Procès inéquitable des 12 membres du Conseil national de la Déclaration de Damas pour le Changement national et démocratique (CNDD).

17/09/2008
Communiqué

Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (un programme conjoint entre la Fédération internationale des droits de l’Homme et l’Organisation mondiale contre la torture), Human Rights Watch et Human Rights First expriment leur profonde préoccupation concernant la détention arbitraire et le procès inéquitable en Syrie des 12 membres du Conseil national de la Déclaration de Damas pour le Changement national et démocratique. Les organisations signataires enjoignent aux autorités syriennes de stopper le procès et de libérer immédiatement et sans condition les 12 activistes politiques et des droits de l’Homme.

Dr. Ahmad Tohme, M. Jaber al-Shoufi, M. Akram al Bunni, Dr. Fida al-Hurani, M. Ali al-Abdullah, Dr. Walid al-Bunni, Dr. Yasser Tayser Aleiti, M. Fayez Sarah, M. Mohammed Haj Darwish, M. Riad Seif, M. Talal Abu Dan et M. Marwan al-Esh sont tous membres du Conseil national de la Déclaration de Damas pour le Changement national et démocratique (CNDD), un mouvement collectif d’opposition et pro-démocratie qui regroupe plus de 160 activistes politiques, défenseurs de droits de l’Homme, intellectuels et artistes syriens.

Le CNDD a été fondé le 1er décembre 2007 en tant qu’organe de suivi de la Déclaration de Damas pour le Changement national et démocratique du 16 octobre 2005. La répression s’est abattue sur le CNDD après que celui-ci a publié les Conclusions du Conseil national. À partir du 9 décembre 2007, 40 de ses membres ont été arrêtés par les services secrets de la Sécurité d’État syrienne et placés en détention. Parmi ces 40 personnes, 12 sont encore en détention.

Le 28 janvier 2008, les 12 activistes ont été présentés devant un juge d’instruction en vertu de différents chefs d’inculpation tirés des articles 285 (« affaiblissement du sentiment national »), 286 (« diffusion d’informations connues comme fausses ou de nature à affaiblir le sentiment national »), 306 (« appartenance à une ‘adhésion à une « organisation créée en vue de modifier la situation financière ou sociale de l’État’ ») et 307 (« toute action, discours ou écrit incitant au sectarisme ou encourageant les luttes sectaires ») du Code pénal syrien. Le 26 août 2008, les chefs d’inculpation ont été confirmés par le procureur général lors d’une audience où les défendeurs ont rejeté l’ensemble des accusations et souligné que la Déclaration de Damas avait pour objectif d’initier un débat sur la question du processus de réforme démocratique et pacifique en Syrie.

Les avocats de la défense plaideront lors de la prochaine audience du Tribunal correctionnel de première instance de Damas, fixée au 24 septembre 2008. Le jugement est prévu quelques semaines plus tard. Les 12 défendeurs risquent jusqu’à 15 années d’emprisonnement.

Les organisations cosignataires rappellent que les 12 activistes politiques et des droits de l’Homme n’ont rien fait d’autre en signant la Déclaration de Damas et participant à la création du Conseil national de la Déclaration de Damas pour le Changement national et démocratique qu’exercer pacifiquement leurs droits fondamentaux tels que garantis par la Constitution syrienne et le droit international. Entre autres dispositions, l’article 38 de la Constitution syrienne énonce que « tout citoyen a le droit d’exprimer ses opinions publiquement et librement, en paroles, par écrit et par toute autre forme d’expression ». Le procès en cours devant le Tribunal correctionnel de première instance de Damas constitue une violation desdites garanties constitutionnelles.

Les organisations cosignataires craignent également que les 12 défendeurs ne puissent jouir de leur droit à un procès équitable. Les dispositions du Code pénal syrien sont en effet rédigées de manière imprécise et générale et sont utilisées par les autorités pour réprimer les dissidents pacifiques et les activistes des droits de l’Homme. Par ailleurs, elles s’inquiètent du fait que les défendeurs ont été ou seront soumis à des mauvais traitements durant leur détention. Bien que huit des défendeurs se soient plaints auprès du juge d’instruction d’avoir été frappés lors des interrogatoires et contraints de signer de faux aveux, aucune enquête indépendante n’a été diligentée suite à ces affirmations ; il est en outre probable que les aveux obtenus sous la contrainte seront utilisés contre eux lors du procès. Plus généralement, la subordination des juges et procureurs syriens au pouvoir exécutif et le manque d’indépendance du système judiciaire dans son ensemble laissent peu d’espoir quant à la possibilité de mener un procès équitable et respectueux des normes internationales.

Les organisations signataires sont enfin extrêmement inquiètes de l’état de santé de plusieurs des défendeurs auxquels l’accès aux soins est refusé : M. Riad Seif, secrétaire général du CNDD, s’est ainsi vu refuser le traitement médical que nécessite un cancer de la prostate ; Dr. Fidaa al-Horani, présidente du CNDD, ne peut recevoir le soins médicaux justifiés par ses problèmes cardiaques ; M. Ali Abdallah, journaliste indépendant, aurait perdu une partie de son audition à l’oreille gauche à la suite des coups reçus lors de son interrogatoire. Le 28 janvier 2008, il a été examiné par un médecin qui n’a pas voulu établir de constat. Aucun traitement médical ne lui a été dispensé depuis cette date. De plus, pour avoir refusé de se lever lors d’une altercation avec un gardien, M. Ali Abdallah a été transféré il y a plus de deux mois dans l’aile disciplinaire de la prison d’Adra où il est soumis à des conditions de detention beaucoup plus dures.

