Visite du Premier Ministre Tunisien M Mohammed Ghannouchi en France

04/05/2006
Communiqué

Monsieur le Premier Ministre,

Le 3 mai, vous recevrez M. Mohammed Ghannouchi. Nous avons l’honneur de vous saisir formellement dans l’espoir que la question des droits de l’Homme puisse être un sujet central dans le cadre de vos échanges.

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Ligue française des droits de l’Homme (LDH), Amnesty international France (AI), le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) et le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT) demeurent en effet, vivement préoccupées par les violations récurrentes des droits humains et les atteintes graves aux libertés fondamentales enregistrées ces derniers mois encore, en Tunisie. Nos organisations s’inquiètent en particulier des entraves répétées aux activités menées par les défenseurs des droits de l’Homme, à la liberté d’association ainsi qu’à la liberté d’expression.

L’interdiction qui a été faite à la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme (LTDH) par décision de justice, de tenir son Congrès au mois de septembre 2005, décision réitérée par un nouveau jugement rendu le 18 avril 2006, 32ème jugement en 5 ans, est la dernière illustration du manque d’indépendance du système judiciaire tunisien et ce, afin d’empêcher cette organisation légalement reconnue de mener ses activités de manière indépendante. Le procès en est, à ce jour, à son sixième report et les sections de la LTDH dans le pays ont vu leurs activités bloquées depuis le mois de septembre dernier. L’interférence des autorités dans les procès contre les ONG indépendantes de droits de l’Homme en général et de la LTDH en particulier a été dénoncée par Mme Hina Jilani, Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme depuis 2002 [1].

Le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des magistrats a lui-même également dénoncé la main mise des autorités exécutives sur l’institution judiciaire dans les affaires concernant des violations des droits de l’Homme à de nombreuses reprises.

Afin que ses activités puissent à nouveau suivre normalement leur cours, la LTDH a décidé d’organiser son 6ème Congrès à Tunis, les 27 et 28 mai prochains. Nos organisations vous demandent d’intervenir auprès du Premier Ministre tunisien afin que la LTDH soit en mesure de tenir son congrès à la date fixée, que ses sections puissent disposer de leurs locaux pour y mener librement leurs activités et que les procédures pendantes contre la Ligue soient levées unilatéralement.

Plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme, et notamment le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), se voient refuser depuis plusieurs années, leur enregistrement légal. Les répressions à l’encontre des défenseurs prennent aussi à l’occasion, des formes plus sournoises. On notera par exemple, que plusieurs défenseurs ont été la cible de menaces voire d’agressions. Des propos injurieux et attentatoires à l’image de la femme ont été proférés à l’encontre de femmes défenseurs des droits de l’Homme. Des établissements privés ont subi des pressions afin de les inciter à ne pas louer leurs salles à des organisations indépendantes. Les autorités ont également à diverses reprises procédé sous couvert de lutte anti-terroriste, au blocage de subventions accordées par des institutions étrangères au profit d’ ONG indépendantes, notamment à la LTDH.

L’interdiction du fonctionnement de l’Association des magistrats tunisiens (AMT), comme les actes de harcèlement à l’encontre de ses membres, témoignent de la volonté délibérée des autorités de maintenir leur influence sur les juges et magistrats tunisiens. En effet, depuis l’élection de son nouveau bureau exécutif lors du congrès de décembre 2004, l’AMT doit faire face à diverses entraves à ses activités et mesures de représailles contre ses membres : mutation forcée de plusieurs magistrats, empêchement de la tenue de réunions et confiscation du local de l’association.

La presse et les journalistes indépendants sont également la cible de mesures répressives, le droit à la liberté d’expression est quasi systématiquement bafoué sur le territoire tunisien. Outre les affaires de violence survenues à la veille de la tenue du SMSI avec pour cibles des journalistes occidentaux, les journalistes tunisiens et particulièrement, des membres du syndicat des journalistes sont quotidiennement confrontés à la censure et à la pression. Deux journalistes tunisiens sont actuellement en grève de la faim pour protester contre les mesures arbitraires prises à leur encontre (licenciement pour refus de se faire dicter un article, confiscation de passeport, harcèlement quotidien par les forces de police). Depuis le 1er mars 2005, l’avocat Mohammed Abbou est en détention, il a été condamné en première instance puis en appel à une peine de 3 ans et demi de prison dont 18 mois pour un article publié sur un site internet dans lequel il dénonçait les conditions de détention dans les prisons tunisiennes. Le 28 novembre 2005, le groupe de travail sur les détentions arbitraires des Nations unies a reconnu que la détention de M. Abbou était arbitraire, en violation de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Nos organisations ont réitéré à de nombreuses reprises leur appel aux autorités tunisiennes de respecter toutes leurs obligations contenues dans les conventions internationales de protection des droits de l’Homme ratifiées par la Tunisie.

Nos organisations vous invitent à renouveler à l’occasion de cette rencontre, cet appel au respect de l’état de droit auprès des plus hautes autorités tunisiennes. Nous nous tenons par ailleurs, à votre disposition dans la perspective de cette visite du Premier Ministre tunisien.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre haute considération.

Sidiki Kaba,
Président FIDH

Geneviève Sevrin,
Présidente AI-France

Jean-Pierre Dubois,
Président LDH

Kamel Jendoubi,
Président REMDH - CRLDHT

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