Pourquoi l’UE doit cesser de bloquer l’adhésion de la Palestine à la CPI ?

Position commune d’Amnesty International, de la FIDH, de Human Rights Watch, Broederlijk Delen, Christian Aid et Pax Christi Flandres.

L’impunité continue pour tous les crimes graves commis au cours du conflit israélo-palestinien nuit à l’instauration de la confiance nécessaire à une paix juste et durable. L’adhésion de la Palestine ou d’Israël à la Cour pénale internationale (CPI) pourrait permettre aux victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité des deux pays d’avoir accès à la justice internationale.

Si Israël affirme ne pas avoir l’intention d’adhérer à la CPI, les autorités palestiniennes ont promis de le faire, en retardant toutefois les démarches nécessaires à cette adhésion. En effet, bien que la procureur de la CPI ait déclaré que la Palestine pourrait devenir membre de la CPI [1], l’État palestinien subit les pressions d’Israël, des États-Unis et d’autres pays visant à le dissuader de s’engager sur cette voie. [2] L’UE, qui pour d’autres situations se positionne contre l’impunité (par exemple concernant le Soudan, la Syrie, la Corée du Nord et la Libye), a prévenu la Palestine qu’il lui fallait « utiliser son statut de membre de l’ONU de manière constructive sans entreprendre de démarches qui l’éloigneraient davantage d’une solution négociée ». [3] En outre, des États européens de premier plan, notamment le Royaume-Uni et la France, se sont publiquement opposés à toute tentative de la Palestine d’adhérer à la CPI. [4]

Cette stratégie est malavisée, et va à l’encontre des intérêts de l’UE qui cherche à encourager la résolution de ce conflit. Le fait de s’opposer à l’adhésion de la Palestine à la CPI ne fait que nourrir l’impunité et nuit à la justice internationale. Les pays de l’UE qui font pression sur la Palestine pour qu’elle n’entreprenne pas de telles démarches vont également à l’encontre de l’engagement qu’ils ont pris en tant que membres de la CPI, à savoir encourager l’adhésion d’autres Etats à la Cour. [5]

CPI : MODE D’EMPLOI

La CPI est le premier tribunal indépendant et permanent habilité d’une part à enquêter sur les individus dans le cadre des crimes internationaux les plus graves, notamment les génocides, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, et d’autre part à poursuivre ces individus en justice. Elle a été instituée par le statut de Rome, entré en vigueur le 1er juillet 2002. La CPI n’intervient que si un État ne peut ou ne veut pas traiter ces dossiers au niveau national. Elle ne peut enquêter et entamer de poursuites en justice qu’en cas de crimes commis sur le territoire ou par les ressortissants d’États ayant ratifié le statut de Rome de la CPI, ou ayant accepté la compétence de la CPI par une déclaration ad hoc, ou encore si un dossier est renvoyé devant le procureur de la Cour par le Conseil de sécurité de l’ONU. 122 États ont déjà rejoint la CPI.

D’éminents experts internationaux se sont exprimés en faveur de l’adhésion de la Palestine à la CPI et contre la prise de position de l’UE. Dans un article du New York Times, Navi Pillay, ancienne Haut-Commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU et ancienne juge à la CPI, déclarait : « La meilleure contribution que les Européens puissent apporter à la paix […] serait de mettre fin à leur hypocrisie et d’encourager la Palestine à adhérer à la CPI.  [6]

Dans le quotidien britannique The Independent, Sir Desmond de Silva, QC, ancien procureur général en Sierra Leone, et Sir Geoffrey Nice, QC, ancien procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), ont fait valoir que « la position de l’UE nuit à ses propres intérêts et investissements, ainsi qu’à l’espoir d’une paix durable », [7] tandis que deux commentateurs experts de la question, membres du Conseil européen des relations étrangères, mettaient l’Europe au défi d’expliquer « la différence entre le soutien qu’elle manifeste à l’égard des normes internationales et son opposition aux initiatives de la Palestine en vue de son adhésion à la CPI ». [8]

L’obligation de rendre des comptes à l’échelle internationale ne saurait s’appliquer de manière sélective. Les pays de l’UE devraient s’abstenir d’exercer de nouvelles pressions sur la Palestine visant à la dissuader d’adhérer à la CPI, et se prononcer en faveur d’une reconnaissance universelle de la compétence et du travail de la Cour. Cela permettrait à l’UE de se conformer à la position qu’elle a publiquement adoptée en soulignant l’importance de ne pas laisser impunis les crimes graves qualifiés par le droit international.

BRISER LES MYTHES ASSOCIÉS À L’ADHÉSION DE LA PALESTINE A LA CPI

Mythe : L’adhésion de la Palestine à la CPI nuira au processus de paix et aggravera la situation sur le terrain.
Réalité : Le processus de paix se trouve manifestement dans une impasse ; le moment est donc bien choisi pour réétudier l’idée d’une adhésion à la CPI. La perspective d’une responsabilisation face à des crimes graves pourrait éviter que de futures atrocités ne soient commises, car il existerait alors une menace crédible et impartiale de poursuite en justice en cas de crimes graves, y compris pour les tirs aveugles de roquettes et l’expansion illégale des colonies.