En conséquence, les organisations cosignataires enjoignent aux autorités syriennes de :

* Abandonner les chefs d’inculpation et mettre fin au procès du Tribunal correctionnel de première instance de Damas à l’encontre de Dr. Ahmad Tohme, M. Jaber al-Shoufi, M. Akram al-Bunni, Dr. Fida al-Hurani, M. Ali al-Abdullah, Dr. Walid Bunni, Dr. Yasser Tayser Aleiti, M. Fayez Sarah, M. Mohammed Haj Darwish, M. Riad Seif, M. Talal Abu Dan et M. Marwan al-Esh et les libérer immédiatement et sans condition ;

* Jusqu’à leur remise en liberté, garantir et protéger l’intégrité physique et psychologique des 12 défendeurs en conformité avec l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations unies et s’assurer qu’une enquête appropriée, indépendante et rapide soit mise en œuvre suite à leur plainte pour mauvais traitements et obtention d’aveux sous la contrainte ;

* Dans l’hypothèse où les chefs d’inculpation seraient maintenus, garantir le droit des défendeurs à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial en conformité avec les engagements pris par la Syrie, notamment l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations unies (1948) et les articles 14.1 à 14.5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies (1966), et s’assurer de la conformité de la procédure avec les normes et principes adoptés par les Nations unies, notamment les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature (1985) et les Principes directeurs applicables au rôle des magistrats du parquet (1990).

Par ailleurs, les organisations cosignataires enjoignent aux autorités syriennes de :

* Respecter leurs obligations relatives aux droits de l’Homme telles qu’elles résultent de la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations unies, telles qu’énoncées dans les instruments internationaux ratifiés par la Syrie, en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et telles que garanties par la Constitution syrienne ; en conséquence, pleinement respecter et protéger le droit de tous les citoyens à jouir notamment des libertés d’expression et d’association et du droit de se réunir pacifiquement ;

* Respecter les dispositions de la Déclaration sur les Défenseurs des droits de l’Homme des Nations unies (1988), particulièrement ses articles 1 (« Chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international ») et 5 (« Afin de promouvoir et protéger les droits de l’Homme et les libertés fondamentales, chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, aux niveaux national et international a) De se réunir et de se rassembler pacifiquement ; b) De former des organisations, associations ou groupes non gouvernementaux, de s’y affilier et participer ; c) De communiquer avec des organisations non gouvernementales ou intergouvernementales »).

* En conséquence, cesser toute mesure de harcèlement, intimidation, menace et attaques délibérées – notamment par voie judicaire – contre les défenseurs des droits de l’Homme en Syrie et remettre en liberté, immédiatement et sans condition, tous ceux qui sont actuellement détenus.

* Abolir l’état d’urgence, révoquer la Loi sur l’état d’urgence et amender toutes les lois qui criminalisent l’exercice des libertés d’expression et d’association de sorte que la Syrie soit en conformité avec ses engagements en matière de droits de l’Homme ;

* Garantir à tous les citoyens l’accès effectif à la justice et au droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial.

Les organisations cosignataires demandent également aux institutions de l’Union européennes de :

* Faire part aux autorités syriennes, à leurs plus hauts niveaux, de leur forte désapprobation du procès fait aux 12 activistes politiques et des droits de l’Homme ; et leur demander d’y mettre fin et de libérer immédiatement et sans condition les 12 défendeurs ;

Plus généralement,

* Conditionner tout progrès supplémentaire dans leurs relations avec la Syrie, et notamment l’entrée en vigueur de l’Accord d’association conclu le 17 décembre 2004, à des améliorations réelles et durables de la situation des droits de l’Homme dans le pays ainsi qu’à des engagements concrets et mesurables du gouvernement syrien à améliorer sa politique dans ce domaine ;

· Se conformer à leurs propres obligations en matière de droits de l’Homme dans leurs relations avec la Syrie en rappelant que selon l’article 6 du Traité sur l’Union européenne : « L’Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit (…) » et que toutes les politiques et actions entreprises par les institutions de l’Union européenne doivent être fondées sur ces principes ;

· Respecter, dans le cadre de ses relations avec la Syrie, les dispositions des Lignes directrices de l’Union européenne sur les défenseurs des droits d’Homme.

Enfin, les organisations cosignataires demandent aux États membres de l’Union européenne de :

* Faire part aux autorités syriennes, à leurs plus hauts niveaux, de leur forte désapprobation du procès fait aux 12 activistes politiques et des droits de l’Homme en leur demandant d’y mettre fin et de libérer immédiatement et sans condition les 12 défendeurs ;

Plus généralement,

* Conditionner tout progrès dans leurs relations bilatérales avec la Syrie à des améliorations réelles et durables de la situation des droits de l’Homme dans le pays ainsi qu’à des engagements concrets et mesurables du gouvernement syrien à améliorer encore sa politique dans ce domaine ;

* Établir et maintenir des contacts avec les défenseurs des droits de l’Homme en danger en Syrie de manière à documenter les violations des droits de l’Homme et à fournir un soutien lorsque cela est nécessaire.

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