Beyrouth, 29 août 2024. Au cours des dernières semaines, les autorités égyptiennes ont détenu arbitrairement et déféré devant la justice au moins quatre détracteur·es du gouvernement, pour des accusations liées à l’exercice légitime de la liberté d’expression dans le cadre de leur travail, ce qui constitue une nouvelle atteinte à la liberté d’expression, déclarent aujourd’hui huit organisations, dont Human Rights Watch. Parmi les personnes poursuivies figurent deux journalistes détenu·es et un chercheur qui vit aujourd’hui en exil.
Les autorités ont eu recours à la détention au secret, à la détention préventive abusive et à des accusations non fondées liées au terrorisme. La famille d’un détenu affirme que celui-ci a été torturé. Une répression sévère entrave la liberté d’expression et l’indépendance des médias depuis plusieurs années, bien que le gouvernement affirme que des réformes sont en cours.
« L’Égypte ne peut pas tourner la page sans respecter la liberté d’expression, qui fait partie intégrante de la promotion des autres droits politiques et économiques », déclare Bassam Khawaja, directeur adjoint pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Human Rights Watch. « L’Égypte doit de toute urgence cesser de s’en prendre à ses détracteur·es et libérer immédiatement les personnes injustement détenues ».
Le 22 juillet 2024, les autorités ont arrêté Ashraf Omar, un caricaturiste politique. Al-Manassa, un site d’information indépendant sur lequel Ashraf Omar publie ses caricatures, et la famille de l’artiste ont déclaré que les forces de sécurité de l’Agence de sécurité nationale (NSA) du ministère de l’Intérieur l’ont arrêté lors d’une perquisition menée à son domicile tard dans la nuit. L’épouse d’Ashraf Omar, Nada Moogheeth, a déclaré publiquement que la vidéo de surveillance montrait qu’un groupe de personnes en tenue civile, et d’autres en uniforme de police, étaient arrivées dans deux minibus, avaient perquisitionné la maison et étaient reparties avec Ashraf Omar 40 minutes plus tard, après lui avoir placé un bandeau sur les yeux. Elles l’ont ensuite emmené dans un lieu tenu secret où il a été détenu pendant plus de 48 heures. L’épouse d’Ashraf Omar a déclaré par la suite que les agents de la NSA l’avaient torturé, notamment en menaçant de lui administrer des décharges électriques. Le 24 juillet, les responsables de la sécurité ont amené Ashraf Omar au bureau du procureur suprême de la sécurité de l’État au Caire, une branche du ministère public égyptien connue pour ses abus et responsable du maintien en détention provisoire de milliers de militant·es pacifiques et de journalistes pendant des mois, voire des années, sans preuve d’actes répréhensibles. L’avocat d’Ashraf Omar et célèbre défenseur des droits humains, Khaled Ali, déclare que les procureur·es avaient ordonné la détention d’Ashraf Omar pour « adhésion à un groupe terroriste », « utilisation abusive des réseaux sociaux » et « diffusion de fausses nouvelles », accusations auxquelles le ministère public a fréquemment recours pour emprisonner ses détracteur·es réel·les ou supposé·es.
Le 16 juillet, les forces de sécurité ont perquisitionné le domicile du journaliste Khaled Mamdouh au Caire et l’ont arrêté tard dans la nuit. L’Association pour la liberté de pensée et d’expression, une organisation indépendante, a déclaré que des membres des forces de sécurité avaient fouillé l’appartement de Khaled Mamdouh et saisi ses appareils électroniques sans révéler leur identité ni présenter de mandat de perquisition. L’avocate de Khaled Mamdouh, Fatma Serag, rapporte que les autorités ont détenu Khaled Mamdouh au secret pendant cinq jours, l’ont ensuite présenté aux procureur·es le 20 juillet, et ont enregistré cette date du 20 juillet comme étant la date officielle de son arrestation. Lors d’une conférence de presse organisée le 8 août, Fatma Serag a déclaré que la descente organisée au domicile de Khaled Mamdouh avait été « terrifiante » et que les forces de sécurité avaient encerclé l’appartement pendant six heures et brièvement détenu son fils. Khaled Mamdouh est maintenu en détention provisoire depuis le 20 juillet. Son avocate indique que les procureur·es n’ont présenté aucune preuve d’acte criminel, mais qu’ils·elles l’accusent d’être membre d’un « groupe terroriste » non nommé et de « diffuser de fausses nouvelles ». Fatma Serag précise que Khaled Mamdouh est détenu à la prison d’Abu Za’abal, où les audiences des au cours desquelles est décidée le renouvellement de la détention provisoire sont menées par visioconférence. Human Rights Watch a rapporté que cette méthode abusive de renouvellement de la détention provisoire – sans comparution du détenu devant un juge – porte gravement atteinte à la régularité de la procédure. Elle empêche un juge d’évaluer la légalité et les conditions de la détention ainsi que le bien-être des détenu·es, et bafoue plusieurs garanties d’un procès équitable, y compris le droit à un·e avocat·e.
