Loi marocaine contre les violences faites aux femmes : quand la montagne accouche d’une souris

La loi marocaine contre les violences à l’égard des femmes, adoptée le 14 février dernier, est une réforme ‘cosmétique’ conservatrice, insuffisante pour combattre le fléau des violences faites aux femmes et qui constitue une occasion manquée de protéger pleinement les droits des Marocaines. Malgré des années de discussions, nos organisations dénoncent l’absence de consultation réelle de la société civile et le défaut de prise en compte de la plupart de leurs recommandations, notamment concernant la pénalisation du viol conjugal.

Le 14 février 2018, le parlement marocain a définitivement adopté le projet de loi contre les violences à l’égard des femmes, promis depuis 2006 et en négociation depuis cinq ans. Ce texte lacunaire se borne à réformer certains articles du Code pénal datant de l’indépendance qui, fondé sur la discrimination, porte atteinte à la dignité humaine des femmes et continue de pénaliser les relations sexuelles hors mariage et l’avortement. Les organisations de défense des droits humains et féministes, dont les 25 associations de la Coalition « Printemps de la dignité », faisaient campagne depuis des années pour le retrait de ce projet de loi considéré comme insuffisant, tout en menant parallèlement un plaidoyer pour une véritable loi intégrale conforme aux normes internationales des droits Humains en matière de lutte contre la violence basée sur le genre et reflétant les revendications de la société civile en charge de ces questions ainsi que celles émises en 2016 par le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) [1]. À plusieurs reprises, les organisations de la société civile ont dénoncé les failles du processus de consultation par les autorités, l’absence de prise en compte de leurs préoccupations, le manque d’approche globale dans la stratégie de lutte contre les violences faites aux femmes, et le caractère expéditif de la fin du processus législatif.

Ces défaillances dans le processus d’adoption ont eu des conséquences inévitables sur le contenu de la loi. Le texte ne prend pas en compte les standards internationaux relatifs à la définition des violences à l’égard des femmes et n’est pas conforme aux engagements internationaux pris par le Maroc sur l’égalité de genre. Il se réfère à des concepts conservateurs tels que l’ « atteinte à la pudeur publique » ou à la « morale ».
L’une des lacunes les plus graves concerne l’absence de pénalisation du viol conjugal. La loi réprime les mariages précoces, mais permet en même temps aux juges de délivrer des exemptions et allonge le délai de cinq à dix ans pour la régularisation de mariages informels (qui sont souvent des mariages coutumiers avec des mineures). De plus, cette loi prévoit l’ajout de trois nouveaux articles dans le Code pénal (Articles 481-1, 503-2-1 et 526-1), qui permettraient l’abandon et l’annulation de toutes poursuites judiciaires si la victime en exprime le souhait. De telles dispositions seraient susceptibles d’augmenter les risques pour la victime, qui pourrait alors subir des pressions ou des formes de chantage la poussant à demander l’abandon des charges. [2]

« Cette loi est très décevante. Non seulement certaines formes de violences, comme les violences psychologiques, économiques, politiques, administratives, ne sont pas prises en compte, mais les peines prévues pour certaines infractions comme le harcèlement sexuel ou le mariage précoce sont trop faibles pour avoir un réel caractère dissuasif. »

Ahmed el Haij, Président de l’AMDH

Enfin, la loi limite la capacité des associations à se constituer parties civiles dans les affaires de violences. Cette possibilité n’est ouverte qu’avec l’autorisation de la victime, qui peut par exemple se trouver dans l’incapacité physique ou mentale de donner cette autorisation, ou être l’objet de pressions de son entourage.

« Le Maroc n’est pas à la hauteur de la situation dramatique des violences faites aux femmes dans le pays. Nous sommes bien en deçà de la loi intégrale obtenue par les féministes tunisiennes l’été dernier, qui est bien plus complète, cohérente et ambitieuse. »

Saida Drissi Amrani, présidente de l'ADFM

Nos organisations restent mobilisées en faveur de l’adoption d’une véritable loi intégrale de lutte contre les violences faites aux femmes. Une telle loi devrait :

  • être basée sur une approche globale de la violence à l’égard des femmes dans l’espace public et l’espace privé ;
  • fournir une définition complète de toutes les formes de violences conformément aux standards internationaux ;
  • aborder à la fois la prévention des violences – y-compris la sensibilisation de l’ensemble des acteurs concernés-, le soutien aux victimes, et garantir leur accès à la justice et à des réparations ;
  • définir clairement les responsabilités des différents organes de l’État concernant la mise en œuvre des dispositions de la loi ;
  • et prévoir l’octroi de moyens financiers suffisants pour garantir une application effective de la loi.
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