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Maroc : l’affligeante complicité de Paris

Légion d’honneur au chef du contre-espionnage marocain, amendement de la convention d’entraide pénale... A Rabat, la France s’est reniée et déshonorée, considère Patrick Baudouin, le président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’homme.

Publié le 02 mars 2015 à 13h56, modifié le 19 août 2019 à 13h17 Temps de Lecture 3 min.

Le ministre français de l'intérieur Bernard Cazeneuve  rend visite au Maroc, après une année de brouille diplomatique entre les deux pays et la suspension de la coopération judiciaire.

La France est-elle dans les actes aussi vertueuse que dans les discours lorsqu’il s’agit de lutte contre la torture, de poursuite de crimes contre l’humanité, de défense de la liberté d’expression ? La réponse est hélas négative à l’aune des récentes péripéties des relations franco-marocaines.

A la suite de plusieurs plaintes pour torture déposées en France, le patron de la Direction générale de la surveillance du territoire marocain, Abdellatif Hammouchi, s’était vu notifier lors d’un passage à Paris, en février 2014, une demande d’audition de la justice française. Pareille audace, incompréhensible pour un Etat où la magistrature n’a nulle indépendance par rapport au pouvoir politique, a suscité une réaction courroucée de Rabat qui s’est traduite par une suspension des coopérations judiciaire et sécuritaire.

Si la France a cherché à mettre un terme à cette situation préjudiciable, elle aurait pu éviter de le faire au prix d’un deal honteux. C’est ainsi que le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, en visite au Maroc à la mi-février, a solennellement annoncé que M. Hammouchi, celui-là même qui est poursuivi pour torture, allait se voir remettre les insignes d’officier de la Légion d’honneur.

Sans aucun souci d’un minimum de décence, et pas davantage d’une élémentaire prudence, Paris n’a pas craint d’accomplir un geste déshonorant en décernant une décoration, méritant d’être réservée à des personnalités irréprochables, au chef des services de sécurité d’un pays pour lequel le recours à la torture est dénoncé par des organisations de défense des droits de l’homme. En termes de symbole, politique, judiciaire, moral, le message est désastreux.

Prime à l’impunité

Plus grave encore, afin d’éviter à l’avenir tout risque de désagrément pour des responsables marocains soupçonnés de torture, de passage sur le territoire français, il a été prévu en catimini d’amender la convention franco-marocaine d’entraide pénale. Désormais, toute plainte pénale visant un Marocain se trouvant en France sera aussitôt transférée à ce pays pour qu’il exerce sa compétence.

Cela signifie par exemple dans le cas de M. Hammouchi, que, même pour une plainte déposée par un citoyen français, la justice française serait dessaisie, avec les suites qu’on imagine, au vu de la protection dont bénéficient les présumés tortionnaires au Maroc.

Autrement dit, c’est une prime donnée à l’impunité. Alors que, selon le droit applicable, la France a l’obligation de poursuivre, arrêter et juger toute personne suspectée d’actes de torture se trouvant sur son territoire, un tel précédent serait d’autant plus dangereux que d’autres pays que le Maroc ne manqueront pas alors de formuler les mêmes exigences. Cet abandon de fait de la notion de justice universelle ne sera rien d’autre qu’un signal de bienvenue pour tous bourreaux et autres tortionnaires.

La France s’est aussi déshonorée en abandonnant à leur sort les deux journalistes français qui ont été interpellés au Maroc puis expulsés à leurs frais. En présence de cette atteinte caractérisée à la liberté de la presse, aucune voie officielle n’a jugé bon de protester ou de s’indigner, là encore pour ne pas heurter la susceptibilité du grand ami marocain. Qui aurait pu penser que le gouvernement opère un tel reniement, peu après avoir rassemblé le monde entier autour de la défense des libertés d’expression ?

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Un tel signal de complaisance donné aux censeurs et bourreaux ne peut que discréditer la parole de la France. Ni la logique du business ni les impératifs sécuritaires ne doivent conduire à céder au chantage pour en arriver à trahir les valeurs universelles que la France devrait défendre et promouvoir sans relâche. Il ne suffit pas d’exceller dans l’art des belles envolées lyriques sur les droits et libertés, encore faut-il pour convaincre se montrer exemplaire dans leur mise en œuvre.

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