Deux ans après le massacre de Rabaa, l’impunité règne toujours en Égypte

14/08/2015
Communiqué
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Il y a deux ans aujourd’hui, l’armée égyptienne et la police anti-émeute lançaient une attaque meurtrière contre des partisans du président déchu Mohammed Morsi, qui a fait des centaines de morts et des milliers de blessés.

Nos organisations appellent l’Union européenne à condamner fermement l’impunité générale et l’incapacité des autorités à traduire en justice les fonctionnaires, les policiers et les officiers de l’armée qui ont fait un usage excessif de la force contre des manifestants.

La dispersion tragique des rassemblements sur les places d’el-Nahda et de Rabaa el-Adaouïa au Caire a marqué une sinistre étape dans la répression des voix dissidentes, notamment de la société civile, des manifestants pacifiques et des défenseurs des droits humains. Au lieu de promouvoir la « stabilité » comme les autorités égyptiennes le prétendent, ces actions autoritaires ont exacerbé le cercle vicieux de la violence et du terrorisme.

Si l’Égypte s’est déclarée favorable à une recommandation de l’examen périodique universel des Nations Unies concernant la réalisation d’une enquête sur le recours excessif et meurtrier à la force de la part des forces de sécurité dans le but de disperser des manifestants pacifiques, elle n’a en pratique pas mené d’enquêtes efficaces et impartiales. En dépit d’appels similaires de la part du Conseil national des droits Humains en faveur de l’ouverture d’une enquête sur les évènements de Rabaa, les procureurs n’ont pas enquêté minutieusement sur les accusations de recours illégal à la force par les forces armées ou les agents de police. Depuis août 2013, seul un policier a été condamné pour le meurtre de la manifestante pacifique Shaïmaa el Sabbagh.

Des dizaines de milliers de manifestants ont été placés en détention pour des violations présumées de la loi sur les manifestations, dont les dispositions draconiennes enfreignent les normes internationales les plus élémentaires sur la liberté d’association. L’Égypte a également connu une forte hausse du nombre de condamnations à mort ces dernières années, avec 509 condamnations prononcées en 2014 contre 109 en 2013. Des centaines d’autres Égyptiens se trouvent toujours dans le couloir de la mort, dont des dirigeants des Frères musulmans, mouvement maintenant interdit, et des centaines de partisans présumés du président Morsi. Selon Amnesty International, sept hommes ont été exécutés en Égypte en 2015 à l’issue de procès manifestement inéquitables, notamment devant des tribunaux militaires spéciaux.

D’après les organisateurs de la campagne « No to Military Trials for Civilians » (Non aux procès militaires pour les civils), plus de 3000 civils ont été jugés par des tribunaux militaires entre avril et décembre 2014. Cette tendance a été confirmée par une série de modifications des lois en vigueur : en octobre 2014, la compétence des tribunaux militaires a été étendue pour s’appliquer à une grande partie des espaces publics. Dans le sillage de l’adoption d’une loi anti-terrorisme en décembre 2014, un autre projet de loi prévoit d’établir un tribunal spécial avec un régime judiciaire et d’appel exceptionnel. Ces mesures n’ont pas été soumises à aucun contrôle parlementaire, dans la mesure où les élections législatives, qui devaient se tenir à l’été 2014, n’ont pas encore eu lieu. Selon le Tahrir Institute for Middle East Policy (Institut Tahrir pour la politique du Moyen-Orient), 160 lois ont été adoptées par décret ces deux dernières années.

La torture, les mauvais traitements et les décès en détention sont monnaie courante dans les postes de police et autres lieux de détention. Le Centre de réhabilitation des victimes de violences El Nadeem a répertorié pas moins de 74 décès en détention depuis début 2015, dont bon nombre résultent de soins médicaux inadéquats et d’actes de torture. En juin 2015, « Freedom for the Brave » (Liberté pour les courageux), le mouvement de jeunes du 6 avril (maintenant également interdit), et le groupe « Students against the Coup » (Étudiants contre le coup d’Etat) ont constaté une augmentation du nombre de disparitions forcées et d’arrestations de jeunes militants.

À la lumière de ces informations, nous exhortons l’UE à :

  • exiger des autorités égyptiennes qu’elles mènent des enquêtes indépendantes, impartiales et efficaces sur le recours à la force illégal présumé par la police et l’armée ;
  • exiger des autorités égyptiennes qu’elles retirent et révisent la loi sur les manifestations ;
  • demander au gouvernement égyptien d’imposer un moratoire sur la peine de mort en vue de l’abolir ;
  • demander au pouvoir judiciaire égyptien de respecter les libertés fondamentales, y compris le droit à un procès équitable conformément aux normes internationales, ainsi que de libérer immédiatement et de lever les charges qui pèsent contre tous les individus détenus uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion ;
  • exiger des autorités égyptiennes qu’elles révisent la loi sur les associations, afin de la rendre conforme aux normes internationales des droits humains, y compris en ce qui concerne l’accès aux financements étrangers ;
  • demander la divulgation du lieu de détention de toutes les personnes détenues au secret et leur accorder immédiatement un accès à leur famille, à leur avocat et des soins médicaux ;
  • interdire l’exportation de technologies de surveillance qui pourraient être utilisées pour espionner et réprimer des citoyens et maintenir l’interdiction d’exporter du matériel de sécurité ou de l’aide militaire qui pourraient être utilisés à des fins de répression interne.
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