La diplomatie selon Sarkozy

13/12/2007
Communiqué

Chose connue : l’époque aime ce qui est hyper, qu’il s’agisse de
consommation ou de performances ; à défaut de forger des surhommes, elle exalte
le dépassement et la présence accrue aux yeux du monde. Parmi les athlètes de
la figuration à outrance émettant des signes de leur désir d’ubiquité, on
compte dorénavant Mr. Sarkozy, dont l’ambition semble être de faire de la
diplomatie un nouveau sport olympique.

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Le citoyen naïf contemplant l’écume des choses ne peut a priori s’étonner
positivement : d’un côté n’a-t-on pas libéré les infirmières
bulgares ? N’a-t-on pas signé pour cinq milliards de contrats lors du
déplacement algérien ? Cependant les félicitations à Poutine pour les
législatives russes ne viennent-elles pas contrebalancer ces résultats, et le
déplacement chinois du Président français sans sa secrétaire aux Droits de
l’Homme ne trahit-il pas un acte manqué ? Dans l’inconscient économique
libéral le souci des Droits de l’Homme est une gêne qu’il faut atténuer ou
évacuer ; avoir laissé à quai Mme Rama Yade au profit de la Ministre de la
Justice apparaît comme une forme d’oblitération du plan éthique, qui vient
troubler un monde des échanges idéal. Parti regagner sur tous les fronts le
prestige d’une France qu’il souhaite économiquement forte, on a assisté ces
derniers jours à un papillonnage tous azimuts d’un super-VRP, qui par exemple
s’est livré à une simplification des enjeux moraux liés au passé colonial de la
France en Algérie.

Ici le Président de la France s’est laissé aller à une instrumentalisation
de la souffrance, en indiquant que la guerre d’indépendance avait fait
« d’innombrables victimes des deux côtés » (Le Monde du 5 décembre
2007) ; tout en insistant sur son changement de position sur la colonisation, il
ne laisse pas choir les colonisateurs, dont on refuse souvent d’examiner la
responsabilité dans le marasme de certains pays anciennement colonisés. De la
reconnaissance de dégâts qui sembleraient presque collatéraux, d’après ce qui
précède, à la réhabilitation des véritables victimes, on n’a pas franchi le
pas ; la bêtise d’un ministre algérien parlant au sujet de l’élection du
président d’un « lobby juif », a fourni à ce dernier un terrain propice à
un déplacement en apparence conciliateur : l’occasion d’apaiser les
tensions et d’éteindre un départ de feu idéologique lui était fournie, lui
offrant au passage l’occasion de deviser en Camus d’opérette sur la
ressemblance à s’y méprendre entre un islamiste et un antisémite :
« tous deux ont le même visage : celui de la bêtise et de la haine » ;
évidence bâtie en paravent de fortune, aux fausses bonnes intentions rutilantes
venant masquer les dissensions sur la baisse massive des visas d’entrée et de
séjour en France – 270 000 en 2001 contre 120 000 en 2006.

On n’ignore pas de l’autre côté de la Méditerranée que la tristesse actuelle
de la France est d’avoir créé un ministère spécialement dédié à l’immigration,
ni la loi n°667 proposée par Jean Léonetti en février 2005 qui voulait faire
reconnaître « l’oeuvre positive de l’ensemble de nos concitoyens qui ont
vécu en Algérie(...) ». Déplorons que les paroles de Mr. Sarkozy aient la
facture de regrets de circonstance, puisque son déplacement comportait des
enjeux commerciaux ; sans ce volet commercial, eût-il eu les mêmes
propos ?

De là, il faut temporairement conclure que les mentalités rechigent à
s’autodécoloniser : on ne nous a pas trompés sur la coupe du costume
diplomatique ainsi arboré, mais on y a plutôt laissé voir que tout a un prix
sur la scène de ce théâtre-là.

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