Syrie entre mars 2011 et 2013, est directement liée à l'enquête dite «César», ouverte en septembre 2015, selon le parquet de Paris. Les enquêteurs ont pu s'appuyer sur les témoignages de victimes réfugiées en Europe.

Check-points. Les arrestations «ont été rendues possibles grâce au courage et à la mobilisation d'activistes syriens et de victimes syriennes. Depuis 2011, ils soumettent leur témoignage et leur travail de documentation des graves crimes commis par le régime devant les justices européennes», souligne la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), ONG basée à Paris qui a annoncé se constituer partie civile dans l'information judiciaire ouverte en France.

L’identité de l’homme de 30 ans, appréhendé en région parisienne et placé en garde à vue, n’a pas été révélée par le parquet. En revanche, les noms des deux suspects syriens d’abord présentés par la justice allemande comme Anwar R., 56 ans, et Iyad A., 42 ans, ont très vite été précisés par les opposants syriens. Ainsi le colonel Anwar Raslan, qui dirigeait à Damas le service enquête dans la «branche intérieure» dépendant des renseignements généraux, dite «sécurité de l’Etat». Il avait sous ses ordres Iyad Al-Gharib, le deuxième prévenu, qui opérait sur des check-points pour arrêter les manifestants anti-régime. Il aurait agressé physiquement environ 2 000 personnes entre juillet 2011 et janvier 2012, selon un site d’information de l’opposition syrienne, et causé la mort sous la torture d’au moins deux prisonniers, selon la presse allemande.

Le cas du colonel Raslan suscite la polémique dans les milieux de l'opposition syrienne, qu'il avait rejoints. L'officier avait en effet fait défection à la fin de l'année 2012 en quittant ses fonctions et la Syrie. «Mais il n'avait jamais révélé son rôle dans l'appareil de répression et de torture du régime», souligne Mazen Darwish, président du Syrian Center for Media and Freedom of Expression (SCM). Cette organisation syrienne participe aux enquêtes menées dans six pays européens sur les crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis en Syrie. «Notre contribution essentielle auprès des organisations européennes qui suivent ces dossiers est de documenter les faits en Syrie et de récolter les témoignages des victimes syriennes pour identifier leurs auteurs», précise Mazen Darwish. Le militant, lui-même incarcéré pendant près de trois ans dans les geôles du régime de Damas, signale que nombre de criminels de guerre syriens se trouvent en Europe, avec le statut de réfugié, parfois sous de fausses identités. Des membres du régime mais aussi des anciens de l'Etat islamique. «Ce n'est que le début des poursuites et le processus est long, mais l'important c'est qu'il n'y a pas prescription pour les crimes de guerre», rappelle Mazen Darwish.

«Espoir». «Les arrestations de certaines des personnes impliquées sont importantes, mais ça ne veut pas dire que c'est la fin de l'affaire», confirme Wolfgang Kaleck, du Centre européen pour les droits humains et constitutionnels à Berlin à propos des interpellations de ces derniers jours. «C'est l'un des crimes contre l'humanité les plus graves de ces cent dernières années», affirme-t-il à propos des pratiques du régime syrien. L'organisation allemande participe avec la FIDH et le SCM de Mazen Darwish aux enquêtes en Europe. Pour des crimes commis par des Syriens contre des Syriens en Syrie, les procédures engagées sont dites de «compétence universelle». Celles-ci «restent pour l'instant le seul espoir de justice pour les centaines de milliers de victimes des crimes commis en Syrie. La perspective d'une saisine de la Cour pénale internationale reste bloquée en raison des veto russes et chinois au Conseil de Sécurité de l'ONU», fait valoir la FIDH.

«C'est mon plus beau jour depuis le début de la révolution», s'est réjoui sur son compte Facebook Hussein Ghrer, journaliste opposant syrien réfugié en Allemagne.  «L'arrestation des deux criminels est un petit pas vers la justice et un moment grandiose car c'est la première fois que des criminels de guerre syriens sont arrêtés», ajoute l'opposant.

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