DISCOURS DE KHEMA

26/03/2004
Rapport

Mesdames, Messieurs, Cher(e)s ami(e)s,

Il y a près de dix-huit mois, la FIDH et les trois associations membres du Comité de suivi (l’OMDH, l’AMDH et le Forum pour la Vérité et la Justice) signaient une convention de partenariat, à Kalaat Magouna même, ville qui avait abrité le tristement célèbre centre de détention secrète.

Cette convention prévoyait notamment l’organisation d’un séminaire international sur la justice transitionnelle et la mise sur pied d’un programme de travail sur l’histoire des violations graves des droits de l’Homme.
Notre intuition commune était alors que tôt ou tard, une commission marocaine pour la vérité verrait lejour sous une forme ou une autre, et que la société civile marocaine devait se préparer à une telle perspective.

Engagés par ailleurs aux côtés des familles de disparus en Algérie, en Turquie ou au Liban, nous avions aussi le pressentissement que tout pas accompli au Maroc aurait directement ou indirectement des répercussions sur toute la région. Ce fut d’ailleurs le sens de la première rencontre euro-méditerranéenne des familles de disparus que nous avions organisé à Paris et à laquelle avaient participé plus de quarante représentants de près d’une dizaine de pays. Je vois d’ailleurs dans la salle les visages de plusieurs ami(e)s qui avaient participé à cette rencontre.

Nous pensions aussi dès cette époque que le Maroc, société comme Etat auraient besoin s’ils souhaitaient réussir leur propre expérience de l’ensemble du patrimoine et de l’expertise internationale en la matière. Non pour la dupliquer évidemment, mais pour éclairer leur propre cheminement.

Aujourd’hui, notre séminaire se tient alors que l’Instance Equité et réconciliation a été installée depuis bientôt trois mois. Sa création a suscité des débats portant notamment sur son mandat, mais elle a aussi suscité d’énormes espoirs : un nouveau pas a été franchi dans le long combat des victimes des violations graves des droits de l’’Homme et une nouvelle dynamique est lancée.

Disons d’abord d’un mot que quelles que soient les réserves des uns ou des autrres, la création de cette commission n’aurait pas été possible sans le combat entamé il y a des décennies par les victimes directes et leurs familles, ainsi que par les associations marocaines de défense des droits de l’Homme et l’ensemble des forces démocratiques du pays. Symboliquement, la présence dans cette salle aujourd’hui de nombreuses anciennes victimes et la présence parmi les membres de l’Instance d’autres victimes et de nombreux défenseurs des droits de l’Homme en porte témoiognage.

Mais il s’agit aussi d’un défi.

La question centrale qui nous est posée à tous, d’abord aux Marocains et aux Marocaines puis aux ONG internationales est de saisir l’opportunité de la création de l’Instance pour avancer au maximum dans la satisfaction des revendications de vérité et de justice des victimes, et dans l’aspiration du peuple marocain à une société débarassée effectivement des spectres de la disparition, de la torture, de <la détention arbitraire et de l’impunité.

Il revient aux forces marocaines de dire comment le faire. Il y a néanmoins quatre conditions qui nous semblent incontournables.

 1) La proximité avec les victimes, leur écoute permanente, le respect de leur volonté. Des milliers et des milliers de victimes se sont manifestées auprès de l’Instance. Rien n’est possible sans elles. Il nous revient nous semble-t-il de permettre leur rassemblement, de les aider au maximum à débattre de manière pluraliste, de les accompagner.

 2) La définition d’un partenariat actif et raisonné avec la Commission elle même, à partir des mandats et des compétences, bien évidemment différentes de l’Instance et des associations de droits de l’Homme. C’est le sens des communiqués des trois associations publiées tout juste après l’adoption de la résolution du CCDH et du mémorandum conjoint adressé par le Comité de suivi à l’Instance il y a quelques semaines. Il s’agit aujourd’hui de donner une impulsion réelle à ce partenariat. Je voudrais à ce propos réaffirmer aux membres de l’Instance Equité et réconciliation ici présents et à son président, mon ami Driss Benzekri, notre confiance et la disponibilité de la FIDH pour contribuer autant que nous le pouvons à la réussite de leur mission.

 3) La mobilisation de l’ensemble de la société. Un processus de ce genre n’a de sens que si l’ensemble des acteurs s’y impliquent et y participent de manière active, prennent sans attendre des initiatives, à partir de leurs champ de compétence et leurs mandats respectifs. Il y a à cet égard plusieurs signaux positifs. Des acteurs politiques ont exprimé leur soutien à la démarche et certains ont même saisi l’Instance. Des journaux ont ouvert leurs colonnes aux victimes ; le Centre de documentation et d’information sur les droits de l’Homme a organisé des séminaires et a déjà publié plusieurs doicuments de référence ; des universitaires ont commencé à mettre en place des cursus académiques sur des sujets comme par exemple les écrits de prison ; De jeunes cinéastes ont élaboré des scénarios de documentaires pour accompagner tout le processus. Il s’agit de renforcer et d’encourager toutes ces initiatives.

Il faut enfin regarder au dela des frontières du Maroc. L’expérience marocaine doit s’inspirer des expériences internationales et les inspirer en retour.

L’implication active de nos amis du Centre international de justice transitionnelle, dont c’est le quatrième déplacement au Maroc est de ce point de vue essentiel. Leur expertise en ce domaine est incontestable. Nous savons qu’ils suivent l’évolution au Maroc sur cette question depuis très longtemps, avant même la création de l’Instance. Je crois savoir que leur disponibilité est entière. A nous d’en tirer, avec leur complicité, le meilleur profit.

Mais et vous le savez, il y a dans le monde et dans la région d’autres victimes qui poursuivent la même quête de la vérité et la justice. Leur combat dépend, même si c’est en partie, des résultats de cette expérience inédite dans la région. Il y a avec nous aujourd’hui des représentants des familles et des associations des droits de l’Homme de Tunisie, d’Algérie et du Liban. Je sais que plusieurs défenseurs irakiens des droits de l’Homme auraient aimé participé à vos débats.

Nous avons tenu à ce nos ami(e)s de la région soient présents dès ce moment afin de suivre l’expérience marocaine dès son démarrage. Mais nous avons la ferme volonté de multiplier, avec le concours du CIJT, ces échanges et ces rencontres régionales.

Mesdames, Messieurs, Cher(e) Ami(e)s,

Il y a quatre ans, quelques mois avant la tenue de notre congrès à Casablanca, nous publiions notre dernier rapport sur les disparitions forcées au Maroc. En conclusion de leur rapport, Sidiki Kaba et Michel Tubiana, aujourd’hui respectivement présidents de la FIDH et de la Ligue française écrivaient que le Maroc était le seul pays au monde où autant de disparus étaient revenus vivants de l’enfer de la disparition, parfois après dix-huit ans de calvaire. Ils ajoutaient que leur témoignage était un patrimoine universel car il vaut pour tous ceux qui ont disparu à jamais ou qui restent peut être encore embastillés dans quelque centre secret de détention.
C’est dire l’importance de l’entreprise marocaine, pour votre société en premier lieu mais aussi pour l’ensemble des victimes.
Les attentes sont grandes. Il nous revient, ensemble, de rendre la dynamique enclenchée irréversible.

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