Les Etats-Unis doivent choisir entre barbarie et respect du droit

01/06/2004
Communiqué

La FIDH condamne avec force les très graves violations des droits des personnes détenues, notamment en Irak, par les forces d’occupation américaines et leurs alliés.

Des ONG et des journalistes indépendants ont pu établir l’existence de crimes de guerre caractérisés commis sur des prisonniers de guerre irakiens notamment dans la prison d’Abou Ghraib. Le Comité international de la Croix Rouge (CICR) a fait état depuis des mois, sans réaction, de violations sérieuses du droit international humanitaire incluant des traitements "assimilables à la torture", qu’il considère comme dépassant le stade de simples dérives individuelles et relevant d’un "système".

La Coalition a prétendu mettre au premier plan de ses buts de guerre le renversement de la dictature [1] de Saddam Hussein, la fin des violations des droits de l’Homme perpétrées par cette dictature1 et l’établissement en Irak d’une démocratie respectueuse des droits fondamentaux. Il s’avère que les pratiques des forces de la coalition à l’égard des prisonniers irakiens sont en totale contradiction avec les buts dont elle se réclame.

Les actes "hors-la-loi" sont le résultat d’une politique délibérée et cynique

La FIDH relève notamment que ces actes paraissent avoir été ordonnés dans un nombre appréciable de cas par des officiers de renseignement qui se sont substitués aux autorités militaires seules responsables du respect des Conventions de Genève protégeant les prisonniers de guerre.

Elle souligne que ces faits se situent dans le prolongement d’une politique de déni de l’application des normes internationales de protection des droits de l’Homme et du droit international humanitaire depuis le 11 septembre 2001.

L’adoption du "Patriot Act" ; la constitution de "commissions militaires" faisant fonction de juridictions d’exception pour les détenus de Guantanamo ; le débat ouvert aux Etats-Unis dès septembre 2001 sur la pseudo-légitimité du recours à la torture en matière de lutte anti-terroriste ; la pratique des transferts de présumés terroristes vers des pays connus pour leur recours à la torture ; le fait de ne considérer les prisonniers capturés en Afghanistan ni comme des prisonniers de guerre, ni comme des détenus de droit commun mais comme des "combattants illégaux" ne jouissant d’aucune protection de leurs droits fondamentaux (la fabrication de cette notion juridiquement inexistante ouvrant la porte à tous les arbitraires) ; le conditionnement durable de l’opinion publique américaine autour de la thématique d’une "guerre contre la terreur" sans limitation de durée ; la concentration de plusieurs centaines de personnes détenues depuis plus de deux ans, en violation de tous les engagements internationaux des Etats-Unis sur la base militaire américaine de Guantanamo, sont autant d’étapes vers la conduite en Irak d’une guerre "hors-la-loi", dans laquelle on en vient à présent à prendre pour cible des populations civiles dans des conditions inhumaines et à soumettre, apparemment systématiquement, des prisonniers de guerre à des traitements barbares ou en tout cas indignes de forces armées d’un Etat organisé.

De Guantanamo à Abou Ghraib : les conventions de Genève violées

Comment garantir à Abou Ghraib, le respect des Conventions de Genève dont on refuse l’application à Guantanamo ou a Baghram ? Comment éviter ces violations déshonorantes du droit international alors que les opérations de guerre à l’occasion desquelles elles sont commises ont été déclenchées et conduites en violation de la Charte des Nations unies, alors que la lutte anti-terroriste est présentée comme nécessitant la mise entre paranthèses des garanties des droits au profit de régimes d’exception, alors que le gouvernement américain tente par tous les moyens, depuis plusieurs années, de saboter la mise en place et l’activité de la Cour pénale internationale (CPI) pour assurer l’impunité de ses forces armées ? Les criminels (les auteurs d’actes de torture) d’Abou Ghraib ont reçu un message persmissif clair à travers ces orientations politiques et ces discours publics ; il en ont vraissemblablement tiré un sentiment d’impunité.

Les cours martiales américaines ne garantissent pas le besoin de vérité et de justice

Aujourd’hui des cours martiales américaines se réunissent pour juger de simples soldats et des sous-officiers, sans d’ailleurs que leurs actes reçoivent la qualification de crimes de guerre qu’ils méritent ni que les normes internationales violées constituent la base des poursuites. Mais le droit international général tient les autorités civiles et militaires pour responsables des violations des droits de l’Homme commises par leur subordonnés.

La gravité de crimes commis, l’existence d’un système de détention incompatible avec le respect des obligations internationales des Etats-Unis, appellent à la création de commissions d’enquêtes internationales et indépendantes sur les conditions dans lesquelles ces actes ont été tolérés en connaissance de cause, voire délibérement ordonnés et organisés, afin que toutes les responsabilités soient mises au jour des exécutants jusqu’au plus haut niveau dans la chaîne de commandement militaire et politique.

La nation américaine doit retrouver le chemin du droit

Entre la poursuite de l’application de traitements inhumains et le retour à des comportements dignes d’un Etat de droit, il n’est pas de troisième voie. C’est dans cette alternative que les plus hautes autorités américaines et britanniques se sont elles-mêmes enfermées. Elles doivent aujourd’hui en assumer la responsabilité historique et faire face à toutes les conséquences politiques et juridiques de leurs choix délibérés. Il est plus que temps d’en finir avec les logiques de non-droit qui ne mènent qu’à la barbarie.

La FIDH appelle l’administration des Etats-Unis d’Amérique à :

 renoncer à toute méthode de détention et d’interrogation contraire au droit fondamental et indérogeable à l’intégrité physique et mentale de tout individu. Le témoignage recueilli de force est prohibé en toutes circonstances y compris en temps de guerre ou de "guerre contre le terrorisme". Aucune circonstance exceptionnelle ne peut justifier le recours à la torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

 Renoncer à leur politique spectacle d’une pseudo-sanction judiciaire de tortionnaires par de pseudo-juridictions, en l’occurence militaires ;

 Garantir en revanche, le droit fondamental des victimes à un recours effectif devant une juridiction impartiale et indépendante seule à même d’identifier et sanctionner l’ensemble des actes incriminés, indistinctement de leur fonction ou qualité ;

 Cesser toute attaque à l’encontre des efforts internationaux pour renforcer la protection des droits fondamentaux, y compris la Cour pénale internationale (Cf. Rapport de la FIDH : Non à l’exception américaine).

 Améliorer les conditions de détention aux Etats-Unis et ailleurs, pour toutes les catégories de prisonnier, afin de se conformer aux normes nationales et internationales ;

 Renoncer aux pratiques des transferts clandestins de détenus entre Etats et se soumettre aux prescriptions internationales concernant le droit des personnes en matière d’extradition.

La FIDH appelle l’ensemble des Etats qui ne l’ont pas encore fait à ratifier le Statut de la Cour pénale internationale. La FIDH appelle les Etats signataires d’accords bilatéraux avec les Etats Unis garantissant l’impunité des nationaux américains à dénoncer ces accords.

La FIDH appelle enfin le Conseil de Sécurité des Nations unies à refuser le renouvellement de la résolution 1422 qui garantit l’immunité aux soldats américains.

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