Le rapport qui sort aujourd’hui est basé sur le travail d’enquête mené par l’organisation de documentation Kinyat, qui documente depuis 2014 les crimes commis contre les Yézidis, et par une série d’entretiens menés par la FIDH et Kinyat avec des survivantes, lors de deux missions d’enquête en Irak.
Il contribue à mettre en lumière les graves crimes perpétrés à l’encontre des captives Yezidies notamment par des ravisseurs étrangers. Des djihadistes français, allemands, américains, saoudiens, libyens, tunisiens, libanais, palestiniens, yéménites et chinois figurent parmi les nationalités documentées par Kinyat et la FIDH.
Avec la prise de Mossoul par Daesh le 10 juin 2014, débute une campagne visant à « purifier » la région de ses éléments « non islamiques » et chiites. Le 3 août 2014, les combattants de Daesh attaquent la région du Sinjar, obligeant 130 000 Yézidis à fuir vers les zones kurdes. Sans possibilité de repli, des dizaines de milliers de personnes sont contraintes de se réfugier dans les monts du district de Sinjar, dans des conditions dantesques : le manque d’eau, de nourriture, d’ombre, et de matériel médical feront au moins 1700 morts.
L’attaque contre le Sinjar marque le début d’une campagne brutale, visant à éliminer l’identité Yézidie. Ce projet génocidaire entraîne crimes de masse, conversions forcées à l’Islam, dispersions brutales des familles et réduction en esclavage des femmes et enfants survivants, considérés comme des butins de guerre. Les crimes commis contre les Yezidis ont été largement médiatisés par Daesh, qui les a mis en scène et utilisés comme outil de propagande, afin de s’attirer de nouvelles recrues et terroriser les populations.
Au préalable, ces crimes contre l’humanité avaient été légitimés via une série de justifications théologiques et juridiques autour des notions de « Sabaya » (butin de guerre) et surtout d’« Al Sabi » (capture et esclavage des femmes et enfants de mécréants). Cette rhétorique a été développée dans les revues de Daesh ainsi que dans des fascicules théologiques spécifiquement consacrés à l’esclavage, avec une focalisation particulière sur l’esclavage sexuel.
Dans le même temps, la traite de femmes et enfants Yezidis – systématiquement séparés des hommes - a été organisée et planifiée. De nombreuses captives furent vendues sur des marchés aux esclaves et sur des sites internet spécialisés, via les applications Telegram et Signal. Un des groupes de revente en ligne, appelé « The Great Mall of the Islamic State », compta jusqu’à 754 membres. Il permettait d’acheter des femmes ou des enfants, avec des descriptions explicites sur leur âge ou apparence physique, au milieu des annonces de ventes d’armes ou de voitures.
Plus de 6800 Yézidies auraient été retenu.es captives, 4300 se seraient échappées ou auraient été rachetées, 2500 seraient encore « disparues ».
L’Etat islamique a été chassé ces deux dernières années des principales villes et territoires contrôlés par le groupe en Irak et en Syrie. Des milliers de ses combattants ont été tués ou arrêtés. Au moins 300 ont été condamnés à mort, des centaines à la prison à vie.
Des milliers d’autres se sont enfuis. Ainsi, le Soufan Center estimait en octobre 2017 que 5600 djihadistes étrangers étaient retournés dans 33 pays différents. Lorsqu’ils sont poursuivis en justice, ils le sont quasi-systématiquement sur le fondement de charges liées à la lutte contre le terrorisme.
Ces préoccupations sécuritaires légitimes ne sauraient faire oublier l’exceptionnelle gravité des crimes internationaux commis par les combattants de Daesh, qui doivent également être jugés.
C’est pourquoi les organisations auteures du rapport demandent à ce que les djihadistes ayant combattu en Irak et en Syrie dans les rangs de Daesh puissent également être poursuivis pour la perpétration de génocide et crimes contre l’humanité, l’organisation ayant mis en place une politique d’élimination de la communauté Yézidie passant notamment par l’esclavage sexuel et d’autres crimes sexuels contre les femmes et les filles.
Par conséquent, la FIDH et Kinyat appellent les juridictions nationales à élargir les poursuites et charges retenues pour rendre compte de la réalité des crimes commis par les membres de Daesh et garantir l’accès des victimes à la justice. En outre elles demandent à la Procureure de la CPI d’ouvrir un examen préliminaire sur la base de la nationalité des auteurs, souvent de haut rang, des crimes commis, qui sont des ressortissants d’États parties au statut de la CPI.