Égypte : risque de restriction du militantisme pour la COP27

Stephen and Helen Jones / Creative Commons 2.0

12 juillet 2022. Défendons les droits à la liberté d’expression pour la prochaine Conférence sur le climat, qui se tiendra en Egypte en novembre 2022 ! La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et 34 autres organisations demandent aux autorités égyptiennes de relâcher leur emprise sur l’espace civique et de respecter les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique en vue du bon déroulement de la prochaine conférence mondiale sur le climat,la COP27.

La COP27 réunit les États parties à la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique ainsi que des milliers d’expert⋅es, journalistes et de représentant⋅es d’entreprises et de groupes non-gouvernementaux. Le sommet, qui se tient en novembre 2022, est une opportunité importante de rencontres et de discussions ambitieuses pour la communauté internationale, afin de défendre une action climatique basée sur le droit.

Dans une interview accordé le 24 mai à Associated Press, le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Shoukry a déclaré que son gouvernement prévoyait de réserver « une structure adjacente au centre de conférence » à Charm el-Cheikh, dans la péninsule du Sinaï, pour que les militant⋅es puissent y manifester librement et exprimer leurs opinions. Il a également ajouté que le gouvernement permettra aux participant⋅es d’« accéder à la salle des négociations, comme c’est le cas traditionnellement, une journée pendant les négociations ».

Nos organisations s’inquiètent des conséquences des commentaires de Sameh Shoukry concernant le droit à un militantisme pacifique durant la COP27. Les restrictions existantes sur les manifestations et rassemblements en Égypte équivalent dans les faits à leur criminalisation, Les commentaires du ministre des Affaires étrangères impliquent que les autorités égyptiennes n’autoriseront pas de manifestation en dehors de l’espace « désigné par le gouvernement  ».

En vertu du droit et des normes internationaux en matière de droits humains, la tenue de manifestations doit être permise, en règle générale, au vu et au su du public ciblé. Les autorités égyptiennes devraient donc autoriser sans condition les manifestations et rassemblements pacifiques durant la période de la COP27, y compris au Caire, la capitale égyptienne et dans les autres villes du pays.

Les autorités égyptiennes doivent également mettre fin aux attaques incessantesperpétrées à l’encontre des défenseur⋅es des droits humains, des organisations de la société civile, et des médias indépendants. Leurs tactiques incluent l’ouverture d’enquêtes pénales infondées, des arrestations arbitraires, des convocations forcées à des interrogatoires, des menaces de fermetures d’organisations indépendantes, des interdictions de voyager, et d’autres mesures restrictives qui risquent de compromettre la participation assidue de la société civile nécessaire au bon déroulement de la COP27.

La mise en place d’une action climatique forte et fondée sur le droit repose sur la participation totale et significative de toutes les parties prenantes, dont les États, les militant⋅es, la société civile et des représentant⋅es des peuples autochtones et des groupes les plus exposés aux effets du changement climatique. Les militant⋅es jouent un rôle décisif dans le débat mondial sur le climat en fournissant des informations pertinentes aux décideur⋅es politiques et aux médias. Et les groupes non-gouvernementaux ne peuvent mener à bien leur mission que s’ils peuvent exercer leur droit à la liberté de réunion de manière efficace.

Les groupes de la société civile égyptienne et internationale craignent que les restrictions imposées par les autorités égyptiennes constituent une entrave à la participation totale et significative des militant⋅es, des défenseur⋅es des droits humains, des représentant⋅es de la société civile et des peuples autochtones à la COP27. Ces préoccupations sont renforcées par le record abismal du nombre de cas de répressions d’organisations de la société civile et de sanctions des militances pour la défense des droits humains et du journalisme indépendant par les autorités égyptiennes.

Les organisations de la société civile et les mécanismes des Nations unies relatifs aux droits humains rendent compte de la répression exercée de longue date par les autorités égyptiennes sur la liberté de réunion pacifique. En 2013, les autorités ont adopté la loi 107/2013relative à la mise en place du droit à se réunir dans les lieux publics, à défiler et à manifester pacifiquement, qui autorise les forces de sécurité à interdire les manifestations et à faire usage de la force de manière excessive et innécessaire à l’encontre des manifestant.es pacifiques.

Les autorités ont invoqué cette loi, en plus de la draconienne loi n°10/1914 datant de l’époque coloniale sur les rassemblements, pour poursuivre des milliers de manifestant⋅es pacifiques dans le cadre de procès collectifs inéquitables. De plus, les forces de sécurité font continuellement un usage illégal de la force, parfois meurtrier, et ont procédé à des arrestations en masse pour disperser les manifestants. Aucun responsable de la sécurité ou de l’armée n’a été traduit en justice pour leur responsabilité dans le meurtre de centaines de manifestant⋅es durant la dispersion des rassemblements organisés sur les places de Rabia al-Adawiya et d’al-Nahda dans l’agglomération du Caire le 14 août 2013.

