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Maroc : premier bilan après une régularisation massive de sans-papiers

En 2014, le royaume a mené une opération exceptionnelle de régularisation de sans-papiers, en y associant les services de sécurité et la société civile. Premier bilan de cette politique ambitieuse mais encore indécise.

Par  (contributeur Le Monde Afrique)

Publié le 30 mars 2015 à 13h36, modifié le 19 août 2019 à 12h58

Temps de Lecture 4 min.

Des migrants ivoiriens, à Rabat, durant un match de la coupe du monde, le 19 juin 2014.

La Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) et le Groupe antiraciste d'accompagnement et de défense des étrangers et des migrants (Gadem) dressent lundi 30 mars un premier bilan de la nouvelle politique migratoire du Maroc, en soulignant les décalages entre attentes et réalisations, entre le discours et la réalité.

En septembre 2013, le Maroc lançait une nouvelle politique migratoire, fondée sur un rapport du Conseil national des droits de l'homme (CNDH) qui s’appuyait sur quatre volets : « La situation des réfugiés et des demandeurs d’asile, les étrangers en situation administrative irrégulière, les étrangers en situation régulière et la lutte contre la traite des personnes. »

Le parcours du combattant

Le tournant qui a surtout marqué les esprits a été l'annonce d'une opération exceptionnelle de régularisation des migrants sans papiers, qui s'est déroulée tout au long de l'année 2014. Le gouvernement, dans une circulaire publiée le 16 décembre 2013, énonçait les catégories de bénéficiaires : conjoints de Marocains ou conjoints d’autres étrangers en résidence régulière au Maroc, et leurs enfants, étrangers disposant de contrats de travail effectifs, étrangers justifiant de cinq ans de résidence continue, étrangers atteints de maladies graves.

Dans les faits, les demandeurs ont rencontré plusieurs problèmes, liés, selon la FIDH et le Gadem à la « formation insuffisante des responsables en charge des bureaux des étrangers ». Lors de l'étape du formulaire de demande de régularisation, certains fonctionnaires ont rejeté les dossiers, dès leur dépôts aux guichets installés dans les préfectures. « Certains demandeurs ont été informés du rejet de leur demande, oralement ou par écrit, mais sans qu’aucune précision ne leur soit fournie concernant la suite de la procédure et les recours à leur disposition », relèvent la FIDH et le Gadem.

Les commissions chargées de l'étude des dossiers sont dominées par les services de sécurité : ministère de intérieur, police, gendarmerie royale, DGST (renseignements intérieurs), DGED (renseignements extérieurs) et seulement deux représentants d'ONG désignés par le CNDH. Le tout est supervisé par les gouverneurs et les walis (préfets). Après quatre mois de mise en place, marqués par flou et des lenteurs, les ONG s'impatient. En juin, à mi-parcours donc, 16 000 demandes ont été enregistrées pour 2 812 avis favorables et seulement 1 604 titres de séjours délivrés. Ce chiffre « dérisoire » au regard des espoirs soulevés, fait planer le risque d’un échec. La société civile souligne que la campagne a, dans un premier temps, « profité à des personnes relevant d'autres catégories », notamment des étudiants qui étaient déjà censés bénéficier d'une carte de séjour, ainsi que des réfugiés syriens, « dont le HCR [l’agence de l’ONU pour les réfugiés] réclamait la protection depuis de nombreux mois ».

Commission de recours à la rescousse

Le 27 juin, une commission nationale de suivi et de recours est mise en place. Présidée par le CNDH, la commission nationale de suivi et de recours présente un profil sécuritaire moins marqué. Aux côtés de représentants de l’intérieur, d’autres ministères sont conviés autour de la table : affaires étrangères, affaires migratoires, emploi, mais aussi la délégation interministérielle aux droits de l’homme (DIDH) et surtout plusieurs personnalités du monde associatif et des personnalités qualifiées. Chargée d’évaluer la campagne de régularisation et de proposer des améliorations, la commission examine les recours des migrants dont la première demande a été rejetée. Rapidement, elle préconise de régulariser « l’ensemble des femmes migrantes en situation administrative irrégulière », soit 5 060 demandeuses.

Le ministre marocain chargé des affaires de migration, Anis Birou (à gauche) et le président du Conseil national des droits de l'Homme, Driss El Yazami, le 27 juin 2014.

Premier impact : le nombre de décisions favorables augmente de manière visible. Début décembre, à un mois de l’échéance du délai de cette campagne, 10 603 demandes sur un total de 22 917 sont acceptées. Une forte progression qui ne contente pas la société civile, et les membres de la commission nationale de suivi et de recours. Cette dernière, qui ne s’est réunie qu’une fois en juillet, est mise en sommeil. La faute à « de fortes divergences entre ses composantes », admet aujourd’hui un de ses membres. Cette stratégie du rapport de forces a permis d’infléchir le résultat final, mais pas d’atteindre toutes les revendications des migrants et de leurs défenseurs.

« Le taux de reconnaissance reste somme toute limité, notamment due à une interprétation trop rigide des critères permettant d’accéder à la régularisation. » Seuls 4 % des étrangers ayant demandé la régularisation de leur situation administrative sur la base d’un contrat de travail ont reçu une réponse favorable. « Comment concevoir que dans un pays ou la majorité des personnes sans papiers travaille dans le secteur informel, la relation de travail ne puisse être prouvée que par un visa du ministère de l’emploi ? », s’interrogent la FIDH et le Gadem.

Régularisations et arrestations

C’est ainsi qu’au sein de la société civile, on s’interroge sur les suites de cette campagne de régularisation exceptionnelle. Quid de ceux qui n’ont pas été régularisés et de ceux qui n’ont même pas déposé de demandes au 31 décembre 2014, date de clôture de la campagne ? Après avoir dressé le bilan de l’opération, le 9 février, le ministère de l’intérieur a semblé « signer la fin de la partie », selon un militant, en procédant à une autre campagne. Les arrestations, très larges, se sont notamment déroulées dans la forêt de Gourougou, près de la frontière avec Mellilla, enclave espagnole dans le nord du Maroc. Le Gadem estime que 1 200 personnes ont été arrêtées début février. Elles ont été « conduites vers différentes villes : Errachidia, Goulmima, El Jadida, Safi, Youssoufia, Agadir, Kelâat, Sraghna, Chichaoua, Essaouria ou Tiznit », toutes très éloignées des frontières nord du Maroc et des grandes villes où se concentrent les populations immigrées.

Aujourd’hui, la FIDH et le Gadem estime que « les opérations massives d’arrestation et d’enfermement des migrants [de février dernier] ont stoppé l’ensemble du processus vertueux déclenché depuis septembre 2013. » Et de rappeler que « l’ensemble des acteurs de la société civile contactés dans le cadre de la préparation de la présente note sont unanimes pour demander la régularisation de toutes les personnes ayant déposé un dossier au 31 décembre 2014. » Le chemin paraît long, même si le premier pas a été franchi.

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