Mythe : Les Palestiniens ne veulent pas adhérer à la CPI ; cette initiative ne recueille aucun soutien au niveau national.
Réalité : Toutes les parties palestiniennes, y compris le Hamas, ont convenu d’appuyer l’initiative du Président Abbas visant à adhérer à la Cour [9] et, en décembre 2014, l’OLP a salué la reconnaissance formelle de la Palestine en tant qu’État observateur de la CPI. [10] Cependant, Israël, les États-Unis, le Canada, certains États de l’UE et d’autres pays exercent de fortes pressions sur le Président Abbas pour l’inciter à abandonner les démarches qui donneraient à la Palestine un statut de membre à part entière. En cessant de manifester son opposition, l’Europe pourrait instaurer un espace politique qui permettrait à M. Abbas de prendre les initiatives nécessaires.

Mythe : L’Europe doit choisir entre soutenir la justice internationale et soutenir Israël. Le fait d’appuyer l’adhésion de la Palestine à la CPI constituerait une attaque contre Israël et son droit à se défendre.
Réalité : La CPI ne ferait rien pour empêcher Israël de se défendre. Elle se contenterait de forcer Israël à se défendre d’une manière conforme au droit humanitaire international, comme toutes les parties à des conflits sont dans l’obligation de le faire. Défendre un recours impartial aux mécanismes de justice internationale en Israël et en Palestine ne signifie pas que l’on prend parti, mais que l’on soutient les normes internationales et veille à ce que toutes les parties soient, d’une part, tenues de rendre compte de leurs actes en cas de crimes internationaux graves et, d’autre part, protégées par le droit pénal international.

Mythe : La CPI manque d’efficacité ou de crédibilité pour changer le cours des choses.
Réalité : La CPI ne constitue pas une solution miracle au conflit israélo-palestinien, mais elle pourrait avoir un effet dissuasif sur la perpétration de crimes de guerre par les deux parties. Les États membres de l’UE comptent parmi les plus importants contributeurs financiers de la CPI et ils soutiennent publiquement son mandat mondial. En tentant de faire des dossiers israélien et palestinien une exception, ils nuisent à la crédibilité de la CPI.

Mythe : Si elle soutient l’accession de la Palestine au statut de la CPI, l’UE sera marginalisée lors des pourparlers de paix au Proche-Orient.
Réalité : Cesser de s’opposer à cette accession rendrait la présence de l’Europe plus – et non pas moins – pertinente lors des pourparlers de paix en faisant savoir sans équivoque que l’impunité ne sera plus tolérée comme le prix à payer pour poursuivre les négociations. Céder aux demandes d’impunité dans le simple but de ne pas perturber les pourparlers ne fera qu’encourager des abus plus nombreux. L’UE a toujours promu le respect du droit humanitaire international, notamment parce que celui-ci contribue à résoudre les conflits. Même lorsque la paix est difficile, l’accès à la justice est essentiel pour préserver les droits des victimes et des communautés affectées.

Mythe : La perspective des enquêtes de la CPI ne modifiera en rien le comportement d’Israël et des groupes armés palestiniens.
Réalité : La perspective des enquêtes de la CPI pourrait entraîner une véritable responsabilisation face aux événements. Israël a ouvert des enquêtes sur des violations du droit international que ses forces armées auraient commises à Gaza, mais ces démarches ne se sont pas traduites par de véritables obligations de rendre des comptes. Entre-temps, ni le gouvernement d’unité palestinien ni le Hamas n’ont ouvert d’enquête crédible concernant les crimes de guerre présumés. Comme le disait récemment Navi Pillay : « On ne peut pas s’attendre à ce que l’obligation de rendre des comptes et la justice s’obtiennent en adoptant des démarches au niveau national.
C’est ce que nous montrent le manque d’enquêtes appropriées menées par Israël et le fait que la communauté internationale n’essaie aucunement de mettre en œuvre les recommandations qui figurent dans le rapport de la commission d’enquête sur Gaza.  [11]

Mythe : Soutenir l’adhésion de la Palestine à la CPI compromettrait les projets de développement que mène l’UE dans les Territoires palestiniens occupés.
Réalité : S’il est fort possible que la capacité des diplomates et des travailleurs humanitaires de l’UE à œuvrer en Cisjordanie soit provisoirement perturbée (p. ex. révocation des permis et restrictions des déplacements), l’adhésion de la Palestine à la CPI pourrait permettre à l’UE et à ses États membres d’avoir de meilleures garanties qu’en l’ état actuel que l’argent qu’ils fournissent sous forme d’aide sera utilisé à bon escient, en dissuadant la perpétration de crimes de guerre, y compris l’expansion des colonies. En effet, l’UE, en tant que premier donateur d’aide à la Palestine, lance constamment des projets d’aide en Palestine qui finissent par être anéantis par le conflit récurrent et les politiques d’occupation associées aux colonies.

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