L’usage de la répression a adressé un message inquiétant dans tout le pays, a semé la peur au sein de la population et l’a dissuadée d’exercer son droit aux réunions pacifiques. Les rares manifestations qui ont eu lieu ces dernières années se sont également heurtées à l’usage illégal de la force et aux arrestations en masse, notamment les manifestations contre le gouvernement de septembre 2019 et de septembre 2020. Les forces de sécurité ont arrêté des milliers de manifestant⋅es, militant⋅es, défenseur⋅es de droits humains, avocat⋅es et passant⋅es, y compris des enfants, dont certains ont fait l’objet de disparitions forcées.

Les autorités égyptiennes ne se sont pas montrées plus tolérantes envers les manifestant⋅es qui ne prenaient pas pour cible ou n’étaient pas directement critiques envers les autorités. En novembre 2020, les autorités égyptiennes ont arbitrairement arrêté et détenu 70 migrant⋅es et réfugié⋅es soudanais⋅es qui participaient à une manifestation pacifique, suite à l’assassinat d’un enfant soudanais par un homme égyptien. Selon des témoins, la police a roué de coups les manifestant⋅es, proférant des insultes racistes et xénophobes. En décembre 2021 et en janvier 2022, les forces de sécurité égyptiennes ont arrêté au moins 30 militant⋅es soudanais⋅es qui avaient organisé des manifestations au siège du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR) et les ont frappé⋅es et contraint⋅es au travail forcé.

Les autorités égyptiennes doivent :
 immédiatement libérer sans délai ni condition toute personne qui a été arbitrairement placée en détention uniquement pour avoir exercé pacifiquement ses droits fondamentaux ou avoir pratiqué sa religion, ou en raison de son identité ou de son orientation sexuelle ;
 modifier la législation afin qu’elle soit conforme aux obligations de l’Égypte au regard du droit international, notamment en abrogeant ou en modifiant sensiblement les lois qui restreignent et criminalisent de manière abusive l’exercice des droits humains, notamment la loi 107/2013 relative aux manifestations, la loi 10/1914 relative aux rassemblements et la loi de 2019 sur les ONG ;
 s’engager à respecter le droit à la liberté de réunion pacifique en toute circonstance, y compris lors des événements internationaux, et doivent également s’abstenir de limiter de manière abusive les manifestations à une zone spécifique.

De leur côté, les États membres des Nations unies, en particulier ceux qui participent à la COP27, devraient :
 exhorter les autorités égyptiennes à mettre fin aux restrictions sur la liberté de réunion, la liberté d’association et la liberté d’expression ;
 prendre d’autres mesures significatives visant à répondre aux préoccupations de la société civile et à garantir leur participation sûre et significative, pour contribuer à une COP27 réussie.

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  • Co-signataires

    1. Alliance for Rural Democracy
    2. Amnesty International
    3. Arab Resource & Organizing Center (AROC)
    4. Association for Freedom of Thought and Expression (AFTE)
    5. Cairo Institute for Human Rights (CIHRS)
    6. Committee for Justice (CFJ)
    7. Democracy for the Arab World Now (DAWN)
    8. Egyptian Commission for Rights and Freedoms (ECRF)
    9. Egyptian Front for Human Rights (EFHR)
    10. Egyptian Human Rights Forum (EHRF)
    11. Egypt Wide for Human Rights
    12. Egyptian Initiative for Personal Rights (EIPR)
    13. El Nadeem against violence and torture
    14. EuroMed Rights
    15. Freedom House
    16. Friends of the Earth Scotland
    17. Global Witness
    18. Grassroots Global Justice Alliance
    19. Green Advocates International
    20. Human Rights Watch (HRW)
    21. HuMENA for Human Rights and Civic Engagement
    22. Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains
    23. International Service for Human Rights (ISHR)
    24. Mano River Union Civil Society Natural Resources Rights and Governance Platform
    25. MENA Rights Group
    26. Natural Resources Women Platform
    27. People in Need
    28. PEN International’s
    29. Project on Middle East Democracy (POMED)
    30. Scotland’s International Development Alliance
    31. Sinai Foundation for Human Rights
    32. The Freedom Initiative
    33. The Indigenous Environmental Network (IEN)
    34. WoGEM Uganda
    35. World Organisation Against Torture (OMCT), within the framework of the Observatory for the Protection of Human Rights Defenders

  • Organisations membres - Egypte
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