Human Rights Watch s’est entretenu avec un troisième journaliste, qui travaillait auparavant avec Khaled Mamdouh pour le site internet Arabic Post, et qui déclare avoir fui le pays au cours de la dernière semaine de juillet par crainte d’être arrêté après la détention d’Ashraf Omar et de Khaled Mamdouh. Il indique que les forces de sécurité le recherchaient et avaient perquisitionné son domicile après sa fuite. Le journaliste avait déjà été détenu arbitrairement en 2018 pendant plus de deux ans dans le cadre d’une affaire liée à son travail légitime de journaliste.
Début juillet, le ministère public a entamé des poursuites à l’encontre d’Abdelrahman Mahmoud Abdou, chercheur et journaliste également connu sous le nom d’Abdelrahman Ayyash. L’acte d’accusation indique qu’Abdelrahman Ayyash est accusé – avec quatre autres personnes – de « participation active à un groupe terroriste », tandis que 41 autres personnes sont accusées d’avoir rejoint ou financé ce groupe dont le nom n’est pas cité. Abdelrahman Ayyash, qui vit aujourd’hui en exil, rapporte que les avocats du Egyptian Front for Human Rights ont obtenu le dossier et l’en ont informé, mais que personnellement, il n’a jamais été notifié officiellement de ces accusations. L’acte d’accusation décrit Abdelrahman Ayyash comme un « superviseur » à l’Arabic Post, alors même qu’il déclare avoir quitté son emploi en 2018. Il a été employé en tant qu’assistant de recherche principal à Human Rights Watch entre août 2018 et septembre 2021. Après avoir quitté Human Rights Watch, il a rejoint la Freedom Initiative, basée à Washington, et il est actuellement consultant indépendant pour le Middle East Democracy Center. Abdelrahman Ayyash contribue également aux publications de plusieurs organisations, dont la Fondation Carnegie pour la paix internationale, Century International et l’Initiative de réforme arabe. En juillet 2022, les forces de sécurité ont fait une descente au domicile familial d’Abdelrahman Ayyash et ont arrêté son père qu’elles ont interrogé sur les activités politiques et en lien avec les droits humains de son fils. Le père a été traduit en justice sur la base d’accusations non fondées de possession de documents imprimés et d’informations portant atteinte à la constitution, et a été détenu pendant plusieurs mois. Un tribunal l’a acquitté en novembre 2022.
Le 16 juillet, le ministère de l’Intérieur a déclaré avoir arrêté un homme qui, selon lui, était responsable d’avoir collé une affiche critique du président Abdel Fattah al-Sissi sur un panneau d’affichage à Gizeh, qui est devenue virale sur les réseaux sociaux. De telles critiques sont protégées par la liberté d’expression pacifique et ne doivent pas être pénalisées, ont déclaré les organisations.
Sous le gouvernement du Président Abdel Fattah al-Sissi, la liberté d’expression, y compris la liberté des médias, fait l’objet d’attaques incessantes depuis des années. L’Égypte se classe régulièrement parmi les pays qui comptent le plus grand nombre de journalistes en détention et le Comité international pour la protection des journalistes estime que 13 % des journalistes détenu·es à travers le monde en 2023, le sont en Égypte. Le travail des médias traditionnels est sévèrement entravé en Égypte, et les quelques sites internet qui continuent d’exister doivent faire face aux restrictions et au harcèlement du gouvernement. Les autorités égyptiennes ont déjà utilisé les lois sur le terrorisme de manière abusive pour poursuivre des journalistes, des militant·es et des critiques.
L’Égypte est partie aux instruments internationaux garantissant le droit à la liberté d’expression, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 19) et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (article 9). « Les attaques contre la liberté d’expression en Égypte doivent cesser », déclare Said Benarbia, directeur de la Commission internationale des juristes pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. « Au lieu de museler les voix indépendantes, critiques et dissidentes par le biais de détentions arbitraires et des poursuites judiciaires, les autorités égyptiennes doivent veiller à ce que toutes les personnes puissent participer au débat public et exprimer ouvertement leurs opinions et leurs critiques à l’égard des institutions et des représentants de l’État, sans subir d’intimidation ni de représailles ».