Egypte : Monsieur Macron, le soutien aveugle à Al-Sissi doit cesser

23/10/2017
Tribune

La visite du Président égyptien Abdel Fatah Al-Sissi à Paris ne peut rester sans réaction publique de la part du Président français.

Cette tribune a été publiée dans le HuffPost le 23 octobre 2017

La visite du Président égyptien Abdel Fatah Al-Sissi à Paris ne peut rester sans réaction publique de la part du Président français. Le maréchal Al-Sissi a patiemment construit un régime autocratique et répressif depuis le coup d’État du 3 juillet 2013, sans faire face, jusqu’ici, à de fortes protestations officielles, à Bruxelles comme à Paris. Aucune communication sur l’étranglement de l’État de droit dans le pays, aucun soutien affiché à ce qu’il reste du mouvement démocratique égyptien. Bien au contraire, l’Égypte est plus que jamais perçue comme un allié stratégique de la lutte contre le terrorisme dans la région.

C’est d’ailleurs au nom de cette même lutte antiterroriste que la répression s’abat aujourd’hui sur la société civile égyptienne. Défenseurs des droits humains, avocats, journalistes, intellectuels, syndicalistes... tous ceux qui critiquent le gouvernement en font les frais. Des mesures de plus en plus liberticides frappent notamment de nombreux militants associatifs, à l’instar de Mohamed Zaree, accusé de "communication avec des entités étrangères dans le but de porter atteinte à la sécurité nationale" pour avoir participé à des mécanismes onusiens de défense des droits de l’Homme. Figure de proue du mouvement des droits humains égyptien et récent lauréat du prix Martin Ennals, Mohamed Zaree risque la perpétuité dans l’affaire dite des "financements étrangers". A ce jour, la répression qui s’abat sur la société civile concerne des dizaines de défenseurs et journalistes. Onze sont derrière les barreaux, dix ont vu leurs avoirs personnels gelés, vingt-huit ont interdiction de quitter le territoire égyptien. Les cas de harcèlement judiciaire, les disparitions forcées, la torture et les mauvais traitements dans les prisons se multiplient.

Quel que soit le motif réel des arrestations, les accusations de "terrorisme" pleuvent, faisant peser une épée de Damoclès sur l’ensemble de la société civile égyptienne. La communauté des défenseurs des droits humains est particulièrement ciblée. Une politique contre-productive qui, en plus de réduire au silence les forces nécessaires pour une lutte efficace contre la montée du fondamentalisme, favorise la radicalisation et renforce l’insécurité dans le pays. Comme ont pu en témoigner de nombreux activistes, dont le blogueur Alaa Abd el-Fatah ou l’ancien opposant au président Moubarak et leader du mouvement du 6 avril Ahmed Maher, le groupe État islamique recrute de plus en plus au sein des prisons égyptiennes. Faisant du système pénitentiaire égyptien l’un des alliés les plus redoutables du terrorisme..

Plus inquiétant encore, dans le Nord du Sinaï, plus de 6000 "terroristes" auraient été tués ces dernières années selon les autorités, alors que le groupe Wilayet Sina, affilié à l’Etat islamique pour le Sinaï, n’est crédité que d’un millier de combattants... Le nombre disproportionné de victimes, majoritairement civiles, ne peut que servir la propagande du groupe terroriste. Et lui permettre de recruter davantage de djihadistes. De combien d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées et de bavures les forces de sécurité égyptiennes se sont-elles rendues coupables dans cette région et au-delà ?Et pour quels résultats ?De 261 en 2013, le nombre d’attaques terroristes dans le nord du Sinaï est passé à 681 en 2016.

Par ailleurs, une loi de novembre 2013 continue à criminaliser les manifestations et interdit toute forme de dissidence pacifique. La presse indépendante a été mise au pas. Les violences contre les minorités, notamment les Chrétiens coptes, sont récurrentes et les autorités égyptiennes manquent à leur responsabilité de les protéger. Les attaques des forces de sécurité et des médias égyptiens contre la communauté LGBT observées ces dernières semaines ne sont qu’un écran de fumée, cachant mal l’échec du président Al-Sissi à résorber une crise économique et sociale majeure. Inflation incontrôlée, chômage persistant, corruption endémique et atteintes massives aux libertés, telle est la réalité quotidienne des Égyptiens. En répondant par une répression brutale à toute expression de la société civile et en entretenant un discours populiste et intolérant, le gouvernement égyptien ne fait que souffler sur les braises d’une contestation radicale.

En réponse à ces violations – dont les quelques exemples évoqués ci-dessus sont loin d’être exhaustifs -, la France a failli à sa mission de défense des droits humains. Pire, au cours des 3 dernières années, Paris n’a fait que renforcer sa coopération économico-militaire avec l’Égypte. Il s’agit du premier pays étranger à s’être officiellement porté acquéreur de chasseurs Rafale en 2015. Outre la livraison tant attendue des avions de combat de Dassault, le contrat de 2015, qui prévoyait également la vente d’une frégate multimissions (DCNS) et de missiles de croisière SCALP et air-air (MICA), avait alors rapporté gros aux équipementiers français : 5,2 milliards d’euros. Le prix du silence pour les violations du régime d’Al-Sissi ?

En juillet 2017, les révélations de la vente par l’entreprise française Amesys aux autorités égyptiennes en 2014 d’un système de renseignement - Cerebro -, qui a pu servir à identifier, surveiller, arrêter et torturer des opposants politiques ou des défenseurs des droits humains, ont confirmé nos craintes. Amesys n’en était pas à son coup d’essai puisqu’un système similaire, Eagle, avait déjà été vendu au régime libyen de Khadafi. Ce qui vaut à cette société de faire l’objet d’une instruction judiciaire pour "complicité d’actes de torture".

Il est temps pour la diplomatie française de cesser de jouer les VRP des fabricants d’armes de l’hexagone, au risque de contrevenir gravement aux dispositions du Traité sur le Commerce des armes, ratifié par Paris en 2013, et plus généralement du droit international. Si la France doit continuer à entretenir une relation "privilégiée" avec l’Egypte, celle-ci ne peut se poursuivre que dans un climat de transparence, et tout accord commercial doit être conditionné au strict respect des droits humains.

M. le Président Macron, continuer à se taire et accepter de telles dérives au nom de la lutte antiterroriste est totalement contre-productif. Vous contribueriez ainsi à alimenter l’instabilité et l’insécurité de l’autre côté de la Méditerranée, tout en abandonnant les Egyptiens à une dictature.

Par

Dimitris Christopoulos
Président de la FIDH

Bahey Eldin Hassan
Directeur Général du Cairo Institute for Human Rights studies (CIHRS)

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