L’organe onusien chargé des droits humains ne parvient pas à faire avancer la justice en Libye

13/04/2023
Déclaration
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Ludovic Courtès via Wikimedia Commons

13 avril 2023. Le 4 avril, le Conseil des droits humains des Nations unies (CDH) a adopté la résolution 52/L.33 sur « l’assistance technique et le renforcement des capacités pour améliorer la situation des droits humains en Libye » sans créer de mécanisme de suivi du travail de la Mission indépendante d’établissement des faits des Nations unies. La 52e session du CDH a clôturé le mandat de la Mission d’établissement des faits. Les organisations de la société civile sont consternées par l’insuffisance de la résolution du Conseil des droits humains sur la Libye, alors que la situation empire.

Dans son dernier rapport au CDH, la Mission d’établissement des faits a trouvé des motifs raisonnables de croire que des crimes relevant du droit international, y compris des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, ainsi que d’autres violations graves des droits humains ont été et sont commis par toutes les parties en Libye, en toute impunité. La résolution ne tient pas compte des conclusions de la Mission d’établissement des faits et se contente d’exiger que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits humains (HCDH) fournisse une assistance technique et un renforcement des capacités aux autorités libyennes.

L’adoption de la résolution intervient dans un contexte d’escalade de la répression contre les groupes civiques nationaux et internationaux et les défenseur·es des droits humains en Libye, qui met en péril l’existence même de la grande majorité de la société civile active à l’intérieur du pays. Les organisations signataires ont rendu compte des attaques visant les défenseur·es des droits humains par le biais d’arrestations et de détentions arbitraires et de procès inéquitables, dont certains se sont soldés par de longues peines d’emprisonnement. Un avis juridique émis le 8 mars 2023 par le département juridique du Conseil supérieur de la magistrature a déclenché une série de décrets du bureau du Premier Ministre du Gouvernement d’unité nationale visant à dissoudre les organisations de la société civile si elles ne respectent pas la loi répressive de 2001 sur les ONG. Cette loi a pourtant été effectivement suspendue en 2011, suite à l’adoption de la constitution intérimaire. Malgré la récente déclaration du Conseil de sécurité des Nations unies qui souligne l’importance d’établir un environnement sûr pour la société civile en Libye, la résolution du CDH sur la Libye semble donner les coudées franches aux autorités et aux groupes exerçant un contrôle de facto sur certaines parties du territoire libyen pour réprimer davantage la liberté d’expression, y compris les voix indépendantes et dissidentes.

La résolution met fortement l’accent sur l’assistance technique et le renforcement des capacités, mais ne définit pas clairement les critères de contrôle des bénéficiaires de cette assistance, malgré le grand nombre de fonctionnaires et de membres de milices et de groupes armés en fonction dans les institutions de l’État qui n’ont pas été contrôlés pour leur implication éventuelle dans des crimes graves relevant du droit international et d’autres violations des droits humains ou atteintes à ces droits. Au lieu de briser le cycle de l’impunité, cela risque de l’alimenter.

La résolution demande aux autorités libyennes de contrôler que ces derniers s’acquittent de leurs obligations internationales en matière de droits humains et des recommandations de la Mission d’établissement des faits, bien que les autorités libyennes successives aient constamment démontré, au cours de la dernière décennie, qu’elles n’étaient ni capables ni désireuses d’enquêter de manière appropriée sur les violations des droits humains, et encore moins d’assurer une justice crédible, ni l’accès à des voies de recours et à des réparations efficaces pour les victimes. Le Gouvernement d’unité nationale basé à Tripoli n’a pas encore mis en œuvre les recommandations des précédents rapports de la Mission d’établissement des faits, car en ce qui concerne la légitimité et le contrôle il est en concurrence avec les autorités de facto qui contrôlent le territoire dans le sud et l’est du pays. Tout en prenant note de l’engagement des autorités libyennes à mettre en place un comité de haut niveau pour étudier le rapport final et les recommandations de la Mission d’établissement des faits, les organisations signataires soulignent que ledit comité ne doit pas se substituer à la mise en place d’une surveillance indépendante, à la collection d’information et à l’établissement de rapports publics sur la situation des droits humains dans le pays, dont le besoin se fait cruellement sentir.

À la lumière de ce qui précède, les organisations signataires recommandent que :

1. Le Conseil des droits humains devrait, de toute urgence, mettre en place un mécanisme d’enquête international indépendant afin de garantir des enquêtes, un suivi et des rapports indépendants, ainsi que la conservation des preuves sur la situation des droits humains en Libye, ouvrant ainsi la voie à l’établissement futur des responsabilités des auteurs de crimes et la visibilité de la situation des droits humains en Libye ;

2. Indépendamment de la Mission de soutien des Nations unies en Libye (UNSMIL), le HCDH devrait mettre en place un mécanisme distinct et autonome doté d’un mandat permanent pour surveiller et rendre compte des violations flagrantes des droits humains en Libye, en vue de soutenir les autorités libyennes dans leurs efforts pour obtenir justice et rendre des comptes ;

3. Le HCDH devrait établir un dépôt central d’information et de preuves, et consolider, analyser et évaluer toutes les informations et tous les témoignages recueillis par la Mission d’établissement des faits et le mécanisme susmentionné du HCDH. À cet effet, il doit conserver ces preuves en toute sécurité, étayées par une documentation précise, en vue d’ouvrir la voie à de futures procédures pénales contre les personnes dont on a un motif raisonnable de suspecter leur implication dans des crimes relevant du droit international et d’autres violations et abus graves des droits humains, y compris en facilitant l’accès à l’information, aux preuves et à l’analyse par d’autres autorités compétentes judiciaires et d’enquête ;

4. Conformément à la politique de diligence voulue des Nations unies en matière de droits humains concernant le soutien des Nations unies aux forces de sécurité n’appartenant pas aux Nations unies, le HCDH devrait mettre en place un processus de vérification efficace afin de s’assurer que les personnes dont on a un motif raisonnable de suspecter leur implication dans de graves violations des droits humains ne bénéficient pas d’une assistance technique et d’un renforcement de leurs capacités. Dans le cadre des activités de renforcement des capacités et de l’engagement global avec les autorités libyennes, le HCDH devrait veiller à ce que les programmes incluent les groupes civiques et à ce que les acteurs de la société civile en Libye soient protégés et puissent réaliser leur travail librement, sans entraves ni crainte de représailles.

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