Les dérives arbitraires de la lutte anti-terroriste : la FIDH appelle les autorités marocaines au respect du droit

Une délégation de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), composée de Patrick BAUDOUIN, Président d’Honneur, de Souhayr BELHASSEN, Vice-Présidente de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH), et d’Olivier GUERIN, Avocat Général à la Cour de Cassation, s’est rendue au MAROC entre le 12 et le 19 juillet 2003 aux fins de recueillir toutes informations utiles sur la situation des droits de l’Homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

A la suite des odieux attentats du 16 mai 2003 ayant endeuillé le pays, la FIDH réaffirme sa solidarité avec le peuple marocain, sa condamnation absolue des actes criminels commis, ainsi que le droit et le devoir de l’Etat de combattre le terrorisme et de punir les coupables.

Toutefois, cette lutte contre le terrorisme doit s’effectuer dans le respect des règles d’un Etat de droit, et la délégation de la FIDH est amenée à exprimer sur ce point de vives préoccupations au regard des éléments rassemblés durant son séjour.

Ainsi, durant l’année écoulée, il apparaît que dans de nombreux cas les délais légaux de garde à vue ont été largement dépassés, avec parfois falsification des procès-verbaux quant à la date de point de départ de la garde à vue, et que les personnes ont été retenues arbitrairement pendant plusieurs semaines. Il faut ajouter que, depuis le 16 mai 2003, ont eu lieu des interpellations massives - comprises entre 2000 et 5000- dans des conditions mal définies.

La délégation de la FIDH a eu connaissance de la pratique de mauvais traitements et tortures (coups, électricité, sévices sexuels…) au cours de la phase de l’enquête de police et ce, d’une manière courante en particulier dans les locaux de la DST (Direction de la Surveillance du Territoire) à TEMARA où transitent la plupart des islamistes interpellés. Deux personnes, Abdelhak BENTASSER de FES et Mohamed BOUNNIT de TAROUDANT, ont par ailleurs trouvé la mort de manière suspecte après leur interpellation et, malgré les enquêtes et autopsies officiellement effectuées, de multiples contradictions subsistantes démontrent que les circonstances exactes de ces deux décès restent à élucider. A cet égard, il faut déplorer que l’impunité paraisse demeurer la règle lorsque se produisent des exactions et bavures policières.

La délégation de la FIDH s’alarme des conditions précipitées dans lesquelles sont jugées les affaires de terrorisme, et qui ne répondent pas aux critères requis pour le droit effectif à un procès équitable. Ainsi, peuvent être par exemple relevés les points suivants : une instruction sommaire des dossiers, une absence d’audition de témoins à l’audience, une appréciation de la culpabilité des accusés sur la base quasi exclusive des déclarations transcrites lors de la phase policière alors même qu’il apparaît que souvent, ils n’ont pu les relire, les entraves apportées à l’exercice réel des droits de la défense (pressions sur les avocats désignés, faible motivation des avocats commis d’office…), le prononcé de très lourdes condamnations, y compris la peine capitale, sur la base pour bon nombre de personnes poursuivies d’investigations et de charges insuffisantes.

Les membres de la mission de la FIDH s’inquiètent également du durcissement, depuis le 16 mai 2003, des conditions de détention des islamistes incarcérés, en particulier dans les prisons de KENITRA et SALE (cellules exiguës, privation de journaux et moyens d’information, suppression de visites des familles…). De même, s’ils ont été autorisés à visiter la prison d’OCACHA à CASABLANCA, ils déplorent de n’avoir pu s’entretenir avec quelques uns des détenus mentionnés par l’administration pénitentiaire comme ayant été transférés dans un autre établissement, alors qu’ils ont la preuve de la présence de ceux-ci à OCACHA au moment de leur visite.

Toutes les inquiétudes formulées ne peuvent qu’être avivées par la promulgation récente, le 29 mai 2003, d’une loi anti-terroriste dont le projet suscitait une forte opposition avant les évènements du 16 mai. La nouvelle législation conduit en effet notamment à élargir le champ des incriminations relevant de la répression anti-terroriste, à alourdir le montant des peines susceptibles d’être prononcées et à multiplier les cas relevant de la peine de mort, à accroître les pouvoirs de la police en allongeant par exemple de 3 jours à 12 jours de délai maximum de garde à vue.

Au moment où s’ouvrent les procès de 700 suspects islamistes, la FIDH en appelle aux autorités du MAROC pour qu’il soit mis un terme aux violations des droits constatées, et à la justice marocaine, pour qu’elle œuvre avec discernement, dans le respect des droits de chacun des accusés, en ne prononçant, lorsque la culpabilité est avérée, que des peines strictement individualisées et proportionnées. Sur cette dernière question, outre son opposition de principe absolue à la peine de port, la FIDH exhorte le MAROC et son souverain à ne pas tomber dans le piège tendu et à ne pas procéder à des exécutions qui fourniraient aux extrémistes ennemis de la liberté leurs martyrs attendus. Lutter contre les terroristes ne doit en aucun cas, sauf à leur faciliter la tâche, conduire à adopter certaines de leurs méthodes en s’affranchissant des règles élémentaires du respect de la personne humaine.

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