Justice pour les victimes irakiennes

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) se félicite vivement de l’arrestation intervenue du dictateur irakien Saddam Hussein1. Elle rappelle que ce dernier, désormais aux mains de la coalition américano-britannique doit être traité comme un prisonnier de guerre conformément aux dispositions des Conventions de Genève de 1949.

« Son traitement et son jugement se devront d’être exemplaires » a déclaré Sidiki Kaba, Président de la FIDH, « Quelle que soit sa nature, le tribunal qui jugera Saddam Hussein et ses complices devra être indépendant, impartial et garantir le droit des victimes à un recours effectif ».

La FIDH considère que les auteurs présumés de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre commis en Irak mais également les crimes internationaux commis en Iran et au Kuwait depuis plus de 30 ans doivent impérativement être jugés et que la responsabilité première dans cette tâche devrait incomber en priorité aux tribunaux nationaux.

Cependant et conformément aux diverses résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des nations unies depuis 1990, la FIDH considère que seul un tribunal international ad hoc ou un tribunal national à caractère international est en mesure de garantir l’application des normes internationales d’indépendance et d’impartialité de la justice et du droit des victimes à un recours effectif devant des tribunaux indépendants. Une telle garantie s’impose au surplus au regard de l’extrême gravité des crimes commis, qui concernent aussi la communauté internationale tout entière, et considérant l’importance primordiale d’un tel procès en tant qu’acte fondateur de la construction d’un nouvel Etat démocratique et pacifique.

Dans cette optique, la FIDH a pris connaissance avec intérêt du « Statut du Tribunal spécial irakien pour les crimes contre l’humanité » adopté le 10 décembre dernier par le Conseil du gouvernement provisoire irakien1.
Le statut proposé contient un certain nombre de points intéressants :

1. Le Statut du Tribunal spécial s’inspire en partie du Statut de la Cour pénale internationale en ce qui concerne notamment la définition des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Il reprend également en substance les principes généraux du droit pénal tels qu’adoptés par 120 Etats à Rome le 17 juillet 1998. Il en va ainsi de l’absence d’immunité quelle que soit la fonction occupée par la personne poursuivie, le principe de la responsabilité du supérieur et l’imprescriptibilité des crimes.

2. En outre, le statut du Tribunal satisfait au principe du double degré de juridiction puisqu’il prévoit d’une part un organe composé de juges d’instruction chargés d’instruire les dossiers, des chambres de jugement et enfin des chambres d’appel chargées d’examiner les décisions prises par les cinq juges statuant dans la formation de premier degré.

3. Concernant la compétence personnelle du Tribunal, les nationaux irakiens et les résidents en Irak relèveront de la compétence du Tribunal spécial. Il est prévu que seules les personnes physiques (article 1 para c.) pourront faire l’objet de poursuites à l’exclusion donc des groupes ou factions politiques ou encore des sociétés commerciales, ce que la FIDH déplore.

4. La compétence matérielle du Tribunal est très large puisqu’il est prévu que l’ensemble des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis entre le 17 juillet 1968 et le 1er mai 2003 sur le territoire de l’Irak mais aussi « ailleurs » (article 1 b.) y compris ceux commis en connexion avec les guerres contre la république islamique d’Iran et le Koweït ressortissent de la compétence du tribunal spécial basé à Bagdad.

5. La FIDH note en outre que les juges d’instruction pourront, selon l’article 18 paragraphe a du Statut du tribunal spécial, décider d’ouvrir des enquêtes de leur propre initiative sur la base d’informations reçues de toute source y compris émanant d’organisations non gouvernementales.

La FIDH est vivement préoccupée par certaines dispositions du Statut :

1. La FIDH note que, contrairement aux autres organes du tribunal spécial, le statut ne prévoit pas, de façon automatique, que des juges non irakiens participent aux différentes formations de jugement du tribunal spécial. L’absence de prise en compte par le conseil du gouvernement provisoire irakien de la nécessité d’introduire, bien qu’il n’exclue pas cette possibilité, dans ce tribunal une composante internationale est préoccupant au vu de l’état actuel de la justice irakienne et du caractère particulièrement grave et complexe des affaires que le tribunal spécial aura à connaître. De plus, la FIDH note qu’il existe un risque réel de manipulation politique quant à la nomination des juges considérant que ces nominations restent aux mains du Conseil du gouvernement provisoire irakien, sous contrôle des autorités américaines.

2. Plus grave encore, la FIDH ne peut que s’opposer à toute proposition qui aboutirait à appliquer aux personnes condamnées la peine capitale. La FIDH considère en effet que la peine de mort est fondamentalement contraire à la dignité de l’être humain proclamée par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Son abolition est visée par plusieurs instruments internationaux notamment par le deuxième Protocole facultatif au Pacte international sur les droits civils et politiques du 15 décembre 1989. Par ailleurs, les termes de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par l’Iraq depuis 1971, « suggèrent sans ambiguïté (par. 2 et 6) que l’abolition est souhaitable »2.

En outre et surtout ni les statuts des tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie, le Rwanda et la Sierra Léone, ni le Statut de la Cour pénale internationale permanente n’autorisent la peine capitale.

3. Concernant la compétence personnelle du Tribunal, les nationaux irakiens et les résidents en Irak relèveront de la compétence du Tribunal spécial. Il est prévu que seules les personnes physiques (article 1 para c.) pourront faire l’objet de poursuites à l’exclusion donc des groupes ou factions politiques ou encore des sociétés commerciales, ce que la FIDH déplore.

4. Enfin, la FIDH est très préoccupée qu’aucune référence ne soit faite aux droits des victimes dans le statut du Tribunal spécial. La procédure prévue ne garantit pas aux victimes le droit à participation à protection et à réparation. La FIDH considère ainsi que le tribunal contrevient aux Conventions relatives aux droits de l’Homme, notamment
 le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966
 les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations du droit international relatif aux droits de l’Homme et du droit international humanitaire de 1999.

Les assurances données par le Président américain quant aux conditions du jugement de Saddam Hussein et de ses complices ne suffisent en rien au regard des termes du Statut adopté le 10 décembre 2003.

Garantir aux victimes de Saddam Hussein le droit à une justice effective, indépendante et impartiale impose de modifier le Statut : ce devoir de justice incombe aussi à la communauté internationale. La FIDH appelle les Nations unies et l’Union européenne à se saisir d’urgence de cette priorité.

Contact presse : 01 43 55 25 18/ 14 12

 [1]

http://www.cpa-iraq.org/audio/20031210_Dec10_Special_Tribunal.htm

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